Jeudi 8 juin à la mi-journée à Nouméa, l’État français a fait intervenir l’armée et la police pour déloger le piquet de grève de l’USTKE [1] qui bloquait partiellement le port. La violence de l’intervention - des blindés « légers », des bateaux et des hélicoptères ont été utilisés - est totalement disproportionnée face à la réalité du terrain, alors que des négociations étaient en cours et qu’un rendez-vous était prévu dans l’après-midi. On n’a jamais vu en métropole une telle violence contre les travailleurs et, pourtant, les luttes menées par les dockers ont déjà été tendues.
Les forces de répression coloniales ne se sont pas contentées de dégager les docks occupés, elles ont mené une chasse au syndicaliste dans les rues de Nouméa, faisant usage de flash-ball et semant la panique parmi les passants. Ils sont allés arrêter des militants de l’UTSKE jusqu’à l’hôpital ! Le président du syndicat, Gérard Jodar, a été arrêté et sa voiture porte des traces d’impacts de flash-ball sur les montants du pare-brise.
La mobilisation pour la libération des dix-sept syndicalistes arrêtés a été immédiate, et un appel à la grève générale a été lancé. 500 personnes se sont rassemblées jour et nuit devant le commissariat jusqu’à la libération des syndicalistes, après 30 heures de garde à vue. Malgré le black-out de la presse, la solidarité internationale a été rapide avec des communiqués de la LCR, de la CGT, de l’Union syndicale Solidaires et des Verts.
Le conflit engagé par l’USTKE sur le port, il y a trois semaines, a pour origine l’ouverture de deux lignes de porte-conteneurs vers l’Australie et la Nouvelle-Zélande par les deux premières compagnies maritimes mondiales. Les capacités de transport mises en service sont trois fois supérieures au trafic actuel. Les compagnies locales ne peuvent lutter contre le dumping pratiqué par ces géants et les sociétés d’aconage, qui déchargent les navires, ne pourront y survivre.
Dans les ports européens, les syndicats se battent contre l’auto-assistance portuaire des compagnies, qui n’ont alors plus besoin d’avoir recours à une société d’aconage. Demain, n’importe quelle compagnie pourrait toucher le port de Nouméa avec, à son bord, deux grutiers et quelques manœuvres pour le transbordement des conteneurs. Sur le port, il n’y aurait plus que quelques sociétés de location de matériel de manutention sans travailleurs. « Que devient le travail des hommes du port, où passe la valeur ajoutée qui fait la richesse d’un pays » : c’est tout le débat que soulève l’USTKE dans ce conflit. Le syndicat exige que les deux compagnies limitent les rotations de leurs navires pour laisser une place aux entreprises locales et que l’emploi soit préservé.
L’État colonial veut mettre au pas l’USTKE, seule organisation sur le territoire à lutter encore pour l’indépendance kanak et socialiste. Ses capacités de mobilisation ont souvent fait reculer le gouvernement. Par exemple, dans le conflit de Goro nickel2, le commissaire du gouvernement a dû demander, le 8 juin, l’annulation de l’autorisation d’exploitation délivrée à l’industriel par la province sud. C’est le résultat de la lutte dans laquelle l’USTKE est un acteur majeur. Sans le rapport de force créé, Goro se serait affranchi des normes internationales sur les rejets polluants et du principe de précaution.
L’USTKE considère que la lutte pour l’indépendance ne doit pas être séparée des luttes sociales. Son champ d’intervention ne se limite pas à l’entreprise, il s’étend aux problèmes de discrimination à l’embauche contre les Kanaks, à la défense de l’environnement ou encore à la lutte contre la mondialisation libérale.
Sur un territoire de 250 000 habitants, lutter contre la dérégulation des marchés, c’est permettre une économie viable qui ne se limite pas au pillage des ressources naturelles par des multinationales. Faire taire l’USTKE est l’obsession des gros industriels et de certains colons. Dans le bras de fer engagé aujourd’hui, la LCR sera du côté de l’USTKE.
Notes
1. Union syndicale des travailleurs kanaks et des exploités .
2. Lire Rouge n° 2161. Sur le site ESSF : Kanaky : alerte à la pollution