Que signifie « être trans » ?
Carine Bœuf - Comment se définir en utilisant des termes impropres, des termes stigmatisants, des termes inventés par la société dominante pour tenter de cerner, voire de détruire, cette remise en cause fondamentale d’un tabou, d’une réalité réputée invariante, et donc intouchable ? Au-delà de cette quête du sens des mots, on est limité aux termes inventés par l’adversaire. On dira « homme » et « femme », on parlera de « sexe », de « genre », de « trans-quelque-chose ».
Parce que le parti pris est de laisser chacune et chacun libre de se désigner, il n’est pas question d’entrer dans le jeu un peu excluant des définitions des termes « transsexuel » ou « transgenre ». On dira « trans » pour tout le monde. On dira « trans » pour les travestis, les queer (1), les mutants et mutantes de toutes sortes, les gender-queer (2), les gender-variant (3), trans-fluid (4) et autres multiples déclinaisons des possibles en rébellion contre la police des sexes et des genres. Car qui me désigne ? Qui me nomme ? Est-ce mon anatomie ? Est-ce la mention écrite de mon sexe au moment de ma naissance ? Est-ce l’assignation, le conditionnement dans une catégorie de sexe, jour après jour inculquée, par la violence au besoin, dans mon inconscient au point de me faire croire que toute réalité est forcément postérieure à cette désignation initiale en forme d’état d’indisponibilité de ma personne ? Pourquoi ne puis-je « avorter » de cette assignation ? Pourquoi, et au prix de combien d’années de violences contre moi-même, de renoncements en reniements, pourquoi cette assignation finit-elle par être combattue, repoussée, reconstruite ?
Ma réponse provisoire serait : « Je suis trans et fière d’être trans. Parce que je suis fière d’être parvenue à être moi-même. » Cette fierté, cet orgueil mal placé me servent de caryotype. Qui suis-je donc et par rapport à qui ? Si j’ai été dite « homme », que suis-je donc ? Une « femme » ? Est-ce que cette question a réellement un sens ? Depuis Monique Wittig, on sait que l’hétérosexualité est un système politique (5), que l’assignation, le « conditionnement » dans une classe de sexe sont loin d’être une simple affaire de génétique ou de reproduction, mais servent les intérêts de domination d’une caste politique sur une autre. En ce sens, être trans, c’est être libre, mais c’est aussi être rebelle et traître à la caste assignée. être trans, c’est être « politique ».
Quelles sont les revendications du GAT ?
C. Bœuf - Le GAT, c’est un groupe libertaire, informel, de trans en colère. En colère contre la violence de la société : combien de précaires sociaux, de clandestins, de torturés, de morts devrons-nous compter avant que les autorités françaises comprennent que la transphobie tue ? Les trans demandent, au nom de l’égalité des droits, le droit d’exister. être trans, c’est être invisible dans la société civile, clandestin dans le monde du travail, ignoré des syndicats, des partis politiques, et souvent de la communauté LGBT (6). être trans, c’est être aux mains des matons et des kapos de l’ordre psychiatrique et psychanalytique. C’est être considéré comme malade mental.
Nous dénonçons cette torture psychique, cette maltraitance théorique fondée sur un rapport de pouvoir antidéontologique. Nous dénonçons les protocoles arbitraires fondés sur des règles non écrites qui contraignent les trans à vivre de longues années dans un système psycho-carcéral pervers, les forçant à entrer dans une hétéro-norme ultrarigide pour avoir enfin accès au droit d’exister socialement : la rectification d’état civil n’est possible qu’après castration physique... Celles et ceux qui refusent les opérations sont condamnés à vivre dans la clandestinité. Encore aujourd’hui, les tribunaux n’accordent les rectifications d’état civil qu’après d’onéreuses et humiliantes expertises médicales qui ne sont rien d‘autre que des viols légaux réalisés par un État voyeur et pervers. De plus, la prétendue généreuse rectification de notre état civil n’est en définitive qu’une mention en marge de l’acte de naissance qui, lui, reste tabou et intouchable : cette demi-mesure est aux trans ce que le Pacs est aux homos : un os à ronger.
Aussi, les revendications du Groupe activiste trans sont :
• la déclassification du transsexualisme de la nosographie psychiatrique (7), au même titre que l’homosexualité en a été retirée par décision politique ; la transsexualité doit être sortie du diagnostic psychiatrique préalable ;
• l’abrogation ou la révision du protocole psychiatrique de transition (8) pour que les équipes médicales autoproclamées officielles ne maintiennent pas les trans dans un univers psychocarcéral ;
• le libre choix du médecin, qui est un droit pour chaque citoyen ;
• une adaptation des dispositifs juridiques et administratifs dans la période transitoire ne nous condamnant ainsi plus à la clandestinité : le changement d’état civil avec ou sans opération, la rédaction d’un acte de naissance sans trace des erreurs commises par l’État au nom de l’assignation forcée dans une classe de sexe.
Le GAT est aussi concerné par les luttes sociales...
C. Bœuf - En effet, le GAT a pris à son compte les revendications du Collectif pour l’égalité des droits (9) et a permis d’apporter la contribution de la parole trans au sein de la communauté LGBT. Mais l’action du GAT ne peut pas se restreindre aux revendications internes à la communauté trans. Les trans sont aussi des immigrés, des séropos, des exclus et des précaires... Notre action politique doit avoir des prolongements au sein même du mouvement social. Parce que les revendications trans remettent en cause l’ordre politique et social, l’hétéropatriarcat, le combat du GAT converge avec les luttes politiques et sociales révolutionnaires contre l’ordre bourgeois. Ces luttes qui devraient combattre aussi l’assignation de tous les êtres humains dans une classe politique de sexe.
Propos recueillis par Olivier Philippe, de la CNH-Paris (10)
• Le GAT anime une émission mensuelle sur Radio Libertaire, « Bistouriouioui », le troisième jeudi du mois à 19 h 30.
1. Au départ, « queer » est une insulte proférée contre les homos. Suite aux revendications structurées essentiellement autour des identités gays et lesbiennes, les théories queer construisent un discours non identitaire, antiassimilationniste, qui ne s’en prend plus seulement à l’intolérance ou à l’hétérosexisme, mais directement aux contraintes de la normalité.
2. Personne queer déconstruisant les théories liées au « genre » (social, sexuel, etc.).
3. Personne qui revendique et met en pratique les fluctuations dans la perception de son genre.
4. Personne trans refusant le binarisme des genres / sexes et choisissant de se construire une identité sociale au-delà des normes stéréotypées.
5. La Pensée straight, Balland, 2001, 32,30 euros.
6. Lesbienne, gay, bi et trans.
7. Liste des maladies psychiatriques et de leurs définitions, symptômes, etc.
8. Ce sont les conditions posées par quelques psychiatres pour imposer un « standard ». Actuellement, ce « protocole » préconise des batteries de tests psychologiques et psychiatriques, et une durée minimale « d’observation » de deux années, refuse les personnes avant et après un certain âge, rejette les séropos et les malades du sida, les personnes mariées et / ou ayant des enfants mineurs, les travailleurs du sexe (entre autres).
9. Voir les numéros 2061, 2068 et 2070 de Rouge.
10. Commission nationale des homosexualités de la LCR.