Encore une foi, le Bloc a remporté une majorité de sièges québécois à la chambre des Communes — 50 sur 75, un de moins qu’en 2006 et trois points de pourcentage en moins.
Ce faisant, il a brisé les espoirs des Conservateurs de Stephen Harper pour une percée au Québec qui leur aurait livré une majorité à Ottawa. Le peuple travailleur à travers le Canada a poussé un soupir de soulagement.
L’appui au Bloc est plus qu’un rejet des politiques de droite des Conservateurs. Comme le déclarait le chef du Bloc Gilles Duceppe le soir de l’élection, le 14 octobre, c’est une preuve claire « que le Québec est une nation distincte linguistiquement, culturellement, socialement et économiquement. » C’était la sixième élection fédérale consécutive depuis 1993 dans laquelle le Bloc pro-souveraineté a remporté une majorité de sièges québécois sous le système uninominal à un tour.
Tout mérite que les Conservateurs aient pu acquérir grâce, en 2006, au vote du Parlement fédéral sous leur gouverne reconnaissant l’existence d’une « nation québécoise dans le Canada » a été dissipé par des événements subséquents qui ont révélé la superficialité de cette motion qui n’engage à rien. Même à la veille de l’élection, Ottawa a fait des coupures drastiques dans les fonds fédéraux aux programmes des arts et de la culture au Québec comme ailleurs, sapant sa prétention à respecter et encourager la culture francophone. La réaction fut si forte au Québec que même le premier ministre libéral Jean Charest, un fédéraliste confirmé, a fait une sortie publique pour exiger que le transfert du contrôle de la culture et des communications passe sous juridiction québécoise.
Plus tôt, le Parlement fédéral avait rejeté une motion du Bloc pour forcer les institutions du gouvernement fédéral au Québec à se conformer à la charte de la langue française au Québec.
Ottawa continue à défendre son droit présumé à créer et à subventionner des programmes dans des champs qui sont constitutionnellement sous juridiction québécoise. Et au cours de cette campagne électorale, les Conservateurs ont promis une réforme de la justice juvénile qui emprisonnerait des jeunes de 14 ans — une violation flagrante du système québécois orienté vers la réhabilitation des jeunes et qui a aidé la province à atteindre un des plus bas taux de criminalité au Canada.
Le fait de se moquer de l’anglais déficient du chef libéral Stéphane Dion (quand il a eu de la difficulté à comprendre une question qui lui était adressée) est un pénible rappel du chauvinisme anti-français du ROC. Bien des Québécois l’ont remarqué, eux qui apprécient les tentatives du Premier ministre Conservateur Harper à parler français même si sa maîtrise de cette langue est moindre que celle de Dion pour l’anglais.
De tels incidents qui peuvent passer pour minimes auprès de certains reflètent une importante réalité sous-jacente : le Québec, malgré tout les progrès qu’il a réalisé à travers ses réformes en éducation, ses programmes sociaux, sa législation linguistique, etc., est toujours menacé par son statut minoritaire au Canada et par son manque de contrôle des pouvoirs essentiels à sa survie et à son développement. C’est une nation opprimée dans l’État canadien. Et lors les élections fédérales, le vote québécois est grandement influencé par la conscience qu’ont les Québécois de leur vulnérabilité en tant que minorité sans aucune protection constitutionnelle de leurs droits en tant que nation.
Comme pour enfoncer le clou encore plus loin, le lendemain de l’élection, le Premier ministre Harper a menacé de donner suite au projet d’un Sénat élu, ce qui réduirait encore le poids et l’influence du Québec dans la fédération. C’était un rappel que le Québec devient de plus en plus marginalisé comme force politique au Canada.
La plateforme du Bloc québécois, tout en proclamant son appui à l’indépendance du Québec, était essentiellement sur la défensive, promettant de défendre « les intérêts du Québec » contre « les intérêts pétroliers de l’Alberta, les intérêts financiers de l’Ontario » et « libre de compromis envers la gauche centralisatrice et la droite doctrinaire du Canada… »
Le NPD a peu d’impact
Comme lors des élections précédentes, le Nouveau parti démocratique (NPD) n’était pas un concurrent sérieux au Québec, surtout parce qu’il est perçu comme un parti nationaliste canadien. Même si sa plateforme réclame la reconnaissance « du caractère national du Québec » et s’oppose aux dépenses fédérales pour « des nouveaux programmes dans des sphères de juridiction exclusivement provinciale », ses propositions pour un « fédéralisme canadien » n’étaient que banalités autour de choses comme le « rôle unique et les responsabilités de l’Assemblée nationale du Québec ». Parmi les « priorités- clé » il y avait l’appui à « Notre identité culturelle canadienne », sans référence à la nécessité de défendre la langue et la culture française.
En fait, quand Impératif français, un groupe de défense de la langue française, a sondé les partis fédéraux sur leurs opinions durant la campagne, ni le NPD ni aucun de ses candidates ou candidats n’a répondu — pendant que le Bloc fournissait des réponses détaillées décrivant ses réalisations et faisant des propositions concrètes pour des mesures positives au niveau fédéral.
Le NPD a sapé ses propres résolutions de congrès en faveur de l’appui au droit du Québec à l’autodétermination quand, en 2000, ses députés ont voté pour appuyer la « Loi sur la clarté » de Chrétien-Dion, donnant ainsi à Ottawa le pouvoir d’annuler un vote de sécession dans un référendum québécois. Cette décision qui a révolté plusieurs Québécois, continue de bloquer les perspectives électorales du parti au Québec. Sa seule victoire cette année a été la réélection d’un député, un anglophone ex-libéral qui se présentait dans une circonscription multiculturelle montréalaise.
Le NPD au Québec ne peut profiter de l’identification avec les syndicats dont il jouit au Canada anglais. La Fédération du travail du Québec (FTQ), la plus grande centrale syndicale, appuyait le Bloc et quelque militants et militantes en vue de la FTQ y ont posé leur candidature. Une brochure de quatre pages expliquant la position de la FTQ déclarait que le choix dans l’élection du 14 octobre était « entre deux visions diamétralement opposées de la société ».
« En dépit des belles paroles sur la reconnaissance du Québec comme “nation”, aucun des partis à Ottawa — et surtout pas les Conservateurs — n’a entrepris de l’enraciner dans la constitution canadienne. Sans cet engagement, toutes les motions votées à Ottawa ne sont que symboliques.
« La présence du Bloc à Ottawa montre que le Canada anglais n’est pas préparé à accepter dans les faits que le Québec est une nation… »
Les événements des cinq dernières décennies ont démontré tant et plus que les travailleuses et travailleurs québécois, en développant une conscience politique, le font dans un contexte national qui perçoit la souveraineté du Québec comme le cadre politique pour résoudre leurs problèmes sociaux. Ceci a d’importantes implications pour la gauche à la fois au Québec et au Canada anglais.
Incapable de s’enraciner au Québec, le NPD manque de crédibilité comme candidat à la direction du Canada. Réciproquement, l’absence d’un allié politique crédible dans le Canada anglais a sérieusement entravé la capacité de la gauche québécoise à bâtir une alternative viable au Bloc, nationaliste mais néolibéral. Le résultat est une gauche dans les deux nations qui n’a pas de perspective gouvernementale viable au niveau de l’État fédéral — en dépit de la revendication peu convaincante du chef NPD Jack Layton qu’il se présentait comme futur premier ministre.
Débat au sein des socialistes québécois
Ces dilemmes ont fait le sujet d’un vif débat au sein de la campagne électorale parmi les partisans de Québec solidaire, le jeune parti de gauche souverainiste. (pour un rapport sur les précédentes étapes de ce débat, voir http://tinyurl.com/3kpaye
Écrivant dans l’édition du 30 septembre du journal sur le web Presse-toi-à-gauche (PTàG), Jean-Paul Pelletier pose la question de façon claire :
« Je suis bien conscient qu’une consigne de vote pour le Bloc, ne mène pas en ligne droite à une alternative progressiste unifiée au Québec et au Canada comme nous le souhaiterions. Mais une consigne de vote pour le NPD le fera-t-elle plus ? ... Nous avons déjà toutes les misères du monde à bâtir au Québec un parti de gauche indépendantiste et il faudrait en plus convaincre la classe ouvrière québécoise de voter pour un parti de gauche fédéraliste et centralisateur ? …
« Nous aurions besoin au fédéral d’une alliance entre un parti de gauche indépendantiste basé au Québec et un parti de gauche basé sur le reste du Canada qui reconnaîtrait véritablement le droit du Québec à l’autodétermination, qui rejetterait la loi sur la clarté. Mais rien de cela n’existe. C’est l’histoire tragique des deux classes ouvrières qui constituent deux solitudes, qui mènent des luttes et développent leur conscience politique selon leurs propres dynamiques complètement différentes. »
Pelletier a dit qu’il voterait pour le Bloc de façon à défaire les Conservateurs, mais « sans l’illusion » que cela procure une réelle protection contre les politiques néolibérales. Une défaite des Conservateurs, dit-il, pourrait nous donner le répit nécessaire à l’organisation de la résistance aux prochaines offensives de la droite.
André Frappier, dans un article favorisant le débat, a été plus positif au sujet de l’utilité du NPD. Selon lui, l’objectif réel est « la construction d’une gauche alternative pan-canadienne ». :
« Le NPD est un véhicule à partir duquel on peut amorcer le travail avec les progressistes canadiens-anglais, » écrit-il dans l’édition du 10 octobre de PTàG. « La reconnaissance du droit à la souveraineté du Québec constitue un point de rupture avec l’idéologie canadienne sur laquelle il faut travailler. S’il s’avère que le NPD ne soit plus l’outil pour y arriver, alors il faudra travailler à créer une alternative Canada-Québec solidaire. »
« Au Québec le défi est de créer une rupture avec les solutions nationalistes bourgeoises du PQ et du Bloc afin de prendre notre place et d’imposer les solutions du mouvement ouvrier et des mouvements progressistes et féministes . Dans cette optique, la conjonction du mouvement ouvrier canadien et québécois est déterminante et seule porteuse d’avenir. »
Les stratégies à court terme « du moindre mal » pour barrer la route à la droite, argumente Frappier, n’ont rien fait pour construire une alternative politique. Au parlement, le Bloc adhère avec les conservateurs à l’Accord de libre-échange et à la guerre. Au Québec même, le vote stratégique pour le PQ rend difficile l’émergence d’un Parti de gauche.
Plus qu’une consigne de vote
Résumant le débat de PTàG — qui comptait aussi d’autres contributions — Jean-Paul Pelletier faisait remarquer dans l’article du 14 octobre que c’était bien plus qu’un débat sur la consigne de vote. Au fond, écrivait-il, c’est toute la question de la place que doit occuper la revendication de l’indépendance dans les perspectives de la gauche au Québec.
« Qu’est-ce qui doit primer ? Vote souverainiste ou vote social-démocrate ? Certaines personnes ont posé la question très directement en ces termes. D’’autres ont été moins directes, mais ont fortement insisté sur les bonnes positions sociales du NPD en minimisant l’importance de ses positions inacceptables sur la question du Québec et de la loi sur la clarté. »
« La question de l’indépendance ne semble pas assez importante pour les empêcher de voter pour le NPD mais les faiblesses du Bloc sur l’Afghanistan et l’ALÉNA interdisent formellement le vote pour le Bloc. Il y a là une certaine hiérarchisation qui entraîne une dichotomie entre la question sociale et la question nationale. Sommes-nous d’abord souverainistes ou d’abord de gauche ? Est-ce la bonne façon de poser la question ? »
« Moi, je suis incapable de répondre à une question formulée ainsi. Ça me rappelle trop le vieux dada d’une certaine gauche qui voulait disséquer la réalité en « contradictions principale » et en « contradiction secondaire. » Bien sûr, la bonne morale prolétarienne voulait toujours que la contradiction principale soit la question sociale et que la question nationale ne soit qu’une contradiction secondaire, donc subordonnée. Aujourd’hui, on n’utilise plus ces termes désuets, mais on dirait que les mêmes schémas de pensée tendent à renaître de leurs cendres. Il est toujours plus rassurant de pouvoir ainsi classer les choses en ordre hiérarchique, mais cela a peu à voir avec la réalité … »
Pelletier se référait, bien sûr, à l’approche prise dans le passé au Québec par les grandes organisations d’extrême-gauche, les soi disant marxistes-léninistes ou maoïstes, dont l’opposition au nationalisme québécois et le support au nationalisme canadien a été la raison majeure de leur rapide déclin et disparition au début des années ‘80.
Il continue :
« Est-ce que le désarroi et le recul de la ferveur dans le mouvement souverainiste sous la gouverne d’une direction néo-libérale favoriserait un mouvement de relativisation et l’importance de la question nationale au sein de la gauche ? J’ai tendance à le croire quand je lis certaines interprétation de la position de Québec solidaire, interprétations selon lesquelles [citant une contribution de Mario Charlant ]“l’indépendance politique trouve son sens uniquement dans la mesure où elle renforce les possibilités d’aboutir à une réduction substantielle des inégalités entre classes sociales et non dans un besoin soi-disant impérieux d’affirmation nationale ou dans une quelconque recherche identitaire du peuple québécois”. Cette façon d’opposer l’indépendance comme simple instrument utile à la justice sociale d’une part, et la recherche identitaire d’autre part, ressemble à une autre façon de diminuer l’importance de la question nationale. Et c’est une grave erreur. »
Une gauche pancanadienne ?
Quand à la perspective de construire une gauche alternative pancanadienne défendue par André Frappier, une vrai gauche indépendantiste, Pelletier a répondu :
« Si je croyais vraiment dans la possibilité d’une telle alternative de gauche pancanadienne dont l’objectif serait bien sûr de prendre le pouvoir et de mettre en application un programme social progressiste et respectueux de la nation québécoise, je ne serais plus indépendantiste. À quoi ça servirait si on peut régler la question nationale dans le cadre pancanadien ? Je serais plutôt partisan d’un ‘beau risque’ [expression du premier ministre péquiste René Lévesque pour décrire son pari en acceptant la promesse de Mulroney de réintégrer le Québec avec honneur et dignité dans la constitution canadienne en reconnaissant sa spécificité] de gauche. Je garderais peut-être l’option indépendantiste dans ma poche, au cas où ça ne marcherait pas (pas fou quand même…), mais je ne serais plus indépendantiste. Moi aussi, je finirais par relativiser l’importance de la question nationale…
« Si c’était possible, ce serait effectivement la meilleure voie à suivre. Mais toute l’histoire nous dé montre le contraire et je ne vois rien dans le paysage politique canadien pour me convaincre du contraire. Bien au contraire… Le recherche d’une stratégie pancanadienne est illusoire. Nous ne pouvons intervenir qu’indirectement sur des joueurs qui ne refléteront jamais bien nos valeurs. »
Ceci, alors, est le défi que les socialistes du Québec posent à la gauche du Canada anglais. Aussi longtemps que cela est posé à l’intérieur d’un contexte restrictif comme une élection dans laquelle les socialistes des deux nations opposent seulement un choix entre deux moindre maux, il n’y a pas de réponse claire. Mais le débat au Québec touche une question fondamentale qui a longtemps hanté la gauche des deux nations : une alliance est-elle possible entre nous et sur quelle base. On s’entend sur le fait qu’une alliance aiderait la lutte pour le socialisme dans les deux nations.
Les socialistes québécois sont certains qu’une alliance constructive doit se fonder sur la défense des droits du Québec à l’autodétermination, pas seulement en parole mais dans les faits. Il est tout à fait exclus que le Nouveau parti démocratique à la fois social-libéral et nationaliste canadien puisse servir de véhicule aux aspirations du Québec. Mais il est également vrai qu’aucune force anticapitaliste ne peut se construire dans le ROC si elle ne met pas l’autodétermination du Québec au centre de son programme.
Addenda
Marc Bonhomme, un membre de Québec solidaire, a exprimé un point de vue différent dans ce débat dans un commentaire envoyé sur mon blog, a : http://tinyurl.com/6sarom , et (en français) dans un document qu’il a fait circuler parmi ses contacts.
Du point de vue de Marc, le débat de PTàG est une « diversion », un faux débat qui, dans le contexte électoral, se limite nécessairement à un choix impossible pour les socialistes. Comme il l’écrit dans son document, le débat reflète un niveau insuffisant de conscience dans la gauche québécoise « l’impasse tragique dans laquelle elle s’est enlisée depuis la défaite stratégique de décembre 2005 et de son corollaire, la rapide sociale-libéralisation et le dévoiement électoraliste du parti né de l’altermondialisme antinéolibéral. » i.e. Québec solidaire.
Un appel à voter soit Bloc soit NPD suggère à tort que ces partis offrent une réponse à la présente crise, Marc écrit. Il conclut :
« Vaut mieux l’angoisse du vide qui nous pousse à construire un parti anticapitaliste et indépendantiste en critiquant ouvertement l’orientation sociale-libérale de la direction de Québec solidaire pour lui substituer une orientation écosocialiste »
Et dans son commentaire sur mon blog, il soutient que l’augmentation marginale du vote NPD au Québec ne peut aider à bâtir une unité significative avec la classe ouvrière au Canada anglais. Le prolétariat Québécois ne peut s’unir au NPD qu’à condition de « mettre de côté sa lutte stratégique pour sa libération de l’historique et toujours actuelle oppression par l’État canadien. »
Le « prolétariat multinational canadien », écrit Marc, ne peut être unifié sans que la classe ouvrière du Canada anglais « prenne position pour l’indépendance du Québec et non seulement pour la droit abstrait à l’autodétermination ». Ce qu’elle, bien sûr, n’est pas manifestement préparée à faire.
À moins que et jusqu’à ce que elle le fasse, il y a peu d’espoir pour le socialisme au Canada ou au Québec. Parce que la clé pour un changement révolutionnaire dans les deux nations réside dans la sécession du Québec, le maillon faible dans la structure du pouvoir capitaliste. Cela seulement peut ébranler la bourgeoisie en mettant en péril sa base territoriale.
C’est un grand projet et on ne peut nier qu’il n’y aura pas de révolution socialiste au Canada ou au Québec qui n’entraine une fin à l’oppression nationale au Québec. Mais est-ce qu’à l’heure actuelle les options stratégiques sont aussi absolues que Marc le laisse entendre ? La stratégie et les tactiques qui feraient progresser plus efficacement les luttes d’aujourd’hui dans l’une ou l’autre nation ne peuvent découler directement et automatiquement de principes généraux et encore moins de grands objectifs. Y arriver demande une sérieuse évaluation de choses comme celle de la conscience de masse, de la culture historique et de l’état de l’organisation des masses travailleuses.
Je pense que Marc a tendance à mettre la charrette devant les bœufs. Ça serait merveilleux si la classe ouvrière au Canada anglais comprenait pleinement la nature de l’oppression du Québec et appuyait la cause de la libération nationale. L’histoire avance autrement. Plus précisément, peut-être, comment les travailleurs et travailleuses du Canada anglais peuvent-ils être gagnés à cette nécessaire compréhension et à la solidarité ?
Le mouvement ouvrier au Canada anglais a montré, à plusieurs occasions, sa capacité à sympathiser et à défendre le droit du Québec à l’autodétermination. En 1961, la présence de plusieurs centaines de Québécois au congrès de fondation du NPD a incité les délégués à reconnaître le caractère national du Québec. En 1971, une alliance entre la tendance de gauche Waffle du NPD et une grande délégation du Québec menée par Raymond Laliberté, président du syndicat des professeurs, basée sur une plateforme commune qui reconnaissait l’autodétermination du Québec, donna au candidat Waffle, Jim Laxer, 44% des votre dans un scrutin final pour la direction contre le candidat de l’establishment, David Lewis.
En 1976, les travailleurs et travailleuses du Québec et du Canada se sont mobilisés ensemble dans une forte action de masse pour protester contre le contrôle des salaires de Trudeau. Le Congrès du travail du Canada et plusieurs syndicats pancanadiens ont depuis longtemps accepté l’autonomie de leur affiliés québécois à développer leurs propre structures et politiques organisationnelles — au point même d’appuyer différents partis politiques dans chaque nation. Bien que le mouvement syndical au Canada anglais n’a pas mobilisé en 1995 pour appuyer l’indépendance du Québec, le CTC et quelques syndicats ont émis des déclarations pour appuyer le droit du Québec à se séparer et pour s’opposer aux tactiques fédérales d’obstruction et de chantage dans le référendum.
Marc a raison quand il pointe l’oppression du Québec comme le maillon faible dans la structure de la domination capitaliste au Canada. Mais cela veut aussi dire, n’est-ce-pas, que chaque grand pas des Québécois pour combattre leur oppression et atteindre la libération nationale se heurtera aux mesures antidémocratiques de l’État canadien. Nous avons bien des exemples de cela dans l’histoire canadienne — une des plus remarquables étant l’imposition de la Loi des mesures de guerre en octobre ’70, répression qui a finalement déclenché un mouvement de solidarité avec le Québec dans le ROC et a stimulé une montée supplémentaire du mouvement indépendantiste au Québec. C’est cet axe démocratique — autodétermination pour le Québec, opposition à la répression — qui offre le plus grand potentiel pour mobiliser le peuple travailleur en appui aux Québécois.
Si la classe ouvrière canadienne anglaise montre peu de ferveur envers la cause nationale du Québec aujourd’hui, cela est dû non seulement à leur nationalisme canadien mais à leur manque de conscience de l’existence, de la nature et de l’étendue de l’oppression du Québec, une ignorance qui est alimentée en partie par le déclin de la mobilisation des Québécois eux-mêmes. Faisant partie de la même structure d’État, la classe ouvrière de chaque nation n’est pas complètement insensible aux humeurs et actions de l’autre. Une montée des luttes ouvrières au Québec serait acclamée par les travailleuses et travailleurs du Canada anglais comme toute autre mobilisation ouvrière canadienne — surtout une pour la défense des droits démocratiques québécois — serait accueillie par les Québécois.
Mais il est aussi clair que dans un proche avenir, les travailleurs et travailleuses au Canada anglais seront beaucoup plus d’accord à défendre le droit démocratique du Québec à l’autodétermination qu’ils le seront à se battre pour son indépendance — surtout quand l’actuel mouvement d’indépendance au Québec est mené par des politiciens capitalistes. Les socialistes du Canada anglais peuvent et doivent étudier et expliquer la nature de l’oppression nationale au Québec — ils peuvent diffuser les idées des indépendantistes — mais la cause de l’indépendance du Québec doit d’abord dépendre des Québécois. Au Canada anglais, l’attention doit porter sur la défense du droit du Québec à choisir et à suivre son cours. Et, bien entendu, bâtir la solidarité dans l’action avec les Québécois qui poursuivent leur programme.
Richard Fidler
19 octobre 2008
* Traduction : Jacqueline Loiselle
Réaction de Marc Bonhomme
1. Le débat sur la consigne de vote se faisait dans le cadre où il n’y avait pas de parti anticapitaliste de masse en liste, même modeste, ce qui est pourtant essentiel pour répondre adéquatement aux crises économique et écologique, et où les deux partis « le moins pire » étaient sociaux-libéraux, l’un nationaliste canadien et l’autre nationaliste québécois, c’est-à-dire qu’en dernière analyse ils soutiennent, par davantage d’interventionnisme étatique, leur capital national respectif.
2. Dans ce cadre, pour le peuple du Québec, nation opprimée, le choix tout à fait inintéressant ne pouvait être que de voter en fonction de la résistance à l’oppression. Pour le peuple canadien-anglais conscient de la distinction cruciale à faire entre le nationalisme de l’opprimé et celui de l’oppresseur, il ne pouvait que signaler son accord à ce choix tout en votant pour la seule solution du moins pire qui s’offrait à lui en faisant les réserves nécessaires.
3. Dans cette élection, il n’y avait pour les « progressistes » que deux versions du « moins pire » et rien d’autre, une de gauche expliquée ci-dessus et une de droite, « battre les Conservateurs », ce qui ouvrait la porte, inacceptable pour la gauche, de voter parfois pour l’autre parti de la bourgeoisie.
4. La réponse cruciale au débat sur la consigne de vote n’était pas la démobilisante (et dans le cas du Québec, diviseuse) consigne de vote proprement dite mais la mobilisation dans la rue pour les revendications les plus rassembleuses dans la conjoncture de la campagne électorale, très souvent découlant du réactionnaire discours Conservateur.
5. Le peuple québécois s’est modestement mobilisé mais a été peu relayé par le peuple canadien anglais. De plus, au niveau du vote, il a résisté à l’offensive Conservatrice tout en ne choisissant pas le parti alternatif de la bourgeoisie. Dans un contexte général de démobilisation au Québec comme au Canada anglais, le peuple du Québec a été à la hauteur et a évité au Canada un gouvernement majoritaire Conservateur quelque soient les illusions que cette situation crée.
6. Un examen sommaire de la répartition du vote montre que le peuple québécois a été partiellement relayé — trop souvent en faveur des Libéraux — par les peuples opprimés acadien, terre-neuvien et autochtones, par la minorité nationale franco-ontarienne et par les minorités de couleur et autres des noyaux des grands centres urbains. Chapeau donc aux nations et nationalités opprimées de l’État canadien.
7. Au Québec, la majorité des anticapitalistes, de la gauche toutes tendances et même des « progressistes » optent pour l’indépendance du Québec. Étant donné cette réalité qui ne se dément pas depuis une génération, pour ce qui est des anticapitalistes du Canada anglais, particulièrement des révolutionnaires, s’ils arrivent à la conclusion que le maillon faible de la bourgeoisie dans le cadre d’une stratégie révolutionnaire pour l’État canadien est la question nationale québécoise, il n’y a pas d’autres choix que de défendre publiquement et clairement la revendication de l’indépendance du Québec tout en saluant les organisations de masse canadiennes-anglaises qui revendiquent publiquement le droit à l’autodétermination du Québec.
22 octobre 2008
[La réponse de Richard Fidler à la réaction de Marc Bonhomme n’existe pas pour l’heure en français. Elle est disponible sur ESSF dans la version anglaise de cet échange. Pour la voir, cliquez sur la commande « traduction – article » dans la commande de gauche.]