« Celui qui s’annonce pour savoir tout, montre seulement qu’il ignore les limites de l’esprit humain. » Denis Diderot, Prospectus (présentation de l’Encyclopédie)
Dans la série des problèmes soulevés par Philippe Pignarre (PP) dans sa réponse à Crémieux et Sabado [1], je rebondis sur 2 d’entre eux. Soit : « parti et stratégie » ; et « la place de l’expérience sociale ». Cette façon de faire survalorise les divergences au détriment des points d’accord. Par exemple je partage l’insistance de PP sur « le basculement du monde » que nous vivons. Mais je suis sûr que tout le monde fera la part des choses.
De la relation à Marx
Avant même d’entamer la discussion avec mon ami Philippe Pignarre (PP), il y a un point à souligner. PP, et aussi Philippe Corcuff parfois, insistent sur le fait que le succès du NPA se jugera en définitive sur sa capacité à intégrer des références diverses (en particulier distinctes de celles des marxistes révolutionnaires dont je fais partie), comme des formes de pensée et de luttes elles aussi tout autant diverses. Je les suis sans difficulté sur ce point, sans aucune arrière-pensée. Ils ont raison, voilà tout. Ce n’est pas pour rien que (comme nous l’avons défendu avec Daniel Bensaïd) il n’y a pas de référence à Marx dans les principes fondateurs du NPA.
Mais réclamer de réunir « le meilleur » de toutes ces références comme on le dit au NPA ne peut pas commencer par en exclure une d’entre elle (celle, en gros, du marxisme critique remontant aux années 60, dans ses variantes au demeurant fort nombreuses) pour faire de la place. Pour moi, c’est comme pour Derrida : « Pas sans Marx » et je considère que c’est mon droit le plus strict.
Ce n’est pas tant les réponses données dans ce cadre marxiste par tel ou tel et à telle ou telle époque qui m’intéressent, encore qu’elles soient des bornes précieuses. Dans la foulée de Imre Lakatos (un épistémologue des mathématiques) ce qui compte surtout c’est « l’espace des problèmes » où une pensée commune se forge, évolue, se confronte à elle-même et aux autres. L’espace des problèmes du socialisme et du communisme comme horizon ne peut en aucun cas être mis de côté par simple décision arbitraire. Sorti par la porte, il reviendra par la fenêtre. Comme le dit Rosa : « J’étais, je suis, je serai ».
Ou alors il faut prouver le contraire. Et on est tellement loin d’être en capacité de le faire nonobstant les coups de menton ! Il ne s’agit nullement ici de se réfugier dans les banalités inutiles du type « le marxisme n’est pas un dogme, mais une méthode », ou de rechercher un perpétuel et introuvable « retour à Marx ». Il y a chez Marx, comme chez tout penseur, des affirmations tout simplement fausses, des contradictions internes, et des trous béants. Daniel Bensaïd (et d’autres) ont fait un effort méritoire pour nous faire découvrir un Marx écologiste avant l’heure, en exhumant telle ou telle fulgurance. Ce n’est guère convaincant, en tout cas pour moi. En revanche, que les préoccupations écologiques soient (et comment !) marxo-compatibles, là ça se défend sans difficulté. Et c’est pareil pour à peu près tous les domaines des sciences sociales. Jusqu’à maintenant, il n’existe aucune référence structurante qui soit d’une telle ampleur et avec une telle ambition [2]. En tout cas aucune pour penser les rapports sociaux, le capitalisme et (là c’est plus discutable, c’est vrai) le socialisme.
Maintenant j’admets sans difficulté que « le marxisme » dit au singulier soit une abstraction dogmatique. Qui utilise le terme en toute candeur fait passer en sous-mains sa propre interprétation de Marx (et de l’espace de problèmes qu’il défriche). Admettons donc qu’il y ait « mille marxismes ». Et alors ? Comme le dit l’Évangile de Jean, « il y a plusieurs demeures dans la maison de mon Père ».
J’admets aussi, bien qu’il m’en coûte, que je puisse avoir tort… Mais de grâce, foin des facilités mondaines. Qu’on prouve, qu’on argumente, qu’on élimine, qu’on remplace. C’est pas facile à faire pour Marx ? Je sais… et je compatis.
Des partis et quelques autres choses
La stratégie, dit notre ami PP, c’est quand des révolutionnaires autoproclamés entreprennent d’expliquer sur un mode condescendant à des « victimes irrationnelles » une révolution dont ils connaissent d’avance le déroulement, si ce n’est la date exacte. A cette attitude il oppose l’idée que les révolutions sont toujours inattendues. Par conséquent, le renversement du capitalisme ne saurait servir de guide aux anticapitalistes. Bien plus, l’attente d’un tel événement empêcherait l’expérimentation ici et maintenant de formes novatrices de vie en société, sur la base d’une « intelligence collective » fondée non sur les faiblesses mais sur les points forts des individus [3].
Mais fort d’une certitude en béton, il se dispense de prouver que le positionnement « stratégique » qu’il rejette conduit nécessairement à de telles dérives. Il évite surtout de nous dire pourquoi alors il faudrait une organisation quelconque des anticapitalistes. Depuis un demi millénaire qu’il existe, le capitalisme a connu bien d’autres crises, dont il s’est jusqu’à présent toujours relevé. Il est certain qu’il ne mourra pas de mort naturelle, c’est le pourquoi de la construction d’organisations.
Elles devraient découler d’hypothèses stratégiques plus générales, qui précisent à la fois le rapport des forces sociales actuel, celui que l’on souhaite faire advenir, et les moyens par lesquels on se propose de passer de l’un à l’autre. Faire de la politique, disait Lénine, c’est toujours marcher entre deux précipices. La stratégie consiste à se frayer collectivement un passage vers un objectif en trébuchant le moins possible. Elle est par définition sujette à l’imprévu, puisque bien des paramètres de la situation échappent au contrôle des intéressés. L’objectif lui-même est condamné à demeurer en partie obscur, car il dépend du chemin qui est emprunté. La stratégie n’est donc en aucun cas le propre de ceux qui savent par avance, et qui raconteraient l’histoire depuis sa fin. PP a raison de dire que les révolutions sont inattendues. Les anticapitalistes du passé ne les ont toutefois pas attendues sans rien faire. Toute l’histoire du mouvement ouvrier atteste de l’imbrication permanente des temps présent et à venir dans la conscience des dominés, et de la fécondation des deux par la mémoire des luttes passées.
Plus précisément cette histoire atteste qu’on n’a pas obligatoirement besoin de partis pour engager des processus révolutionnaires. En revanche une perspective gramscienne en a un besoin absolu. Et pour faire advenir des révolutions socialistes, là encore c’est une donnée incontournable : aucune sans parti (sans partis au pluriel devrait-on dire).
Il y a donc un choix théorique à faire. Soit on défend que les luttes (multiples) font advenir une convergence spontanée qui pose et résout la question du pouvoir tenu par la bourgeoisie (je laisse de côté ici l’idée, qui fit pourtant florès, d’un mouvement qui déciderait d’ignorer volontairement le dit pouvoir). Soit il y faut des instances particulières, des partis. Comme le savent bien ceux qui les mettent en œuvre, les luttes sont placées sous la menace permanente de la logique du capital. Dire du capitalisme qu’il est un « système », c’est reconnaître sa propension de tous les instants à réinvestir des lieux dont il avait été chassé. C’est la raison pour laquelle un anticapitalisme conséquent ne saurait se contenter de la fascination de l’émiettement.
L’auto-activité n’est pas auto-suffisante. Elle peut l’être en partie mais dans des conditions exceptionnelles, de poussée révolutionnaire (68) où la question de la convergence est réglée par la dynamique du mouvement lui-même (et tant qu’on en est à l’équivalent de Février 17 ; pour Octobre, c’est une autre affaire). Mais si on est dans une guerre de position propre à une perspective gramscienne, ce n’est donc justement pas la situation. Pour éviter que tout ceci s’enferme dans le « small is beautifull », soumis inévitablement à la récupération ou à la répression, le niveau politique est indispensable. Celui où les questions de la propriété, du et des pouvoir(s), donc de l’État, deviennent centrales.
Cependant – c’est un des points majeurs en discussion – du fait que cette fonction spécifique soit indispensable, cela ne signifie nullement qu’il faille sacrifier à l’idée que, de ce fait, le parti soit partout et toujours en « position haute », en surplomb, par rapport aux autres composantes du mouvement social visant à l’émancipation. Le bilan historique comme l’évolution des idées et des pratiques doivent nous conduire au contraire dans un sens exactement inverse. On peut même durcir à juste titre cette analyse. Ce n’est que très rarement que les partis sont en tant que tels à la source de pratiques et théories nouvelles. C’est du corps social lui-même que sourd en permanence non seulement le rejet du capitalisme mais les germes de communisme. Comme dit Marx, celui-ci n’est jamais que le mouvement réel qui abolit l’ancien ordre des choses. Prenons un exemple apparemment lointain. Un nouveau style artistique (en peinture, en littérature), un film, une chanson font parfois bien plus pour secouer les choses que des manifestations de rue. Imagine t-on que ce soit à la suite d’une résolution de la direction du NPA que de telles innovations puissent surgir ? Poser la question, c’est y répondre. La chose s’étend bien au-delà. La plupart des idées nouvelles ne viennent jamais des partis constitués. C’est de l’extérieur des organisations révolutionnaires que sont nés le renouveau du féminisme, les mouvements homosexuels, les thèmes écologistes. Même les soviets russes ! Il y à cela une raison profonde : l’indispensable recherche de cohérence a tendance à boucler sur elle-même et à rendre difficile le surgissement nouveau. Une contradiction dialectique si l’on veut.
Jusqu’à la coupure avec le mouvement réel et au renfermement dogmatique ? C’est le risque, permanent. Mais nullement une issue obligatoire. Déjà il n’est pas impossible que, dans tel ou tel cas, ce soit du parti lui-même que surgisse le nouveau. De plus, même si ce n’est pas en tant qu’instance, il est souhaitable (et c’est même le cas courant) que des membres soient par ailleurs partie prenante à titre principal dans l’élaboration de styles, de théories, de mouvements et pratiques nouvelles (Maiakovski, à la fois poète et militant bolchevick). Surtout – c’est le point majeur – l’important est que le parti se laisse traverser par ce nouveau, voire en soit à l’affût (dans sa presse, son travail intellectuel, etc…). Le problème n’est pas au premier chef que des innovateurs et des penseurs géniaux ne soient pas issus de ses rangs (il peut s’en trouver mais ce n’est pas l’essentiel), mais serait que le parti soit dans l’incapacité de braconner sur les terres actives. En retour, quand ceci est réalisé, le parti est en mesure de diffuser ces nouveautés (déjà dans ses rangs), d’amplifier leur portée par son activité propre et dans sa sphère spécifique. De les répercuter loin de leurs sphères de production (par exemple à travers les classes et les générations), de généraliser des pratiques subversives nouvelles, et (surtout, mais là c’est une divergence connue avec PP) de les lier en faisceau stratégique. Le parti comme engrenage comme le présentait Daniel Bensaïd à la fin de sa vie.
Il n’est pas besoin de tendre l’oreille pour entendre chez PP (mais chez beaucoup d’autres aussi) l’idée que révolutionnaire, le parti doit l’être en tout, en pointe, devant tout le monde : formes de lutte, idées et théories nouvelles. On peut aboutir là, par une ruse classique de la pensée, au renversement de la perspective. PP n’a de cesse de critiquer (et souvent avec pertinence) l’avant-gardisme arrogant issu du léninisme où le parti s’institue grand éducateur. Mais qu’est-ce donc d’autre qu’il demande en exigeant du parti d’être l’éclaireur en chef, avant-garde de toutes les avant-gardes dans tous les domaines ? En éliminant la fonction spécifique des partis révolutionnaires dans la sphère particulière du combat politique central, il peut en venir à une sous-estimation de la créativité extérieure à la sphère partidaire, et, paradoxalement, à un avant-gardisme généralisé. Je ne voudrais pas durcir inutilement la polémique en affirmant qu’il en est bien ainsi chez lui (avec le procédé rhétorique classique du « c’est celui qui dit qui y est »). Mais, même si plusieurs niveaux de débat se superposent, il est clair que tant que celui sur la fonction des partis révolutionnaires n’est pas soldé, on peut aboutir à des malentendus ou, évidemment, à de vrais désaccords.
« Qui n’a pas fait d’enquête n’a pas droit à la parole » ?
PP reprend l’interpellation de Marx dans sa troisième thèse sur Feuerbach : « qui éduquera les éducateurs » ? Avec raison, c’est une question capitale. Mais il lui donne une tonalité basiste un peu étonnante. Comme si le parti avait à apprendre de l’expérimentation sociale (ça va de soi et j’y reviens), mais qu’en revanche les expérimentateurs n’avaient rien à apprendre de quiconque.
Qui éduque et qui apprend ? Et bien, tout le monde, mais pas la même chose, au même moment, de la même manière. Ce que défend Marx dans cette thèse est le rôle majeur de la praxis (elle renvoie aussi à la dernière thèse, fameuse, « les philosophes n’ont fait qu’interpréter le monde ; or il s’agit de le transformer »). Elle conduit à l’idée de base que je crois partager avec PP : les masses s’éduquent elles-mêmes comme produit de leur propre mise en mouvement. Si on regarde le problème à une échelle de peuples entiers, ou même de fractions plus petites, c’est l’auto-activité qui est motrice (chez Lénine par exemple : « un pas en avant vaut mieux que mille programmes »). Mais ce qui n’est pas clair chez PP n’est pas tant la méthode que le contenu : existe-t-il quelque chose à apprendre ?
L’activité sociale ne se déroule pas dans un champ vide de toute expérience. Elle peut d’ailleurs avoir aussi un aspect formellement éducatif que l’on retrouve dans toute l’histoire : celui de l’éducation populaire style Attac. Et si cela apparaît comme trop « intello », on peut faire référence aux bourses du travail des débuts du syndicalisme, au syndicalisme lui-même, comme à toutes les formes durables du mouvement social (voir par exemple : « La nuit des prolétaires » de Rancière). Ceci renvoie à un thème fondamental en sciences sociales (et qui n’a pas fini de diviser les écoles et les chercheurs). Dans toute production humaine, symbolique ou matérielle, il intervient des éléments dépendants de la situation immédiate et des déterminants qui lui préexistent. Selon une formule que j’utilise ailleurs, la question se présente ainsi : « qu’est-ce qui vient d’ici et de maintenant et qu’est-ce qui vient d’avant et d’ailleurs » ? Un peu de tout ça ? Certainement. Mais même s’il n’est pas question de penser trouver une réponse définitive à cette question, cela signifie au moins qu’il est déraisonnable d’éliminer un des termes. L’expérimentation sociale crée du nouveau, mais entourée du reste de la société : son idéologie dominante (et ses idéologies dominées), les rapports de force, les institutions, les structures, etc… qui elles, non seulement évoluent bien plus lentement, mais interfèrent avec l’expérimentation sociale elle-même.
Existe-t-il une parole autorisée qui puisse dire le vrai à propos de tout ceci ? Une « transcendance » unique ? Il y faudrait une connaissance infinie, dont seul Dieu est porteur. « Celui qui s’annonce pour savoir tout, montre seulement qu’il ignore les limites de l’esprit humain » dit bien plus modestement Diderot.
Dans ses commentaires au texte de Sabado et Crémieux, PP avance :
« Comment pouvons-nous nous battre aux côtés des activistes qui se mobilisent sur de multiples causes (des sans-papiers aux malades du Sida, en passant par les précaires, les mal logés, les usagers de drogues illégales, etc.), sans apparaître comme donneurs de leçons ou comme ayant déjà les réponses à toutes les questions qui se posent, mais au contraire avec le souci d’apprendre de ces mouvements et de leurs inventions ? Voilà des questions qui doivent être au centre de nos préoccupations.
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Un tel parti est donc ouvert sur son environnement. Il sait qu’il doit apprendre, s’enrichir. Face à un événement nouveau, comme par exemple, l’arrivée dans le parti de femmes voilées, il ne réagit pas en disant : « Nous, nous savons ce que veut dire le voile, c’est un symbole de l’oppression des femmes. Nous n’avons qu’une chose à faire : vous l’expliquer et élever votre niveau de conscience » Il dit, au contraire : « Nous pensions savoir ce que veut dire le voile. Mais, vous arrivez dans le parti en anticapitaliste et en féministe tout en portant le voile. C’est totalement nouveau pour notre tradition. Nous voulons discuter avec vous, apprendre comment vous vivez les choses... » Nous ne prétendons pas tout savoir. »
Il semble aller de soi dans ces déclarations que ces mouvements eux n’ont rien à apprendre, de nous ou de quiconque. Ils n’ont aucun passé, aucune source repérable, aucune référence interrogeable. Rien que du nouveau, proche à l’évidence pour PP, de la pureté « d’en bas ». Bien entendu nous connaissons tous (et PP aussi) l’exact inverse : ceux et celles pour qui rien de bien nouveau ne peut jamais survenir (il y a des réformistes, il y a des révolutionnaires : quelque chose d’autre à dire ?). Rien de nouveau sous le soleil, comme dit l’Ecclésiaste [4].
Gardons-nous aussi de la posture du moyen terme raisonnable, « donneur de leçons » dirait PP. Mais enfin tout de même, la complexité de chaque mouvement appelle réflexion non ? Une question déjà : jusqu’à quand le nouveau est-il nouveau ? Quel est le délai à partir duquel il ne l’est plus ? La Commune, c’était du nouveau ? Evidemment. Mais elle a eu lieu, non ? On en discute ou « on fait du nouveau nouveau », puis du nouveau sur du nouveau ? C’est tout le problème avec le constructivisme radical. Tout est construit dit-il. Les maisons ? Elles ne sont pas données, mais construites. Bien sûr ; évidemment. Oui mais une fois qu’elles le sont, construites, elles existent pour elles-mêmes ou pas ? Et elles conditionnent les constructions futures ? Non ?
Bien sûr que oui ! J’avais (je n’étais pas le seul) le même débat avec les Mao des années 60-70 pour qui « Qui n’a pas fait d’enquête n’a pas droit à la parole » comme disait Le Grand Timonier. Mais peut-on faire des enquêtes sans théories, modèles voire idées préconçues ? Et quand l’enquête est faite, on recommence la suivante à zéro sans bâtir aucun savoir un peu cumulatif ? « Les activistes qui se mobilisent sur les diverses causes » dit PP. Il n’y a aucun jugement préalable sur le fait que ces causes soient potentiellement orientées dans un sens émancipateur ? Un électeur du FN, c’est sa « cause » qu’il défend en votant, évidemment. Il y certainement la plupart du temps autre chose à en dire et à comprendre dans ce fait que juste insulter cet électeur, tant il est vrai que même dans ce cas « nous ne prétendons pas tout savoir ». Mais, tout de même, c’est afin de le détourner de ce choix désastreux, on peut du moins le supposer. Comment il fait PP avec ça ? Car nous y voilà : « tout ce qui bouge n’est pas rouge ». Qui décide que ça l’est ou pas ? Personne et tout le monde. C’est un débat. Mais un débat général. On rejette d’évidence comme « non rouge » la manifestation d’un délire frontiste, bien qu’il ne soit pas toujours « la parole d’un idiot ». Mais pourquoi alors valoriser à ce seul titre, celui de la parole d’en bas, d’autres positionnements ? La différence, la vraie, est que dans un cas ça va dans un sens qu’on approuve éventuellement et pas dans l’autre. Il faut donc dire plus justement : cette parole d’un non idiot (parole « d’en bas »), je l’entend, puis je (je, et pas un autre ; PP ou moi par exemple) l’approuve ou la désapprouve. Ce qui laisse l’espace du débat, même une fois émise la parole d’en bas.
Contrairement à ce qu’avançait Foucault lors de la révolution iranienne (et il n’était pas le seul, loin de là ; dans la LCR elle-même…), s’il n’y avait pas de doute qu’il « fallait bouger » en Iran (il était hors de question de soutenir le Shah), il n’y en avait guère non plus sur le fait que la révolution khomeyniste entraînerait une somme infinie de nouvelles oppressions. Tout ce qui bouge n’est pas rouge…
Apprendre et comprendre de « tout ce qui bouge » va de soi. Admettons pourtant ce que PP affirme, que justement, l’esprit de fermeture propre à l’arrogance dogmatique va en sens inverse. Il a malheureusement amplement raison sur ce point. Ça ne veut pas dire qu’il ait raison sur le reste. Ne jamais abdiquer de son esprit critique est une nécessité tout aussi absolue. Je n’ai jamais « fait d’enquête » directe sur les camps nazis. Jamais été vérifié de visu que le stalinisme était ce que de fieffés réactionnaires disaient qu’il était. On m’a assez abreuvé que je n’avais pas à parler à la place du glorieux peuple soviétique. Ni à la place de personne d’ailleurs. Mais – avec Philippe Pignarre pour le coup – nous avions raison de rejeter ceci de toutes nos tripes. Non ? [5]
Samy