Installé en 1967 par Jacques Foccart [1] à la tête d’un émirat pétrolier du Golfe de Guinée, Omar Bongo, membre des réseaux maçonniques, a été l’ami et le bras droit africain de tous les présidents de la Ve République. De De Gaulle à Sarkozy sans rupture, ni trahison, il a été l’acteur privilégié de la françafrique comme de la mafiafrique, aidant la France et ses multinationales à maintenir une domination politique et économique coloniale sur son pays et plus largement sur le continent africain. Bongo était un fin connaisseur de la scène politique hexagonale. Il a su se rendre indispensable en se créant un réseau d’obligés à Paris, de droite comme de gauche. Ainsi le soir de son élection, Nicolas Sarkozy, qui avait pourtant annoncé la « rupture » avec des pratiques d’un autre temps et de ténébreux réseaux franco-africains, a appelé un seul dirigeant étranger : Omar Bongo, pour le remercier de ses « conseils ».
Des casseroles aux marmites
Comme un dernier pied de nez à son peuple, Omar Bongo a eu la chance de mourir sans être jugé ni puni pour les crimes qu’il a commis. Le président gabonais est pourtant impliqué dans de nombreuses affaires comme l’affaire Elf, celle du financement de campagnes électorales en France [2] ou encore, dernière en date, celle des biens mal acquis.
En 1994, éclate l’affaire Elf [3]. Ce procès portant sur des détournements de fonds d’un montant global de plusieurs centaines de millions d’euros entre 1989 et 1993, a mis au jour les circuits de l’argent « noir » du pétrole, entre chefs d’Etat étrangers, les réseaux politiques français et les grands patrons. Omar Bongo est au première loge de cette affaire politico-financière, accusé de détournement de fond. L’instruction et les débats révèlent par exemple que le président du Gabon pouvait toucher des bonus à la signature d’un contrat, compris entre 1 et 5 millions de dollars, ou bénéficier des abonnements (de 40 cents à 1 dollar par baril de brut). Dans un rapport sur le blanchiment de l’argent sale aux Etats-Unis, le Congrès américain a estimé à 100 millions de dollars les sommes détournées chaque année par le président Bongo et son entourage. Bongo et les membres de son clan n’ont pourtant pas été condamnés par la justice.
Ce n’est pas tout, en 2007 commence un feuilleton judiciaire dans lequel Omar Bongo joue un des premiers rôles. En effet, une enquête judiciaire révèle l’important patrimoine mobilier et immobilier français d’Omar Bongo Ondimba du Gabon, de Denis Sassou Nguesso du Congo et de Teodoro Obiang Nguéma de la Guinée équatoriale. Dans cette affaire, ils sont tous trois accusé de « recel de détournement de fonds publics, blanchiment, abus de bien social, abus de confiance et complicités ». Selon Transparence international France et l’association Sherpa, ces biens mal acquis seraient constitués de 70 comptes bancaires ouverts en France au nom de sa famille et de 33 biens immobiliers prestigieux, dont une dizaine d’appartements à Paris, équivalant à plus de 150 millions d’euros. Deux plaintes, déposées par ces associations, ont été classées sans suite en 2007 et 2008 par le parquet.
Dans cette affaire, les pressions politiques sur les Congolais et les Gabonais qui dénoncent les biens mal acquis et se portent partie civile sont de mise. L’objectif est belle et bien de les faire taire puisque le 21 janvier 2009, deux incendies, l’un à Brazzaville et l’autre près d’Orléans, aux domiciles de Bruno Jacquet Ossebi et Benjamin Toungamani, deux militants congolais, ont entraîné la mort du premier et de sa famille.
Le 5 mai 2009 Françoise Desset, la doyenne des juges d’instruction au pôle financier de Paris, ordonne de nouveau l’ouverture d’une enquête judiciaire sur les biens mal acquis, estimant que la plainte de Transparence international France et de l’association Sherpa est recevable. Deux jours plus tard, le Parquet de Paris, qui avait annoncé début avril qu’il s’opposerait à une telle décision, fait appel, expliquant que le plaignant, Transparency International n’a pas d’intérêt à agir. Cette ONG est pourtant spécialisée dans la lutte contre la corruption au niveau international...
La décision revient maintenant à la Cour d’appel de Paris.
Alors qu’une fenêtre de justice s’ouvrait sur l’affaire des biens mal acquis, Omar Bongo disparaît par la petite porte de secours, après 40 années de pillage de son propre peuple. Toutes les personnes impliquées directement dans les crimes commis par Omar Bongo doivent être poursuivies, jugées et condamnées qu’elles soient membres de sa famille, de son clan ou non, qu’elles soient gabonaises, françaises ou d’autres nationalités. Toutes les institutions complices doivent également être poursuivies et condamnées (banques, institution de l’Etat, sociétés pétrolières,…) à verser des indemnités à la population gabonaise qui a été spoliée.
Justice et réparation pour le peuple gabonais
Peuplé de 1,3 million d’habitants, l’ « émirat » gabonais est un pays riche de son pétrole, de sa filière bois et de ses gisements de manganèse et de fer. Malgré ses immenses ressources naturelles et alors que le Gabon est le 84e pays le plus riche du monde si on considère son Produit Intérieur Brut par habitant [4] , le pays est relégué à la 119éme place sur 177 au classement de l’indicateur de développement humain. « Cet écart de 35 places, l’une des pires performances de la planète, illustre combien les richesses du pays profitent peu à la population et sont concentrées dans les mains du clan au pouvoir et des entreprises françaises. Ces dernières sont présentes dans tous les secteurs de l’économie, la France constituant 80% des investissements étrangers au Gabon. La principale entreprise est Elf, désormais TotalFinaElf. Une proximité franco-gabonaise ouvertement assumée par Omar Bongo : " L’Afrique sans la France, c’est la voiture sans le chauffeur. La France sans l’Afrique, c’est une voiture sans carburant ». [5]
La population gabonaise est ainsi privée de ses richesses. 62% des Gabonais vivent en dessous du seuil de pauvreté. En plus des détournements d’argent public, les plans d’ajustement structurel successifs, imposés par la Banque mondiale et le Fonds monétaire international (privatisations, réduction des budgets sociaux, libéralisation de l’économie, ouverture des marchés, suppression des subventions aux produits de base, etc.) ont permis l’enrichissement de quelques-uns et ouvert des marchés aux multinationales. Dans le même temps ces plans ont entraîné chômage et pauvreté pour le peuple gabonais. La moitié du budget de l’Etat gabonais passe dans le service de la dette. Dette qui, rappelons le, est largement illégitime puisqu’en 1960, la Banque mondiale a transféré au nouvel état indépendant les dettes précédemment contractées par la France, et ce en violation complète des règles du droit international.
La mort de Bongo, ne doit pas empêcher que justice soit rendue au peuple congolais. Comme le stipule la Convention des Nations unies contre la corruption, que la France a ratifiée, il est obligatoire de restituer la totalité des avoirs détournés (art 51) après avoir levé le secret bancaire (article 40). « Cette dernière mesure est absolument nécessaire et urgente pour restituer les biens mal acquis aux populations du tiers-monde, victimes directes de ces détournements d’argent public et des complaisances occidentales. Au total, ce sont entre 20 et 40 milliards de dollars qui fuient chaque année les pays du Sud à cause de la corruption ; ce qui représente 20 à 40 % des chiffres affichés d’« aide publique au développement [6].
Bongo (tout comme d’autres dictateurs protégés par la France ou d’autres puissances occidentales) est mort avant que justice ne soit rendue à son peuple. La France a une grave responsabilité devant le peuple gabonais, il est temps qu’elle arrête de soutenir, de protéger et de considérer comme « amis » les pires dictateurs. Aujourd’hui son clan, ses complices et ceux qui comme lui ont violé les droits humains doivent être condamnés et des réparations doivent être accordées aux populations, premières victimes de ces bourreaux. Dans la lignée de ces réparations la dette des pays africains, outil néocolonial de domination, de pillage et de violation des droits des peuples doit être immédiatement et sans condition annulée.