Dans le bus allant de Managua (Nicaragua) à Tegucigalpa, capitale du Honduras, il y avait de nombreux Honduriens qui rentraient chez eux. Très rapidement, mes voisins et moi en sommes venus à aborder le sujet brûlant des prochaines élections.
Ma voisine, fidèle électrice du Parti libéral, avait voté pour Zelaya, le président régulièrement élu et renversé par le coup d’État. Elle exprimait son aversion profonde envers Michiletti, le président porté au pouvoir en juin dernier par les militaires. Pourtant, Michiletti est lui aussi membre du Parti libéral. Elle m’expliqua que, depuis le renversement de Zelaya par l’armée, la criminalité avait fortement augmenté dans le pays. Elle soutenait les mesures prises par Zelaya, notamment l’établissement d’un salaire minimum, l’intégration de son pays à l’Alba, l’accord politique et économique avec des pays comme le Venezuela, Cuba, le Nicaragua, la Bolivie. Et pourtant, elle pensait sans doute aller quand même voter. Je réalisais que ma voisine craignait avant tout que la situation et la sécurité de la population empirent et qu’il valait mieux faire le dos rond. Alors, un monsieur, assis devant nous, s’est joint à notre conversation. Il était électeur du Parti conservateur, parti considéré comme plus à droite que le Parti libéral. Son candidat actuel à la présidence, Porfirio Lobo, fervent soutien au coup d’État, était donné favori. On aurait pu penser que notre interlocuteur soutenait les putschistes puisqu’il se disait conservateur et qu’il votait jusqu’à présent pour ce parti. Mais il était, au contraire, fermement révolté par le coup d’État et encourageait, tout en la comprenant, ma voisine à ne pas voter. « Je suis loin d’être le seul électeur conservateur à penser comme cela » disait-il. Selon lui, il fallait s’attendre à des manifestations contre le coup d’État dans les prochains jours et sans doute dimanche. Lui aussi redoutait les violences de la part des militaires.
Deux autres personnes se sont jointes à la discussion, elles aussi favorables au boycott des élections. Tous disaient que c’étaient les militaires et les capitalistes, selons leur propre termes, ainsi que le président « de facto » Michiletti qui étaient responsables de la situation plus que préoccupante de leur pays.
Finalement, notre bus s’est arrêté au poste frontière du Honduras. Les autorités nicaraguayennes avaient fermé la frontière jusqu’à mardi matin. Je faisais remarquer au monsieur qui était électeur conservateur et partisan du boycott des urnes : « Si je comprends bien, personne d’entre vous ne va voter dimanche ». « Ce n’est pas tout, m’a-t-il répondu, c’est mon épouse qui a ma carte d’électeur. Elle risque de voter pour moi… », m’a-t-il dit sans sourire. « Si c’est cela je divorce ! Et puis non, je suis sûr qu’elle n’en fera rien et qu’elle ne votera pas non plus. »
Marc Dubrul
* Hebdo TEAN 33 (03/12/09)
En direct de Tegucigalpa, capitale du Honduras
Marc, militant du NPA, est actuellement à Tegucigalpa et nous a envoyé ces mini reportages
Tegucigalpa, mercredi 3 décembre, 19 h 35 (heure française).
Il y a du monde. Plus qu’hier ce matin. Les manifestants sont bien remontés.
Les flics ont chassé les manifestants de la place où il y a le musée car elle se trouve près du Parlement qui doit en ce moment décider du statut politique de Zelaya.
Nous nous sommes donc repliés sur la place de la cathédrale, dans le centre ville, un peu plus loin. Nous sommes encerclés, ce qui a l’avantage pour les putschistes d’empêcher d’autres manifestants de nous rejoindre. Il y a environs 1000 manifestants.
Lundi 1er décembre à 22H (heure française).
Je viens d’aller près du musée où les opposants à l’élection se rendent quotidiennement. En fait, il y a du monde dès 10 h du matin, heure locale, plusieurs centaines de personnes qui ont la pêche.
Les orateurs disent que le nouveau gouvernement va bien devoir tenir compte de ceux qui n’ont pas voté (« nous, les partisants du boycotage sommes une force ») et ils n’ont pas encore dit leur dernier mot.
Le ton est au drapeau rouge, photos du Che, bien à gauche en tout cas.
J’ai discuté avec un marchant de coca, un jeune. Il m’a parlé des mesures de Zelaya en faveur des pauvres comme le salaire minimum. Il m’a parlé, comme je suis Français, de la Révolution francaise et m’a dit : « tu vas voir, si tu reviens dans un an ça va changer ». Il voit dans le regroupement de cette résistance une force politique en faveur des pauvres.
Tout cela est bien regonflant dans un pays jusqu’à présent plutôt conservateur.
La photo montrent les manifestants brandissant leurs doigts. Il n’y a pas d’encre dessus car il n’ont pas voté.
Marc