Rouillan, le poids de ses mots, le choc de ses propos
Justice. L’ancien d’Action directe risque de perdre sa semi-liberté à cause d’une interview.
De notre correspondant à Marseille MICHEL HENRY
Rouillan a une bouche, il s’en sert, et ça ne plaît pas à tout le monde : hier, après la publication d’une interview sur le site Internet de l’Express [Voir ci-dessous], le Parquet de Paris a indiqué qu’il allait demander la révocation de la semi-liberté dont il bénéficie depuis décembre 2007. Son tort ? Le cofondateur d’Action directe (AD) se serait exprimé sur les faits pour lesquels il a pris deux fois perpétuité, ce qui lui est formellement interdit. En fait, il dit simplement qu’il assume son passé, comme il nous l’a expliqué dans un entretien réalisé les 19 et 22 septembre. « Pour une interview, ils sont capables de me faire repartir sur une perpétuité », soupirait-il hier. Ajoutant : « Mais la bataille sur la liberté de parole est essentielle. » Son avocat, Me Jean-Louis Chalanset, commente : « Cette demande de révocation n’est pas fondée sur le plan juridique. Et c’est ridicule d’interpréter trois lignes dans un long texte. C’est un prétexte pour le faire taire. Le Parquet a toujours été contre sa semi-liberté, contre ses permissions. »
Au secours, Rouillan revient ? A 56 ans, il fait toujours peur. Il a beau être grand-père, il est toujours révolutionnaire. Avec une nuance : s’il ne renie pas la « lutte armée », qui a provoqué plusieurs morts et l’a conduit vingt ans en détention dans des conditions extrêmes, il veut désormais faire de la politique comme simple militant. « Il en a parfaitement le droit », explique son avocat. Jean-Marc Rouillan s’est donc inscrit depuis l’été à un comité marseillais pour le futur NPA (Nouveau parti anticapitaliste) d’Olivier Besancenot. « Une démarche individuelle », explique-t-il : « Après vingt-deux ans de cachot, j’ai besoin de parler, d’apprendre des gens qui ont lutté pendant ces années. »
Bourre-pifs. Ironie de l’histoire : il retrouvera, au sein du NPA, des trotskistes de la LCR (Ligue communiste révolutionnaire), ses anciens adversaires qu’il traitait de « flics du mouvement protestataire » et avec qui il échangeait essentiellement des bourre-pifs [1]. « Je sais qu’ils sont contre ce que j’ai fait, tout mon parcours politique. Et moi, je suis contre le leur. Mais je pense que le rapprochement peut produire quelque chose de différent. Ce qui m’intéresse, ce sont les contradictions. Plus il y en aura, plus le NPA va vivre politiquement. Il faut une saine pagaille. » Côté LCR, Alain Krivine minimise son arrivée qu’il qualifie de « non-événement » : « Si Rouillan veut adhérer, ça veut dire qu’il aura totalement changé de méthode, politiquement. A l’époque, on l’a condamné totalement. Maintenant, on n’aura aucun débat avec lui. Ce n’est pas un enjeu national. Il n’y a aucune rencontre officielle de courant à courant. Rouillan, c’est Rouillan, ce n’est pas un courant. » Rouillan a rencontré Olivier Besancenot en juin à Marseille. « Je lui ai dit : « Attention, vous pouvez refuser, mon adhésion risque de poser un problème sur le plan politique. » Il sait que ça va être un très gros bordel, cette histoire. Il m’a dit qu’il était prêt à assumer. » François Hollande, le premier secrétaire du PS, estimait hier sur Europe 1 que « Olivier Besancenot aurait intérêt à se débarrasser de cet adhérent-là car il est vraiment encombrant ». Mais pour Besancenot, la situation est claire : « Il est le bienvenu. Il a purgé sa peine. A un moment, il faut tourner la page. » Avec Rouillan et d’autres, Besancenot estime que le NPA va « ouvrir son espace politique ». « L’objectif n’est pas de monter des foyers de guérilla à travers la France, dit le facteur. Mais de détruire la société actuelle pour en créer une autre. » La détruire, mais par quels moyens ? Plutôt que de parler de révolution, Rouillan a toujours préféré la faire, les armes à la main. Et aujourd’hui ? « Je suis communiste insurrectionnel, même si ça me fait mal voir, dit-il. Je ne suis pas guévariste pour mettre le portrait du Che dans ma chambre. J’assume totalement mon passé. Mais je n’incite pas à la violence ! » Il explique : « Je commettrais une erreur en lançant un appel à la lutte armée. Je sais qu’une lutte armée comme celle des années 70 ou 80 ne peut plus se faire sur les mêmes bases. Ces mouvements s’étaient développés dans une grande effervescence révolutionnaire qui n’existe plus. » De 1987 à 2007, Rouillan était en prison, après avoir pris perpétuité avec dix-huit ans de sûreté, pour complicité d’assassinats de l’ingénieur général de l’armement René Audran en 1985 et du PDG de Renault, Georges Besse, en 1986. Depuis décembre 2007, celui qui est devenu écrivain en prison travaille la journée comme éditeur chez Agone à Marseille et couche le soir et les week-ends en cellule. Il a touché sa première fiche de paye à 55 ans : jusque-là, il passait de la clandestinité à la prison, et inversement.
Dépaysé. De retour à la vie du dehors, l’ex-AD se trouve sacrément dépaysé. « Il y a eu une glaciation d’un certain esprit de révolte, et une ghettoïsation. On a perdu toutes les grilles de lecture. Le monde est dépolitisé et je suis surpris par l’extrême profondeur de cette dépolitisation. J’ai une impression de désastre politique… Toutes les formes de résistance de masse ont été laminées. » Au NPA, il s’imagine en simple « militant de base ». « Pour moi, l’époque des chefs est finie. Je suis là pour apprendre des autres. Je voudrais qu’ils oublient qui je suis. » Son emploi du temps l’empêche de participer : « Les réunions, c’est le soir, et le soir, je rentre aux Baumettes. » Cette semi-liberté qu’on menace désormais de lui enlever lui pèse. Il y voit « une déstabilisation extrême plus qu’une resocialisation » : « Progressivement, la vie que tu construis à l’extérieur t’attire. Mais il faut rentrer en prison le soir et le week-end. C’est totalement contre-productif. » Il attend désormais une convocation devant le juge d’application des peines pour savoir si elle sera révoquée. Sinon, il espère une libération conditionnelle d’ici à décembre. A l’instar de son épouse Nathalie Ménigon, qu’il a vue en juin pour la deuxième fois depuis leur mariage en prison, en 1999 [2]. « On est en instance de divorce. Politiquement, elle est extrêmement décidée, proche de ma position. Mais sa capacité physique ne lui permet pas de s’engager davantage. »
* Paru sur le site du quotidien Libération du 2 octobre 2008.
Le parquet demande la révocation de la semi-liberté de Jean-Marc Rouillan
Le parquet de Paris a annoncé, mercredi 1er octobre, son intention de demander la révocation de la semi-liberté accordée à Jean-Marc Rouillan. Cette annonce fait suite à un entretien publié sur le site de L’Express où le cofondateur d’Action directe laisse entendre qu’il ne nourrit aucun regret pour l’assassinat du patron de Renault, Georges Besse, le 17 novembre 1986. Interrogé sur ce fait, il répond : « Je n’ai pas le droit de m’exprimer là-dessus... Mais le fait que je ne m’exprime pas est une réponse. Car il est évident que, si je crachais sur tout ce qu’on avait fait, je pourrais m’exprimer. Par cette obligation de silence, on empêche aussi notre expérience de tirer son vrai bilan critique », dit-il. « Il faut clarifier les choses : le processus de lutte armée tel qu’il est né dans l’après-68, dans ce formidable élan d’émancipation, n’existe plus », souligne Rouillan, 56 ans, qui ajoute : « Mais, en tant que communiste, je reste convaincu que la lutte armée est nécessaire à un moment du processus révolutionnaire. » C’est au juge d’application des peines de Paris, qui a compétence en matière terroriste, qu’il reviendra de se prononcer sur la révocation ou non du régime de semi-liberté.
Jean-Marc Rouillan est conscient enfin qu’avec cet entretien, il « joue » sa liberté alors qu’il n’est qu’en semi-liberté depuis décembre 2007. Il travaille actuellement dans une maison d’édition marseillaise, après vingt années passées en prison, depuis février 1987. Il lui est interdit d’évoquer les faits pour lesquels il a été condamné. Comme Nathalie Ménigon, Georges Cipriani et Joëlle Aubron (morte en 2006, moins de deux ans après sa libération pour raisons médicales), Jean-Marc Rouillan a été condamné deux fois à la réclusion criminelle à perpétuité, pour les assassinats du PDG de Renault Georges Besse en 1986, et de l’ingénieur général de l’armement René Audran, un an plus tôt.
LA QUESTION DU RAPPROCHEMENT AVEC OLIVIER BESANCENOT
Au sujet de l’intention qu’il a exprimée d’adhérer au Nouveau Parti anticapitaliste qui doit voir le jour fin janvier 2009 pour prendre la succession de la LCR d’Olivier Besancenot, Jean-Marc Rouillan évoque son besoin de se réapproprier « vingt ans d’histoire de ce pays » en rencontrant « des gens d’origines et d’obédiences extrêmement différentes ». Il explique que sa « présence lui donne une crédibilité quand il parle d’action révolutionnaire ! ». Il souligne les contradictions d’Olivier Besancenot, qui a toujours condamné les méthodes d’Action directe. « Et en même temps, il se dit guévariste. C’est un petit peu paradoxal ! Il pense que, quand on touche à ce terrain, il faut être social-démocrate... Non ! Quand on se dit guévariste, on peut simplement répondre que la lutte armée est nécessaire à certains moments. On peut avoir un discours théorique sans faire de la propagande ou de l’appel au meurtre. »
Au sujet du nom du futur parti, aujourd’hui en débat, il estime que si le mot « révolution » en était absent « ce serait une démission », vouant cette formation à n’être qu’un « petit parti électoral ». Dans ces conditions, « à plus ou moins longue échéance, je serais naturellement éliminé de ce processus », confie-t-il, soulignant : « Pas besoin d’envoyer une lettre de démission. » Après vingt années passées en prison, il avoue par ailleurs avoir été « catastrophé » de découvrir « la dépolitisation inscrite dans les couches populaires », alors que « nous sommes dans une société de classes », dans une société « où le conflit impérialisme/anti-impérialisme est crucial ».
Interrogé par L’Express également, Olivier Besancenot estime pour sa part que Jean-Marc Rouillan a purgé sa peine de prison. « Et même plus. La question, c’est de savoir si un homme qui a purgé sa peine a le droit de s’engager en politique. Ma réponse est oui. »
AFP
A propos de J.-M. Rouillan
Communiqué de la LCR
Le parquet de Paris vient de demander la réincarcération de Jean-Marc Rouillan. Celui-ci a purgé sa peine : 20 ans de prison...
La LCR qui a toujours défendu les droits démocratiques et les droits des prisonniers, est contre sa réincarcération.
La LCR tient aussi à réaffirmer qu’elle a toujours rejeté et condamné les actions et la politique d’Action directe.
La LCR est en désaccord avec les déclarations récentes de J.M.Rouillan, publiées dans le prochain numéro de l’Express.
Ayant purgé sa peine, il a bien le droit à l’engagement politique. Il a demandé son adhésion au NPA. Du point de vue de la LCR, il avait sa place dans ce nouveau parti à partir du moment où il renonçait à ses actions du passé.
La LCR dénonce enfin une opération politique visant à tenter de criminaliser le NPA au moment où les préoccupations principales des français, de la population tournent autour de la crise économique et de ses conséquences et au moment où les réponses politiques du NPA rentrent de plus en plus en écho avec ces préoccupations.
Le 1er octobre 2008.
« Rouillan embarrasse Besancenot »
Eric Hacquemand
Malaise dans les rangs révolutionnaires. Hier, Olivier Besancenot, le porte-parole de la Ligue communiste révolutionnaire (LCR), a choisi de ne pas commenter l’interview polémique accordée par Jean-Marc Rouillan à « l’Express » à paraître aujourd’hui. Un entretien qui tombe mal pour le facteur de Neuilly-sur-Seine, au sommet des sondages de popularité et poussé par la crise actuelle du capitalisme financier : en ouvrant ses portes à l’ancien cofondateur du groupe terroriste Action directe (AD), le Nouveau Parti anticapitaliste (NPA) que Besancenot tente de fonder a pris le risque de brouiller son image. Un brin perfide, le socialiste Francois Hollande lui a même conseillé de « se débarrasser » de l’ancien leader d’Action directe.
Car Rouillan, condamné à la réclusion à perpétuité pour l’assassinat du PDG de Renault Georges Besse en 1986, n’exprime aucun remord. S’il admet que la lutte armée type années 1970 « n’existe plus », il reste « communiste » et se dit « convaincu qu’elle est nécessaire à un moment du processus révolutionnaire ». Enthousiaste à l’idée de construire le NPA, l’ancien terroriste qui n’en est pas encore officiellement membre assure avoir reçu le feu vert du facteur : « J’ai prévenu Besancenot : Ma présence peut faire du bordel… Il m’a dit que c’était réfléchi et qu’ils étaient d’accord. »
« Il a purgé sa peine »
Hier, dans un communiqué de quelques lignes, la LCR s’est dite « en désaccord » avec les déclarations de l’ancien activiste et dénonce une nouvelle tentative « de criminaliser le Nouveau Parti ». « On a d’autres chats à fouetter avec la crise financière, la Poste qui risque d’être privatisée et les licenciements… » explique Besancenot, joint au téléphone. Au-delà de la polémique, le cas Rouillan renvoie l’extrême gauche et sa principale figure à leurs ambiguïtés sur le bon usage de la lutte armée. Le porte-parole assure que « le but du NPA n’est pas de créer des foyers de guérilla dans toute la France », mais il n’est pas non plus un dirigeant câlin. Ses inspirateurs : Che Guevara évidemment, mais aussi le militant afro-américain Malcom X ou encore le psychiatre antillais Frantz Fanon, tous partisans de la violence révolutionnaire. De Marina Petrella à Cesare Battisti, Besancenot n’a jamais économisé sa peine pour défendre les activistes réfugiés en France après les « années de plomb » en Italie, tout en dénonçant « les groupuscules violents et minoritaires ». Quant à Rouillan lui-même, Besancenot refuse de le considérer comme « un paria ». « Il a purgé sa peine et payé sa dette… Il a donc le droit de s’engager en politique. » Encore faut-il donner une cohérence : entre Clémentine Autain, ex-adjointe de Bertrand Delanoë à Paris, et l’adepte de la lutte armée Rouillan, le NPA fait le grand écart.
Le soutien à l’ancien terroriste fait donc tousser jusque dans l’entourage de Besancenot : « Aller flinguer un mec au petit matin, ça n’a rien à voir avec la lutte armée… » clame un de ses fidèles. Christian Piquet, opposant de la direction, assure que « Rouillan n’a pas sa place dans le NPA car il n’a manifestement pas retenu les errements délirants de son passé ». Quant à la justice, elle rappelle que Rouillan n’a pas le droit d’évoquer publiquement les faits pour lesquels il a été condamné : le parquet de Paris va donc demander la révocation de sa semi-liberté. L’ancien d’Action directe travaille le jour dans une maison d’édition à Marseille et rejoint tous les soirs la prison des Baumettes.
* Article publié dans le Parisien du 2 octobre.
L’interview de J.-M. Rouillan à l’Express
L’Express publie ci-dessous une interview de l’ancien leader d’Action directe parce qu’il purge sa peine selon la loi républicaine et bénéficie depuis décembre 2007 d’un régime de semi-liberté, mais également parce qu’il s’est engagé dans la vie politique en soutenant le Nouveau Parti anticapitaliste d’Olivier Besancenot. L’Express n’en condamne pas moins les crimes terroristes commis hier par Action directe, ainsi que tout ce qui pourrait ressembler à une apologie de la lutte armée en France.
Christophe Barbier
Action directe se structure autour d’un jeune militant antifranquiste, Jean-Marc Rouillan. Sa première action d’éclat vise le patronat, avec le mitraillage du siège du CNPF, le jour de la Fête du travail, le 1er mai 1979. Le 13 septembre 1980, Nathalie Ménigon et Jean-Marc Rouillan sont arrêtés à l’issue d’une fusillade, dans le XVIe arrondissement de Paris : grâce à la complicité d’un informateur, Gabriel Chahine, les Renseignements généraux avaient organisé un rendez-vous avec un faux émissaire du terroriste Carlos.
Après l’élection de François Mitterrand, en mai 1981, le gouvernement socialiste fait voter une loi d’amnistie qui conduit à la remise en liberté de Rouillan et de Ménigon. Mais les militants durcissent leur action : ils passent au meurtre. Le 13 mars 1982, Chahine est abattu alors qu’il entrouvre la porte de son atelier d’artiste (Les Stores rouges, de Jean-Pierre Pochon, Editions des Equateurs.).
Le 25 janvier 1985, l’ingénieur général Audran est assassiné. Le 17 novembre 1986, Georges Besse, le PDG de Renault, est tué de plusieurs balles devant son domicile.
En février 1987, les quatre principaux responsables d’AD sont enfin repérés dans une ferme de Vitry-aux-Loges (Loiret) : Jean-Marc Rouillan, Nathalie Ménigon, Joëlle Aubron et Georges Cipriani sont finalement condamnés à la réclusion criminelle à perpétuité, avec une peine de sûreté de dix-huit ans.
Aubron est la première à recouvrer la liberté pour raisons médicales en 2004, avant de décéder en mars 2006. Une libération conditionnelle a été accordée à Nathalie Ménigon en juillet dernier. Quant à Rouillan, il bénéficie d’un régime de semi-liberté depuis décembre 2007. Il s’apprête à rejoindre le NPA, le nouveau parti d’Olivier Besancenot.
La presse a annoncé votre intention d’adhérer au NPA. Pourquoi ce besoin de rallier, aujourd’hui, un parti ?
Parce qu’il faut que je me réapproprie vingt ans d’histoire de ce pays. Moi, j’étais en cellule où tu ne reçois, essentiellement, que la télévision, les médias bourgeois. J’ai eu un filtre énorme et très peu de relations clandestines pour m’informer autrement. Au NPA, en quelques mois, je vais rencontrer des gens d’origines et d’obédiences extrêmement différentes. Mon profit personnel est dans ce contact. Pour le moment, le NPA n’est qu’une saine pagaille... Mais j’y vois un formidable élan.
La personnalité d’Olivier Besancenot a-t-elle joué un rôle dans votre choix ?
Non, bien que ma rencontre avec lui a été importante. C’est quelqu’un qui n’est pas typique des cadres du « groupusculisme » que j’avais connu après 1968. Il est en rupture. Je crois sincèrement qu’il a compris qu’il fallait une autre vision, une autre organisation aujourd’hui en France. Le besoin est là ! Dans les assemblées du NPA, il faut voir la variété des personnes présentes. Et ces gens ne veulent pas une tête d’affiche pour les élections mais quelque chose qui les aide à affronter le système tel qu’il est : la misère, l’exploitation, le chômage, l’exclusion sociale des quartiers. Et c’est ça qui m’intéresse : aller vers ce point de tension. Ces dernières années, la force de pacification des relations politiques était telle en France qu’elle désarmait tous les conflits, récupérait les initiatives révolutionnaires. Je ne sais pas si on va réussir à crever ce miroir aux alouettes.
C’est-à-dire ?
Porter le conflit jusqu’à l’affrontement. Beaucoup de gens, actuellement, ne peuvent pas aller beaucoup plus loin dans la misère. Il va y avoir des problèmes ! D’ailleurs, l’Etat s’y prépare avec des programmes contre-insurrectionnels qui vont jusqu’à l’utilisation de drones... Que fera-t-on, à ce moment-là, en tant que révolutionnaires ? Appeler à voter Besancenot ou amener d’autres pratiques ?
Votre entrée potentielle dans un parti ne met donc pas fin à l’idée pour vous que la lutte armée est nécessaire ?
Il faut clarifier les choses : le processus de lutte armée tel qu’il est né dans l’après-68, dans ce formidable élan d’émancipation, n’existe plus. Mais en tant que communiste, je reste convaincu que la lutte armée à un moment du processus révolutionnaire est nécessaire.
Mais quand Besancenot dit qu’il a toujours condamné les méthodes d’Action Directe, il exprime une opposition à cette violence...
Oui... Et en même temps, il se dit guévariste. C’est un petit peu paradoxal ! Il pense que, quand on touche à ce terrain, il faut être social-démocrate... Non ! Quand on se dit guévariste, on peut simplement répondre que la lutte armée est nécessaire à certains moments. On peut avoir un discours théorique sans faire de la propagande ou de l’appel au meurtre.
Ces termes sont tabous dans le discours politique. Besancenot ne joue-t-il pas avec le feu en acceptant quelqu’un comme vous dans son parti ?
C’est certain que ma présence lui donne une crédibilité quand il parle d’action révolutionnaire ! On peut en rire, mais quand les Guignols de l’Info lui font dire « La révolution lundi ? Non, je peux pas, je travaille... » c’est sur cette crédibilité qu’ils l’attaquent.
Ce discours ne va-t-il pas effrayer certains militants du NPA qui veulent changer la société sans violence... Comme, par exemple, les adhérents de RESF...
RESF est un mouvement très intéressant parce qu’il représente un illégalisme de masse. J’apprends beaucoup de ces personnes... Mais RESF ne changera pas la société. Il ne vise pas, comme organisation, la révolution. Effectivement, je peux faire peur à beaucoup de monde... A notre première rencontre, j’ai prévenu Besancenot : « Ma présence peut faire du bordel. Réfléchissez, vous pouvez dire non... » Il m’a dit que c’était réfléchi et qu’ils étaient d’accord.
Certains dirigeants de la Ligue, comme Alain Krivine, mettent pourtant des conditions à votre participation : « S’il accepte le programme, il viendra ». Etes-vous prêt à vous plier à un programme s’il ne correspond pas exactement à vos idées ?
Je crois que le camarade Krivine n’a pas compris que l’époque du centralisme démocratique, pour utiliser un concept théorique, est dépassée. Le NPA ne doit pas devenir un instrument de la « direction des luttes » mais un véritable mouvement capable de créer des grands pôles de discussion, de décision... Il devra appuyer les luttes sur le terrain. Sinon, il deviendra un nouveau PC ou un simple élargissement de la gauche plurielle. Je ne condamne pas toutes les politiques institutionnelles. On peut y participer à un moment donné mais cela ne doit pas être le cœur du projet.
Il y a un grand débat autour du nouveau nom du NPA. L’absence du mot « révolution » vous choquerait-elle ?
Ce serait une démission. Le mot « révolution » signifie toujours « affrontement ». Avec la bourgeoisie, avec le gouvernement... Si on crée un instrument de lutte en renonçant à ce terme, cela signifie que les choix sont faits : le NPA serait un petit parti électoral. Et à plus ou moins longue échéance, je serais naturellement éliminé de ce processus. Pas besoin d’envoyer une lettre de démission.
La liberté conditionnelle accordée à Nathalie Menigon, votre épouse et ancienne camarade chez AD, est-elle un signe d’assouplissement de l’Etat sur le cas des anciens d’Action Directe ?
Certainement. Ils auraient pu nous garder plus longtemps en prison. Ils ont fait le choix, face au soutien qui s’est développé, d’éliminer le problème de la poursuite de notre détention. Mais cette détention a fait des ravages. Sur les quatre derniers détenus d’Action directe, il y a déjà un mort et deux personnes qui sont gravement malades.
Vous, à l’inverse, semblez en parfait état physique, votre envie de militer est intacte. Comparée à celle de vos camarades, votre résistance est étonnante...
Il n’y a rien d’étonnant et il n’y a pas de méthode pour résister à la prison. J’ai eu de la chance. Ce ne sont surtout pas leurs « privilèges » qui m’ont permis de tenir. Nous avons vécu des conditions de détention exceptionnelles : par la dureté, par la durée de l’isolement... En prison, j’ai vu trop d’arbitraire, trop d’oppression. Cela m’a conforté dans le sentiment qu’un changement révolutionnaire est nécessaire.
Partagez-vous l’analyse d’Olivier Besancenot qui dit que le président Sarkozy et son gouvernement mènent une offensive globale, et qu’il faut, face à cela, une contre-offensive globale ?
C’est une analyse particulièrement juste. Les petits coups de pointe qui se concentrent sur quelques chapitres sont importants mais ne peuvent déterminer une rupture dans une situation politique. La rupture naîtra d’une globalisation de l’affrontement. Depuis son arrivée au pouvoir, Sarkozy tient parfaitement son rôle d’agent du libéralisme. Sa première décision de rentrer dans l’Otan détermine toute une série d’autres conséquences. On va retrouver la pression sur les pays qui ne sont pas d’accord sur le libéralisme, les politiques néocoloniales très agressives. C’est une politique au service des riches, mais au moins, c’est clair.
Après vingt ans de prison, dont plusieurs à l’isolement, comment avez-vous retrouvé la société française au moment de votre passage à la semi-liberté, notamment au niveau de sa dépolitisation ?
J’ai été catastrophé... Dans les années 50-60, le gros de la société était fortement politisé. Un militant socialiste pouvait sortir une analyse politique. Aujourd’hui, j’ai l’impression que le marxisme, toutes les théories qui nous permettaient d’appréhender les situations, ont été oubliées. Certes, les situations ont considérablement évolué, mais, en même temps, elles gardent leurs bases fondamentales : nous sommes dans une société de classes, nous sommes dans une société où le conflit impérialisme/anti-impérialisme est crucial. On se perd dans l’aide aux pauvres, à ceux qui souffrent... Non, les pauvres, ceux qui souffrent, les exploités et les opprimés sont des pro-lé-taires ! Aujourd’hui, il faut bosser énormément pour convaincre les gens de la réalité du système. Si vous allez dans une cité pour parler de religion, vous aurez plus d’attention que si vous venez parler d’oppression, d’exploitation de classes. Cela vient de la dépolitisation qui a été inscrite dans ces couches populaires, cette pression médiatique terrible qui a rendu toute tentative d’analyse des situations has-been. On a tout résumé à des images d’Epinal assez ridicules. C’est angoissant quand on se balade dans les rues de Marseille de voir le nombre de portraits de Che Guevara. Un Che lessivé de toute conscience politique. Un Che transformé en icône marketing.
Etes-vous prêt encore à jouer votre liberté personnelle pour vos idées ?
Mais je la joue actuellement. Avec cette interview... Je sais que je ne suis qu’en « semi-liberté ». Et s’il y a une amélioration, ce sera une liberté sous condition. C’est-à-dire que je ne serai jamais plus un homme libre. On me l’a marqué sur un papier.
Dans Le Monde, Françoise Besse, la veuve de Georges Besse, a évoqué à votre propos un « honteux recrutement ». Regrettez-vous les actes d’Action directe, notamment cet assassinat ?
Je n’ai pas le droit de m’exprimer là-dessus... Mais le fait que je ne m’exprime pas est une réponse. Car il est évident que si je crachais sur tout ce qu’on avait fait, je pourrais m’exprimer. Mais par cette obligation de silence, on empêche aussi notre expérience de tirer son vrai bilan critique.
Vous êtes en semi-liberté depuis le mois de décembre 2007. Comment vivez-vous ce statut ?
C’est une expérience extrêmement difficile. Ce dont je n’avais pas conscience au début. Le fait de rentrer et de sortir tous les jours de cellule est normalement fait pour se réadapter. Dans mon cas précis, qui est une semi-liberté exceptionnelle par sa longueur et par les conditions qui me sont faites, ce n’est pas une préparation à une libération, c’est une déstabilisation complète. Ce que j’avais réussi à créer en prison, ils s’attachent à le détruire. Les relations familiales, le projet professionnel... Je peux travailler mais je n’ai que certaines tâches autorisées. Au niveau familial, j’ai gardé pendant 20 ans une relation assez poussée, des parloirs tous les week-ends... Là, on me supprime toutes les possibilités de voir ma fille et ma petite-fille. Je suis à 800 kilomètres de chez moi.
Vous avez revu récemment Nathalie Menigon, qui est toujours votre épouse...
Oui. C’était en juin dernier à Marseille. Notre deuxième rencontre depuis notre mariage en 1999. J’ai eu la bêtise d’accepter, naïvement, de la voir dans un local pénitentiaire... Franchement, ils nous ont traités comme des chiens, enfermés dans une salle entre onze et quinze heures, sans pouvoir manger. Nous ne nous étions pas vus depuis neuf ans et cela a été traité comme une affaire d’Etat.
Va-t-elle vous suivre au NPA ?
On en a parlé, mais elle est très malade... Elle vit à la campagne, a plus de difficultés à se remettre de sa détention que moi. Mais elle approuve ma décision. Elle rejoindra peut-être, à titre symbolique, la commission répression mais elle n’aura pas la même capacité d’action.
Allez-vous rester mariés ?
Normalement non. Nous avons le projet de divorcer. De toute façon, nous ne vivons plus ensemble par la force des choses...
Les mémoires d’Action directe sont-ils écrits ?
Les mémoires d’Action directe ne sont pas écrits car l’interdiction qui nous frappe de raconter cette période va courir encore longtemps. Mais un livre va prochainement sortir, comprenant quelques textes écrits par différentes personnes dont des travaux de Joëlle Aubron, qui, elle, par un malheureux hasard, à la possibilité de s’exprimer.