La première raison qui doit pousser à analyser ce qui représente sûrement un des événements mondiaux les plus importants en termes sportifs (seuls les JO le surclassent en aura médiatique et en volume financier), et évidemment économiques, tient dans le lieu où se déroule cette dix-neuvième édition de la coupe du monde football : l’Afrique du Sud. Le choix de ce pays répondait pour la Fifa à de nombreux critères. D’abord d’aller tailler des croupières dans les dernières zones géographiques où prédomine encore le frère ennemi qu’est le rugby. L’occasion était trop belle de parachever un long et irréversible processus de globalisation hégémonique du ballon rond (cf. choix des USA en 1990 et du Japon-Corée en 2002), au passage, un des derniers espaces de l’industrie de divertissement où le vieux continent reste, sans contexte, le centre de gravité et de décisions incontournables.
Ensuite, il s’agissait aussi de valoriser le poids du football africain, produit d’appel incontournable d’une bonne conscience qui semble oublier par exemple les difficultés de la Fifa à exclure les Sud-Africains au temps de l’apartheid (suspendu en 1964 puis exclu en 1974, le CIO attendra 1970). Mais davantage que des championnats exsangues ou des équipes nationales pour l’instant sans palmarès, c’est l’immense réservoir de joueurs talentueux qui se trouve en quelque sorte ici récompensé, un peu à l’instar du meilleur employé du mois dans un McDo. De l’Ivoirien Didier Drogba, vedette de Chelsea, au Camerounais, Samuel Eto’o à l’Inter, et même le Ghanéen moins célèbre, André Ayew chez les surprenants promus en L1 Arles-Avignon, les stars africaines indiquent le tempo du foot mondial, comme jamais l’Afrique n’y arrive ailleurs, y compris dans la culture. En retour, le trafic des jeunes joueurs a pris une telle ampleur surréaliste et complètement décomplexée, que l’expression de « négriers du football » est entrée dans le langage courant.
Football et colonialisme
Car au-delà des idoles, se cache une dure réalité. En ce cinquantenaire de la décolonisation, le football africain n’a jamais réussi à sortir de son statut de dépendance et il est même aujourd’hui victime d’une forme insidieuse de néocolonialisme subtile, auquel s’associent tant de gloires parties en Europe, et qui reviennent au pays gérer les affaires. Le développement endogène et autosuffisant du foot africain (aujourd’hui financièrement sous perfusion de la Fifa et des sponsors) reste une lointaine perspective.
Preuve de cette relation ancillaire, de nombreux observateurs ont critiqué la politique du gouvernement et des autorités qui semblaient en profiter pour vider certains centres-ville et/ou quartiers de leurs populations miséreuses trop visibles (et souvent noires). Un constat qui résonne avec le rapport de l’architecte brésilienne Raquel Rolnik, auprès de l’ONU et de l’Unesco, qui a dézingué dans les grandes largeurs les compétitions internationales du CIO et surtout de la Fifa, occasions fréquentes selon elle de déloger des centaines de milliers de « pauvres » des zones centrales des villes afin de les « embellir », sans pour autant garantir un toit décent en retour.
Pendant ce temps, la Fifa attend la venue de Barack Obama.
Martov
À lire :
Revue Quel sport, n°12-13, « Football, une aliénation planétaire », mai 2010.
Histoire du football (Perrin)
Paul Dietschye et David-Claude Kemo-Keimbou, « L’Afrique et la planète football » (E/P/A).
Écouter :
« Ginga – The sound of brazilian football » (Mr. Bongo)
Exposition :
« Allez la France ! Football et immigration, histoires croisées », du 26mai au 17octobre à la Cité nationale de l’histoire de l’immigration (http://www.histoire-immigration.fr) Yvan Gastaut « Football et immigration » (Découverte Gallimard)
* Paru dans la Revue TEAN 11 (juin 2010).
DU FOOTBALL DANS LA REVUE DU NPA ? ! ET POURQUOI PAS
?
Alors que le foot fait la une des médias et parfois davantage pour les exactions des supporters que pour la beauté du jeu, il est utile de démythifier ce sport qui n’est pas voué par une sorte de fatalité à faire le lit de l’extrême droite.
En ce mois de juin, la coupe du monde de football bat son plein, et avec elle son cortège de sponsors, de déification en « artistes du ballon rond » de gamins surpayés, de discours lénifiants sur les vertus civilisatrices du sport, formidable tremplin d’intégration, et bla bla bla… Le football est devenu un monstrueux outil de la mondialisation capitaliste, mais ne doit-on pas considérer qu’un autre sport est possible ? Car ne pas s’occuper du foot, c’est admettre que le capitalisme a gagné, qu’il n’y a pas d’alternative, attitude bien peu combative que l’on trouverait inadmissible pour tout autre champ d’activités. On trouve légitime que le mouvement ouvrier ait un discours sur la science, les arts, la sexualité, l’économie, la religion… tout sauf le sport, et surtout pas le football.
On n’en voudra à personne d’aller au cinéma, quand bien même ce camarade ira voir la dernière bouse hollywoodienne bien fagotée, mais aller au stade... beurk. J’entends déjà répondre que « c’est pas pareil, le cinéma, c’est de l’art, de la culture ». Il y aurait donc des pratiques saines qui relèvent de la culture légitime, et d’autres de la culture populaire (et donc vulgaires) qui ne seraient pas défendables. Ne voir dans le sport qu’aliénation et opium du peuple, dans une attitude que l’on pourrait assimiler à du racisme de classe [1] est réducteur : c’est oublier tout ce que le mouvement ouvrier a construit autour d’un sport émancipateur – de la Fédération sportive et gymnique du travail (FSGT) au magazine Miroir du football qui alliait analyse du jeu et critique sociale –, oublier les références ouvrières dans le foot (Red Star, Argentinos Juniors qui s’appelait à sa création club Martyrs de Chicago) ou les pratiques politiques (les Corinthians de São Paulo équipe autogérée ferment de la résistance démocratique dans le Brésil de la dictature…).
Un reflet de la société
Autre reproche fait au football, être une pratique intrinsèquement fasciste. Rino Della Negra, ailier du Red Star de Saint-Ouen, FTP du groupe Manouchian, fusillé en 1944, apprécierait sûrement.
Il est commun de caricaturer le supporter en beauf imbibé de bière, raciste ou manipulé par des groupes d’extrême droite infiltrés. D’autant plus commode que de déplorables faits récurrents nourrissent cette tendance méprisante et semblent lui donner raison. Qu’en est-il en réalité ?
La confrontation sportive favorise l’expression exacerbée de revendications chauvines mais il est réducteur d’expliquer le racisme et la violence par la seule nature du football. D’autres sports sont touchés (sans atteindre il est vrai un tel degré d’ignominie).
Faut-il s’étonner de ces agissements dans les stades quand on assiste à la précarisation de larges pans de la société, à un regain de l’extrême droite, à la libération de la parole raciste notamment au sommet de l’État, à des crispations identitaires… L’enceinte sportive est un révélateur d’une société malade et d’une situation politique inquiétante.
L’activité de l’extrême droite en tribune doit être mesurée sans fantasme. Leur influence en France est plutôt faible. Il y a de fait peu de supporters réellement politisés : ce qui prime c’est soutenir son équipe avec plus ou moins de classe. Selon le sociologue du sport Tim Crabbe, la xénophobie n’est qu’un prétexte : « Même quand le racisme des supporters se veut plus politique, il reste souvent instable et fluctuant car en réalité, seules comptent les rivalités entre clubs ». « Il y a peut-être 80 % des gens qui votent Front national chez nous, mais on ne fait pas de politique », déclarait le président de la Brigade Sud Nice au Monde, en 2003. Il est raisonnable de penser que si les militants d’extrême droite peuvent trouver là un terrain favorable, cela n’en fait pas un lieu de recrutement, les fachos se trouvant souvent débordés par les hooligans ou interdits d’exercer par les ultras soucieux de maintenir l’apolitisme en tribune [2]. Dans l’Équipe, en mai 2003, un responsable du Club des supporters de Nice déclarait : « Qu’ils montrent Che Guevara ou la croix celtique, du moment qu’ils aiment le club on s’en fout. Mais je m’opposerai fermement à toute tentative de manipulation de la part d’un groupe politique. »
Parmi les militants, on retrouve également la division entre les supporters prônant l’activité dans les stades, et ceux considérant qu’il est vain de faire du travail politique pour une équipe de « mercenaires allogènes ».[3]
La possible lutte contre le racisme
Concernant le racisme en tribune, en dehors du cas exceptionnel du PSG, la France est relativement épargnée comparée à des pays où la tradition ultra est bien implantée (Espagne, Italie, Grèce) et d’autres où les supporters sont très impliqués pour leur équipe nationale (Angleterre, Allemagne) ou surtout les ex-pays de l’Est.
Ce phénomène gangrène par contre le football dans les divisions inférieures et le football amateur qui représentent des millions de personnes. C’est là que se passe la plupart des actes de violence et de xénophobie, y compris contre des joueurs de son propre club.
La question du racisme dans le football n’est pas réductible aux supporters. S’attaquer à eux permet parfois de dédouaner à peu de frais les dirigeants également à l’honneur [4] (sans parler des commentateurs).
Pour nettoyer les tribunes françaises, les autorités mettent en place des actions comme celles qui ont éloigné les hooligans des stades de Grande-Bretagne : interdiction de stade, pointage au commissariat le jour des matchs, places assises, augmentation du prix des places. La lutte contre le racisme et la violence, pour légitime qu’elle soit, tombe extrêmement bien pour les clubs, désireux de se débarrasser de leurs minorités frondeuses mais peu argentées des virages : en virant les fachos, on exclut dans le même mouvement les classes populaires auxquelles on préfère un public plus docile et enclin à consommer dans les complexes commerciaux que deviennent les stades. Seuls ceux qui n’y sont jamais allés croient que l’on chante encore dans les stades anglais.
Autres réponses apportées de manière caricaturale, la dissolution et la répression. La dissolution récente d’associations de supporters (Supras Auteuil, BSN, Commando Loubard…) ne règlera rien, comme celle des Boulogne Boys en 2008 et ne servira qu’à alimenter des groupes d’indépendants moins identifiables et plus radicaux.
L’espoir de voir des tribunes cassant le cliché du beauf d’extrême droite viendra plutôt de l’émergence de supporters antiracistes (et prônant comme à Metz leur rejet de toute forme de discrimination comme l’homophobie), et de leur capacité à résister au foot business. Ce type de groupes existe à Bordeaux, Rennes, Metz, Sochaux, Marseille « organisés » à travers le Réseau de supporters de résistance antifasciste (RSRA).
Le modèle est sans conteste le club FC Sankt Pauli. Dirigé par un homme de théâtre homosexuel, le club situé dans le quartier alternatif de Hambourg affiche statutairement son antifascisme. Étroitement liés aux décisions du club, les militants d’ex-trême gauche contrôlent les tribunes et y font vivre une culture populaire antifasciste par les chants et les banderoles. Une alternative au foot business qui fait envie : l’année prochaine ils joueront en première division allemande. Alors, à quand une équipe du NPA ?
Antoine Sindelar
1. Comme l’écrit Christian Authier dans Football & Co, Noirs et Blancs : « Sous le cri « Salauds de supporters ! », il n’est pas difficile d’entendre : « Salauds de pauvres ! »
2. Défenseurs des couleurs du club, les ultras ne doivent pas être confondus avec les hooligans malgré des faits de violence et leur virulence. Porte-parole des supporters organisés en association, animateurs des tribunes, tenants d’un foot populaire contre le foot business et les lois répressives (tout en réclamant des joueurs de renom pour gagner des titres) leur positionnement oscille entre reconnaissance par le club et indépendance.
3. Lu sur le forum des Jeunesses Identitaires : « Comment peut-on être fan de foot quand on voit l’origine de ses joueurs. Un nègre, qu’il joue bien à la balle ou non reste un nègre ! »
4. Raymond Goethals, feu entraîneur de l’OM, vantait les qualités de sa défense, par les qualités intrinsèque de la « race noire » dont faisaient partie ses joueurs.
5. En février 2000, l’entraîneur de Bari déclare que la salive du joueur noir du Torino Diawara est porteuse du sida.
* Paru dans la Revue TEAN 11 (juin 2010).
EQUIPE DE FRANCE DE FOOTBALL : LES FANTASMES D’UN NATIONALISME RANCE
Ni Dieu ni Domenechn’ont été en mesure de réaliser de miracle : la France ne remportera pas le Mondial 2010. C’est la loi du sport. Mais celles et ceux qui espéraient des bénéfices politiques et financiers d’un remake de la victoire de 1998 en sont aussi pour leurs frais. Cette année-làon a beaucoup célébré la victoire d’une France « Blacks, Blancs, Beurs » où les gamins des banlieues n’étaient pas la cible de penseurs en mal de reconnaissance mais étaient promis à un avenir Zidanesque.14 ans, une révolte, et surtout une élection présidentielle plus tard, retour à la case départ, et pire même. En 2005, le ministreSarkozy menace de nettoyer au karcher la « racaille » des cités. En 2007, le candidat-PDGnous somme d’aimer la France ou de la quitter, pauvres con-ne-s que nous sommes à nous serrer la ceinture, entassé-e-s dans les quartiers populaires, infoutu-e-s d’avoir une Rolex à 50 piges passées. L’équipe qui gouverne la France, avec son super sélectionneur de président, est, elle, très publiquement, plus encline aux insultes qu’aux avancées sociales. De Hortefeux, à Morano, en passant évidemment par Besson et autres caïds à lunette de l’UMP, on ne compte plus les invectives racistes et le mépris de classe.
Alors, bien sur, le football est à remettre dans son cadre social. Celui d’un sport populaire, où le travail, le talent, le respect de l’autre produisent souvent très beaux moments de jeu et de spectacle collectifs, mais que la marchandisation et le bizness outranciers ont profondément perverti. Et, tout en évitant d’en faire le centre des préoccupations politiques et sociales, nous devons dénoncer aussi bien le mirage de la victoire de 1998 présentée comme la concrétisation de l’égalité des chances et des droits, que le racisme et le nationalisme puant sous-jacents aux critiques de la défaite des « Bleus » en 2010.
Cet échec sportif a en effet réveillé les stridulations vuvuzelesques des penseurs « ethnicistes » qui prétendent défendre l’honneur de la France éternelle (comprenez blanche et chrétienne), et sont aujourd’hui relayés bien au-delà de leurs rangs habituels. En ces temps de crise et de difficultés pour les classes dirigeantes, ces philosophes en carton, les Finkelkraut et Zemmour, entendent nous éclairer sur ces dangereux « caïds de banlieues » et les cohortes qu’ils cachent sous leurs maillots. Si la France (éternelle…) va mal, c’est de la faute aux immigré-e-s, à leurs enfants, et à ces crasseux petits Blanc-che-s traitres-ses à leur race et qui trainent en leur compagnie, formant des bandes bruyantes et malodorantes de sauvageons totalement inassimilables et non bio-dégradables dans les valeurs françaises judéo-chrétiennes. La mise en avant politique et médiatique de cet épisode sportif est ainsi autant symptomatique qu’affligeante. On convoque Thierry Henry à l’Elysée et on auditionne Domenech et Escalettes à l’Assemblée, plutôt que d’accéder aux revendications des millions de manifestant-e-s qui défendent la retraite à 60 ans, parce que la « question nationale » a bien plus d’importance pour le gang de Fouquet’s que la « question sociale ».
Ce ne sont donc pas les joueurs de l’équipe de France qu’il faut virer, mais bel et bien Sarko 1er, Woerth le second couteau et toute leur cour bling bling ! Et pour parler un peu grossièrement comme le cousin Nico (celui d’Arsenal, évidemment), nous, on leur dit bien haut et fort : ALLEZ VOUS FAIRE BROSSER AVEC VOTRE SYSTEME CAPITALISTE DE MERDE !
Mariam, Kohou, Moulzo, enfants des « républiques bananières » qui vous saluent, cheveux au vent, du haut de leurs cocotiers cinquantenaires.