Il n’est pas tout à fait 14 heures. Les ouvriers de l’équipe du matin sortent au compte-gouttes de l’imposante usine Goodyear à Amiens (Somme). Soudain, Olivier Besancenot, le porte-parole de la LCR qui met sur orbite son nouveau parti anticapitaliste, fait son apparition.
Des salariés, des syndicalistes, mais aussi des micros et des caméras se massent autour du jeune homme. « Dès qu’on me tendra un micro à une heure de grande écoute je parlerai de vous tant que je pourrai. Ce conflit porte en lui toutes les problématiques nationales : remise en cause du temps de travail, préservation des emplois, amélioration des salaires... », assure Olivier Besancenot. « C’est la première fois que quelqu’un d’aussi médiatique fait le déplacement », constate Philippe, 45 ans, dont vingt-cinq chez Goodyear. « Gilles de Robien, quand il était maire, nous a juste dit qu’on se tirait une balle dans le pied si on n’acceptait pas la réorganisation du temps de travail. Quant au nouveau maire PS, on l’a vu pendant la campagne. Maintenant c’est son adjoint qui passe de temps en temps. »
402 licenciements
Cela fait près de deux ans que la direction a proposé aux salariés de travailler en 4 x 8 pour échapper à un plan social. Dans l’indifférence générale. Au fil des mois rythmés par les référendums, la signature d’un accord chez Dunlop, l’autre société du groupe située à une encablure, et jusqu’à la confirmation hier du licenciement de 402 personnes et l’annonce de 600 suppressions supplémentaires chez Goodyear, où la CGT a décidé de faire jouer son droit d’opposition, l’avenir de ces salariés n’a guère passionné les foules.
« On a tout fait pour que les leaders syndicaux se déplacent, mais ça n’a rien donné », regrette ce délégué qui préfère garder l’anonymat. « On a dû tomber à un mauvais moment stratégique. Peut-être parce qu’on rouvrait le dossier des 35 heures. »
Du côté de la CGT on est aussi déçu : « Bernard Thibault a écrit une lettre à la direction, c’est bien ; mais on aurait aussi aimé qu’il vienne », explique Michael Wamen, le délégué. « On a eu des réunions locales, tempère Thierry Récoupé, de la CFTC, mais c’est vrai que ça n’a pas pris au niveau national. Cette affaire a été un vrai feuilleton et les syndicats n’étaient pas d’accord entre eux. » Le climat social n’était pas non plus favorable. Exit l’intérêt porté il y a encore quelques années aux LU, Michelin et Moulinex. « Dans la rue, on nous dit qu’on n’a pas d’autre choix que d’accepter l’offre de la direction. Tout le monde est résigné », se désole Michael, un salarié. « Les gens sont devenus très individualistes, assure Patrick, un mécanicien de 46 ans, Sarkozy a bien réussi son coup : quand il y a des grèves, on ne les voit plus », poursuit-il, amer.
En catastrophe hier après-midi, Gilles Demailly, le nouveau maire PS d’Amiens, a convoqué une conférence de presse. La première. « Je suis le conflit au jour le jour », se justifie-t-il. Et d’appeler le gouvernement à s’impliquer dans le dossier. Quant aux autres élus PS : « C’est à eux de voir ce qu’ils veulent faire ». « De toute manière, c’est trop tard », lâche un ouvrier d’une trentaine d’années. La CGT, elle, veut encore y croire : « La venue de Besancenot, c’est sûr, ça va faire bouger les choses », estime Michael Wamen.
Valérie Hacot
* Article publié dans Le Parisien du 17 juillet 2008.
Olivier Besancenot : Goodyear Amiens, « emblématique du chantage patronal »
AMIENS (AFP) — Le porte-parole de la LCR, Olivier Besancenot, a estimé mercredi que le cas du site Goodyear d’Amiens Nord, où la direction a confirmé mardi la suppression de 402 emplois faute d’un accord sur une réorganisation du travail, était « emblématique du chantage patronal ».
« C’est emblématique, car ça résume tout : le chantage patronal, le chantage qui demande de travailler plus ou d’être licencié, la complicité des pouvoirs publics et le fait qu’il y ait de la combativité en face », a déclaré M. Besancenot à la presse, lors d’une visite sur le site.
« C’est aussi pour ça qu’on veut faire un nouveau parti (le nouveau parti anticapitaliste, ndlr), pour que les gens qui se battent aient un relais », a poursuivi l’ancien candidat à la présidentielle, en promettant d’essayer de revenir sur place avec des élus du PCF, de LO ou « même du PS ».
Mardi, la direction de Goodyear Dunlop a confirmé la suppression de 402 emplois dès septembre, suite à la décision de la CGT, majoritaire, de dénoncer l’accord sur les « 4x8 » signé par la CFE-CGC et la CFTC, minoritaires.
Pendant plus d’une heure, M. Besancenot a discuté avec les représentants syndicaux de la CGT et de Sud, qui se sont toujours opposés aux « 4x8 », devant une cinquantaine de salariés.
« Ce qu’ils ont annoncé mardi, c’était déjà programmé depuis 2006. De toute façon, même si les 4x8 n’avaient pas été dénoncés, il y aurait eu 450 à 500 suppressions d’emplois », lui a notamment expliqué Mickaël Wamen, délégué CGT.
La réorganisation du travail en « 4x8 » avait été acceptée en mars par les syndicats -y compris la CGT, dont le représentant a depuis été exclu- à l’usine d’Amiens Sud (ex-Dunlop, 1.300 salariés), située juste en face de celle d’Amiens Nord.
Rejetés par une majorité de salariés de Goodyear et de Dunlop à Amiens lors d’une première consultation en octobre 2007, les « 4x8 » avaient été approuvés fin juin par 72,8% des salariés d’Amiens Nord qui ont voté, mais pas par les ouvriers directement concernés.
GOODYEAR : Le chantage ne passera pas
Alors que les salariés de Goodyear, à Amiens, se battent contre les 402 licenciements annoncés, Olivier Besancenot est venu à leur rencontre, mercredi 16 juillet.
La direction de Goodyear, entreprise multinationale qui a réalisé 17 millions d’euros de bénéfices en 2007, a récemment annoncé 402 licenciements, en septembre, à Amiens nord. Cette décision sent la vengeance patronale, après le refus d’une majorité d’ouvriers d’accepter le plan de passage aux 4x8 concocté par Goodyear afin d’augmenter ses profits et de diminuer les effectifs du groupe (lire Rouge n°2260 du 10 juillet). Après six jours de grève pour protester contre un accord signé le 4 juillet par des syndicats ultraminoritaires, la CGT, soutenue par SUD, a fait valoir son droit d’opposition. Car quel que soit le choix des salariés – accepter ou refuser le plan de la direction –, celle-ci avait prévu de supprimer des postes (entre 450 et 500, selon les syndicats, en cas de passage aux 4x8).
C’est donc avec des salariés et des syndicalistes CGT et SUD très remontés qu’Olivier Besancenot a discuté, pendant plus d’une heure, devant les portes de l’usine gardée par des vigiles. Embauchés pour empêcher l’entrée de salariés des autres établissements du groupe, ils assurent aussi la protection de cadres dirigeants n’osant pas se promener seuls de peur d’être pris à partie par les ouvriers en colère.
À Olivier Besancenot, qui leur apportait le soutien de la LCR, les salariés ont dit la honte d’appartenir à une société qui broie les individus pour enrichir une minorité, qui criminalise le combat syndical. « Lutter pour garder son emploi, c’est un délit dans ce pays où on évacue des sans-papiers alors qu’ils ont travaillé en France pendant des années. » Ils ont rappelé que les salaires des dix plus hauts dirigeants de l’entreprise avaient doublé en un an. Ils ont décrit les difficiles conditions de travail, le sacrifice de la vie de famille, les efforts fournis pour « préserver l’avenir » : « 30 ans sur une machine à faire des pneus, quand tu sors de tes huit heures au travail, t’es lobotomisé. » Mais aussi la volonté de ne pas plier devant la morgue patronale et la complicité des pouvoirs publics, de défendre l’emploi, de faire payer les patrons. Et d’appeler les autres salariés et les confédérations syndicales à organiser la convergence des luttes avec la conscience qu’isolées, les mobilisations sont plus difficiles.
Le porte-parole de la LCR a rappelé qu’il « n’avait pas le bras long », mais qu’il prenait l’engagement, avec les militants de la LCR et ceux qui veulent construire un nouveau parti anticapitaliste, de relayer au niveau national la mobilisation contre ce chantage patronal. Évoquant le fait qu’aucun conseil régional, tenu par la gauche, n’a porté plainte pour essayer de récupérer les subventions versées à des entreprises qui licencient, il a rappelé que les luttes gagnantes sont celles qui « sortent de la boîte » et se mènent de manière unitaire. D’où la proposition, appréciée, que les responsables des partis de gauche et des syndicats s’engagent aussi aux côtés des Goodyear, afin de transformer leur lutte en pôle de résistance national.
Correspondant
* Paru dans Rouge n° 2262, 24/07/2008.
Les Goodyear contre les 4x8
Depuis plus d’un an et demi, la direction du site Goodyear-Dunlop tente d’imposer son projet de réorganisation du travail en 4x8. Le groupe est l’un des géants du pneumatique, dégageant en 2007 des bénéfices en hausse de 11 %. Mais il faut toujours plus de profits pour les actionnaires : tous les sites européens sont déjà organisés en quatre équipes qui font tourner les sites en continu. Toutes les pressions ont été exercées pour faire céder les salariés.
En échange, la direction a d’abord promis d’investir 26 millions d’euros. Cela n’a pas suffi, en octobre 2007, lors d’un référendum sur le passage en 4x8, les salariés ont massivement rejeté la proposition. Au lieu d’engager la discussion, la direction l’a rompue et brandi les menaces sur le maintien du site et de l’emploi. Si l’accord 4x8 n’est pas signé par les syndicats majoritaires, la direction menace d’un plan social. Elle a organisé une nouvelle « consultation », en juin 2008, un référendum par correspondance.
SUD et la CGT ont appelé au boycott, et 328 ouvriers sur 1138 ont participé. Mais les appels à la responsabilité ont eu raison des syndicats minoritaires. Vendredi 4 juillet, à 18 heures, dès l’annonce de la signature de l’accord 4x8 par la CGC, les salariés de l’usine Goodyear ont stoppé la production. La direction a demandé aux élus de la région de « prendre position pour faire respecter le résultat des urnes ». Il faut que les nouveaux élus de gauche fassent en effet respecter le scrutin d’octobre 2007, massivement suivi par les salariés du site. La démocratie ne doit pas s’arrêter aux portes des entreprises.
Correspondant
* Paru dans Rouge n° 2260, 10/07/2008 (Au jour le jour).