Il y a des colères qui viennent de loin. Celle des universités en est un exemple. Cela fait des années que les conditions de travail à l’Université et dans les organismes de recherche (CNRS, Inserm) se dégradent. De plus en plus de jeunes chercheurs y galèrent jusqu’à 30, voire 35 ans, pour trouver un CDI. Ils enchaînent les contrats courts, souvent contraints à venir bosser le week-end, très souvent payés neuf mois sur douze et sans réelles perspectives. Ceux qui ont réussi à tenir et ont finalement obtenu un poste permanent, passent le plus clair de leur temps à remplir des dossiers pour mendier quelques euros qui permettront de financer leurs recherches.
Cette situation n’est pas le fruit du hasard, c’est le résultat d’un politique menée depuis des années par les gouvernements successifs visant à rendre les universités compétitives, à supprimer toutes les filières non « rentables » et à favoriser l’« employabilité » immédiate, au détriment de la qualité des diplômes qui seule permet aux étudiants d’avoir des garanties dans le monde du travail.
Les universitaires vont continuer à se battre. Valérie Pécresse a beau les mépriser et les menacer, ils ne sont pas prêts à s’arrêter. La coordination nationale des universités, réunie le 29 avril à la Sorbonne, appelle à ne pas tenir les examens. 73 établissements sur 84 ont voté cet appel. 51 universités sont toujours en grève totale ou partielle.
Les universitaires savaient que le bras de fer, engagé le 2 février, n’était pas gagné d’avance. Mais, après trois mois de lutte et pas moins de douze manifestations nationales, les acquis sont nombreux. Ils se sont dotés d’une coordination nationale qui dirige légitimement le mouvement sans attendre les consignes syndicales. Les pressions de la base ont permis que le syndicat majoritaire (Snesup-FSU) reprenne assez largement à son compte les préalables à toute négociation définis par la coordination nationale. Des porte-parole sont élus par cette coordination ce qui permet aussi au mouvement de choisir qui le représente dans les médias.
Au delà de ces expériences d’auto-organisation, les rapports au sein des universités sont en train de changer. Les collègues défendant la loi d’autonomie des Universités (LRU) sont aujourd’hui très rares. Ainsi, une pétition de soutien à Pécresse atteint poussivement, trois mois après son lancement, 300 signatures. Les liens entre les enseignants-chercheurs et le personnel non enseignant (Biatoss) se créent ou se renforcent. Les Biatoss sont toujours en première ligne des attaques gouvernementales avec des salaires bloqués, des conditions de travail qui s’aggravent, des menaces contre les grévistes. Aujourd’hui, il est possible de mener une lutte d’ensemble à l’Université, qui associe toutes les catégories de personnels et les étudiants.
Il s’agit de pousser ce mouvement maintenant le plus loin possible et de le maintenir dans la durée (en particulier en commençant à réfléchir aux moyens de poursuivre le mouvement à la rentrée en évitant la récupération gouvernementale qu’avait connu le mouvement de 2003-2004). Dans le climat social actuel, il est possible de transformer cette lutte historique en victoire historique.
Commission Université-Recherche du NPA
* Paru dans « Tout est à nous » N° 7 du 7 mai 2009.
Universitaires : amplifier et converger...
Rémi est enseignant-vacataire et doctorant. Yvon est membre du personnel de l’université de Marne-la-Vallée. Ils sont tous deux porte-parole de la coordination nationale universitaire (CNU).
Quelles sont les raisons de la mobilisation, depuis onze semaines, contre les projets de Valérie Pécresse ?
Nous faisons face à une politique de démantèlement des services publics qui nous soumet à la seule logique de la rentabilité et à une mise en concurrence généralisée. A terme, des facs, des filières entières, jugées non rentables, sont amenées à disparaître. Le désengagement financier de l’Etat va faire exploser les frais d’inscription. L’égalité d’accès au savoir est gravement remise en cause.
Que pensez-vous des nouvelles formes de résistance comme les cours hors-les-murs, le grève du zèle ou la ronde des obstinés ?
Elles sont intéressantes et permettent une apparition médiatique. Mais elles ne doivent pas occulter la grève et les manifestations qui permettent de créer un véritable rapport de force.
Comment expliquez l’ampleur et la durée du mouvement ?
Le mépris du gouvernement et sa volonté de ne pas écouter nos revendications ont largement contribué à la détermination des universitaires. L’ampleur des attaques sur l’éducation mais aussi le contexte de crise économique ont fait grossir les rangs des mobilisés. Il y a une prise de conscience que l’ensemble de la société est touchée.
Un simple mouvement de colère ?
Bien plus que cela. Le mouvement s’est rapidement étendu aux revendications étudiantes et aux Biatoss (personnel non-enseignant) sur les questions de salaires, d’externalisation, de précarité et de mobilité. L’ensemble des acteurs de l’Université est en lutte. Même si leurs salaires et leurs conditions de travail ne favorisent pas la construction d’une lutte collective, une volonté militante émerge chez les précaires.
Que pensez-vous de la coordination nationale des universités (CNU) ?
C’est une expérience qui permet de se confronter directement à la question de « qui décide pour qui ? ». Elle permet de ne pas laisser la direction du mouvement aux seules directions syndicales. Nous restons convaincus que la lutte doit être dirigée par ceux qui la mènent, enseignants-chercheurs, chercheurs, Biatoss et étudiants. En tant que porte-parole élus de cette CNU, notre mandat est de rédiger des communiqués afin de ne pas laisser au gouvernement le monopole de la communication.
Quel est le plan de bataille pour la rentrée des vacances de printemps ?
Maintenir la pression et, si possible, amplifier la mobilisation, manifester avant le 1er mai mais aussi directement après. Nous travaillons en direction d’autres secteurs pour que nous manifestions ensemble et décidions ensemble de la suite à donner. Les revendications portées par le monde du travail et les services publics sont transverses et la loi Bachelot dans les hôpitaux est une copie conforme de la LRU. Les politiques menées par le gouvernement attaquent l’ensemble du service public. Le plan de bataille est simple : convergence des luttes.
Propos recueillis par Quentin Glorieux
* Paru dans « Tout est à nous » N° 5 du 23 avril 2009.
Université/recherche : pas de vacances pour la mobilisation !
Après dix semaines de mobilisation, aucune des revendications n’a reçu la moindre réponse satisfaisante. Pourtant, la lutte est loin de s’arrêter.
Ronde infinie des obstinés, cours publics, nuits blanches des universités, démissions de fonctions administratives, refus de présider les jurys de bac : les initiatives des personnels et étudiants de l’enseignement supérieur et de la recherche ne manquent pas. Elles dénoncent les fausses concessions de la ministre de l’Enseignement supérieur, Valérie Pécresse, et du ministre de l’Education, Xavier Darcos. Ces prétendus reculs, cautionnés par deux syndicats minoritaires (Unsa et CFDT), sont salués par quelques présidents d’université, qui appellent à rentrer dans le rang par peur d’une « mauvaise publicité », dans le contexte actuel de concurrence entre les universités. En parallèle, ce même gouvernement emploie des moyens de répression brutaux et démesurés (chars antiémeute, flash-balls, entraves aux départs des manifestations) pour criminaliser ce mouvement universitaire, comme on l’a vu, à une échelle plus importante, lors de la mobilisation contre le sommet de l’Otan.
Cette contestation existe aussi en Italie, en Espagne, en Allemagne, en Grèce, où des mobilisations s’opposent au démantèlement des systèmes éducatifs, à la privatisation de l’instruction et à l’asservissement de l’enseignement supérieur et de la recherche au pouvoir économique. En France, cette résistance, qui contestait au début les projets de « réforme » du statut des enseignants-chercheurs et de formation des enseignants, s’est élargie, en demandant l’abrogation de la « LRU » (la loi d’« autonomie » des universités, qui donne des pouvoirs de PDG aux présidents) et en exigeant un réengagement massif de l’Etat, ainsi qu’un plan de création de postes statutaires. Plus largement, c’est une dénonciation de la politique de Sarkozy, de son gouvernement et de ses discours méprisants contre la communauté universitaire.
Les contre-réformes françaises et leurs équivalents européens ont pour but d’assujettir la production et l’enseignement des connaissances au marché et au pouvoir politique, selon les logiques du processus de Bologne et de la stratégie de Lisbonne. Ainsi, les pouvoirs nationaux en place ont besoin de casser l’autonomie intellectuelle et scientifique des universitaires afin d’imposer leur « autonomie » : gestion des ressources humaines calquée sur le management privé, dissolution du service public dans les partenariats et autres « fondations » avec le privé, mise en concurrence des universités dans un « grand marché de la connaissance », comme l’appelait déjà Claude Allègre (PS), il y a dix ans.
Ces politiques vont à l’encontre d’une université considérée comme un lieu de savoir libre, porteuse de valeurs émancipatrices. Face à cette casse de l’enseignement et de la recherche publics, coordonnée à l’échelle européenne, le NPA fera entendre une opposition radicale et anticapitaliste durant la campagne pour les élections européennes. Il portera les revendications légitimes des luttes en cours pour une université et une recherche au service de toutes et tous, et pas du profit privé. Ainsi, le NPA soutient le contre-sommet de Louvain, les 28 et 29 avril, parallèle à la conférence ministérielle qui doit « évaluer les progrès accomplis et les nouvelles mesures à mettre en place » et faire le point sur les « réformes » universitaires engagées.
mercredi 15 avril 2009
La commission « Université-recherche » du NPA