Lorsqu’un jeune colonisé, entré dans l’Histoire sous le nom de Hô Chi Minh, débarqua à Marseille en 1911, il eut deux surprises : s’entendre donner du « monsieur » en entrant dans un café et se faire racoler par des prostituées. Plus tard, à Paris et ailleurs, il vit des chômeurs se présenter dans une soupe populaire, des vieillards fouiller dans des poubelles : « il y a donc de la misère comme chez nous ». Alors dans un récit autobiographique, il pose la question suivante : « pourquoi les Français ne civilisent-ils pas les leurs au lieu de prétendre nous civiliser ».
Lorsque Hô Chi Minh met le doigt sur les aspects sombres de la France qui prétendait imposer sa domination sur d’autres peuples en vertu d’une supériorité racio-culturelle, il dévoile les défaillances de cette société et souligne que les relations entre dominés et dominants dans l’empire colonial, est un jeu de miroir qui renvoie aux uns et aux autres le reflet de leurs vertus et de leurs vices, en bref de leurs contradictions.
Il se rend compte également que la violence et l’oppression sont multiformes et inhérentes à toute société. Le sort réservé aux déshérités et aux faibles, aux femmes, enfants, vieillards, prolétaires (et aux noirs américains lorsqu’il alla aux États Unis) dans la métropole, est reproduit dans les colonies. En France, les critères de discrimination ou d’exclusion relevaient du statut social, de la fortune (souvent liés entre eux). Il faut leur ajouter qu’à la fin du 19e et au 20e siècle, l’antisémitisme était devenu un courant très fort en France même s’il ne prit jamais une tournure exterminatoire avant le régime de Vichy.
Dans les colonies, le critère de hiérarchisation sociale est l’appartenance raciale, les peuples soumis au joug colonial étant considérés comme inférieurs. La différence entre le colonialisme français et le nazisme allemand est dans l’idée exprimée par Jules Ferry, que les peuples supérieurs qui colonisent les autres ont le devoir d’éduquer ces derniers. Cette spécification par Jules Ferry a conduit le régime colonial français à développer un enseignement qui, aussi limité fût-il,
a engendré une catégorie sociale que l’on appelait les « évolués », terme qui correspond à la vision évolutionniste dominante au 19è et 20e siècle.
Si la soi-disant infériorité raciale justifia les massacres au moment des conquêtes ou des révoltes réprimées, la mission et le devoir de corriger cette infériorité par l’action éducative et sanitaire conduisirent à l’émergence d’un « Tiers État qui réclamera ses droits si la France ne le lui accorde pas », selon les paroles d’Alexandre Varenne, gouverneur général de l’Indochine (1925). Cette nouvelle classe mit fin aux empires dans l’Amérique anglaise, espagnole puis à ceux de la France, de la Grande Bretagne et du Portugal dans les mondes asiatique et africain quitte à pratiquer elle même la violence pour gouverner leurs peuples.
L’anecdote suivante illustre parfaitement le paradoxe impérial : une femme-médecin d’origine saïgonnaise du nom d’Henriette Bui, revint dans son pays exercer la médecine et elle s’y heurta au préjugé racial des Européens y compris de ses confrères alors qu’elle n’avait pas subi de discrimination pendant les huit années passées en France. Sa contemporaine, Jeanne Lévy, première femme reçu à l’agrégation de médecine en 1934, était chahutée lorsqu’elle montait en chaire, parce qu’elle était une femme ? peut être, mais parce qu’elle était d’origine juive, sûrement.