La crise malgache vient de loin. Elle est tout d’abord alimentée par la déception engendrée par la politique du président Marc Ravalomanana, qui avait accédé au pouvoir en 2002 à la suite d’une mobilisation populaire mettant fin à 24 ans de dictature. L’espoir était immense, à l’époque, d’éradiquer la pauvreté, l’arbitraire et la corruption. Mais la politique ultralibérale de Ravalomanana n’a rien réglé ; la croissance économique du pays s’est faite à coup de créations de zones franches, où la surexploitation des travailleurs est la règle. Elle a aussi aggravé les inégalités sociales, les trois-quarts de la population vivant avec l’équivalent d’un dollar par jour.
La dérive autoritaire du pouvoir s’est accélérée avec l’adoption d’une nouvelle Constitution, en 2007, qui a accentué le pouvoir présidentiel. Parallèlement, la répression des luttes paysannes, passée quasiment inaperçue en Occident, a été extrêmement dure. C’est ainsi que, pour avoir refusé de céder leurs terres à un industriel qui voulait étendre son parc d’attraction, treize paysans ont été condamnés à mort tandis que d’autres se voyaient infliger douze années de travaux forcés. L’exaspération de la population est arrivée à son comble lorsqu’elle a vu le président de la République mélanger allègrement la caisse de son entreprise, le consortium agro-alimentaire Tico, et celle de l’Etat. Même le FMI s’est senti obligé de demander des comptes sur l’achat de l’avion présidentiel, baptisé « Force one », pour 60 millions de dollars, dans un pays qui demeure l’un des plus pauvres de la planète (143e rang sur 177).
La répression sanglante de la manifestation du samedi 7 février, qui a fait des dizaines de morts, restera une date tragique dans l’histoire du pays. Elle souligne le vrai visage d’un pouvoir qui n’hésite pas à faire tirer sur une manifestation pacifique, mais elle révèle également l’irresponsabilité du maire déchu de la capitale, Andry Rajoelina, qui envoie la foule prendre possession de la présidence, comme s’il y avait vacance du pouvoir ! Les récentes entrevues de Rajoelina et de Ravalomanana, sous les auspices de l’Église malgache, n’ont rien donné. L’ex-maire appelle à une intensification de la mobilisation. La crise continue, avec un risque majeur de dérapages sanglants ou de coup d’Etat militaire.
La population n’a rien à gagner dans cette bataille entre deux milliardaires qui l’utilisent afin de garder le pouvoir pour l’un et de le conquérir pour l’autre. L’enjeu est de construire, à partir de la mobilisation contre Ravalomanana, une force progressiste capable de défendre les revendications de la population. L’existence de syndicats, d’organisations de paysans, d’associations locales est un atout, mais ces structures doivent impérativement prendre leurs distances avec l’ex-maire de la capitale et ne pas se laisser enfermer dans la guerre que se livrent ces deux businessmen.