Face à l’incertitude, les experts en sont réduits à élaborer des scénarios. Ils parlent d’hypothèses, de probabilité, se veulent prudents. Mais ne cachent plus leur inquiétude. Alors que la situation n’est toujours pas maîtrisée à Fukushima, la zone autour de la centrale est d’ores et déjà exposée à des rejets radioactifs significatifs.
A ce jour, les particules radioactives présentes dans l’atmosphère autour de la centrale proviennent essentiellement du réacteur numéro 2, dont l’enceinte de confinement a été endommagée. C’est d’ailleurs en se concentrant sur le cas de ce réacteur que l’Institut de radioprotection et de sûreté nucléaire (IRSN) a effectué une simulation pour tenter de comprendre l’étendue d’une contamination éventuelle.
LE SITE DE LA CENTRALE TRÈS EXPOSÉ
La projection permet d’évaluer quels seraient les risques encourus après 48 heures si le cœur fondait à 100 % – il serait actuellement endommagé à 33 %, selon les autorités japonaises –, dans une enceinte de confinement toujours en place mais dégradée, comme elle l’est actuellement. Pour mesurer cette dangerosité, il faut savoir qu’à partir d’une dose cumulée de 100 millisievert (mSv), les effets sur la santé sont avérés ; entre 100 et 1 000 mSv, si les effets ne sont pas immédiats, il existe un risque accru de développer certains types de cancer – de la thyroïde notamment, auquel les enfants sont particulièrement exposés.
Estimation des doses cumulées pour des personnes exposées sans protection aux rejets radioactifs en supposant que le cœur du réacteur numéro 2 de Fukushima Dai-Ichi a fondu à 100 %.IRSN [cartes pas reproduites ici]
Sur le site de la centrale, la dose de radioactivité à laquelle serait exposée dans ce scénario une personne qui resterait à l’extérieur sans protection atteint plus de 1 000 mSv. A partir de ce seuil, explique le docteur Patrick Gourmelon, chef du département de protection de la santé de l’homme à l’IRSN, « les rayons ionisants commencent à détruire la moelle osseuse, avec atteinte des cellules souches, diminution du nombre de plaquettes et de globules blancs... Cela veut dire que des intervenants risquent leur vie dans les semaines et les mois qui suivent ».
Dans son scénario, l’IRSN a volontairement noirci le trait, puisqu’à ce jour le cœur du réacteur numéro 2 n’a pas totalement fondu, et que les intervenants présents sur le site font l’objet de mesures de protection. Mais une dégradation des conditions est, hélas, loin d’être exclue. « On pourra dire que les combustibles seront stables lorsqu’ils seront refroidis. Aujourd’hui ce n’est toujours pas le cas, on ne connaît pas leur état. Ils peuvent encore se dégrader, fondre et atteindre le fond de la cuve », menaçant alors l’intégrité de toute l’enceinte de confinement. En outre, le scénario n’intègre pas les risques liés au réacteur numéro 4, aujourd’hui le plus préoccupant.
SUR PLACE, UNE SITUATION CRITIQUE
L’état de la piscine de déchargement concentre toutes les craintes : entrée en ébullition, l’eau menace de ne plus y assurer le refroidissement du combustible, usé mais toujours fortement radioactif. Si le refroidissement ne s’améliore pas, avant que la totalité du combustible ne soit totalement hors d’eau, explique Thierry Charles, directeur de la sûreté des usines à l’IRSN, « il faudra compter un jour ou deux, puis après les rejets vont apparaître ». Ces derniers seraient beaucoup plus importants que ceux déjà constatés au niveau des réacteurs 1 à 3, car les piscines à combustible se trouvent quasiment en plein air, sans enceinte de confinement.
L’accident prendrait alors une toute autre dimension : « On serait dans la même gamme de rejets que Tchernobyl », explique Thierry Charles. Sans compter qu’un tel niveau de rejets mettrait en péril les opérations en cours sur les autres parties du site, devenues trop dangereuses.
UNE ZONE DANGEREUSE POUR L’INSTANT LIMITÉE
Qu’en est-il pour les personnes résidant en dehors de la zone évacuée par les autorités, d’un rayon de 20 kilomètres autour de la centrale ? Dans le scénario actuel, quarante-huit heures après le début des rejets, elles ne seraient pas exposées à un risque fort : à cette distance, la simulation donne une dose de radioactivité cumulée inférieure à 10 mSv. « Pour [cette] population, on est dans un autre univers, explique le Dr Patrick Gourmelon. En dessous de 100 mSv, nous considérons que nous sommes dans le domaine des faibles doses, donc des faibles risques. Il devient très faible en dessous de 10 mSv, et négligeable en dessous de 1 mSv. »
Ensuite, l’évolution du panache radioactif dépendra des développements en cours à Fukushima. Pour le moment, « le panache va d’abord vers le sud puis se dirige vers le Pacifique », explique Didier Champion, directeur de l’environnement et de l’intervention à l’IRSN, « ce qui a été rejeté va continuer à se déplacer, en se diluant à l’avant [du nuage] mais en restant concentré à l’arrière ». Mais c’est surtout la donnée temporelle qui va conditionner l’impact sanitaire. « Ce n’est pas tellement la dose [d’exposition à un moment donné] qui va jouer mais le fait d’y être exposé en permanence », précise-t-il.
Quant à un impact bien au-delà des frontières de l’archipel, il n’est pour l’instant pas d’actualité. En Europe, « les niveaux que l’on attend vu la distance sont très faibles », à la limite de détection des appareils, explique Didier Champion.
Marion Solletty