La réunion « pré-Grenelle » des ONG écologistes du mois de mai 2007 avec
Juppé et Sarkozy a été révélatrice de ce qui parasite le mouvement
antinucléaire depuis le début, dès les années 70 : pour les écologistes
l’arrêt du nucléaire n’est pas une priorité, ce qui sous-tend que dans
leur analyse la catastrophe nucléaire n’est pas un mobile prioritaire
d’action. Il est clair que si cela avait été le cas les représentants des
associations les plus prestigieuses comme Greenpeace, les Amis de la
Terre, WWF et autres, auraient dû exiger la présence d’un représentant du
« Réseau Sortir du nucléaire », pour qu’au moins le cas de l’abandon de
l’EPR, cheval de bataille des dernières manifestations, soit un peu plus
que simplement évoqué. Non seulement rien n’a été exigé par les présents,
trop heureux d’avoir été choisis pour faire partie de ceux qu’on invite à
« la cour des grands » dans une ambiance « franche et cordiale » (selon
Greenpeace, Libération du 22 mai 2007), mais de plus, lorsqu’à une
question sur l’EPR Sarkozy a répondu « Le gouvernement précédent a signé
un décret lançant sa construction, je ne reviendrai pas dessus » il ne
semble pas y avoir eu de protestation solennelle, personne n’a quitté la
salle… Il résulte de cet entretien « historique » -qualificatif utilisé
par l’un de ces prétendants officiels à la communication- qu’on est bien
parti pour le développement durable du nucléaire et l’on ne voit pas
comment le Grenelle de l’environnement prévu cet automne pourrait donner
lieu à une véritable négociation alors que les jeux sont faits. Il n’y a
pas que l’EPR, le génie civil de l’usine d’enrichissement Georges Besse II
qui doit remplacer Eurodif a dépassé désormais le stade du démarrage de la
construction. [1]
Si la France s’embarque dans une nouvelle usine d’enrichissement d’uranium
c’est bien pour continuer le nucléaire, pas pour l’arrêter. Ainsi le
Grenelle de l’environnement risque fort de n’être qu’un marchandage pour
que le « non abandon » de l’EPR donne lieu à des compensations « par des
décisions plus fortes sur les énergies renouvelables » dit le journaliste
de Libération citant à ce propos le responsable de WWF-France : « S’il
[Sarkozy] ne bouge pas sur l’EPR, qu’au moins il bouge sur la
transparence, sur l’ouverture du débat, sur les économies d’énergies…
Qu’il décide qu’un euro investi dans le nucléaire entraînera l’injection
d’un euro dans les renouvelables ». Quelle transparence et quel débat
bla-bla si les décisions sont déjà prises ? 1 euro pour toi et 1 euro pour
moi, c’est tout ce que le nucléaire représente pour ce responsable
écologiste ? Cela revient à ne même pas envisager l’arrêt du nucléaire à
long terme, c’est accepter la catastrophe nucléaire comme étant
écologique !
Finalement, tant mieux si dans cette comédie, Stéphane Lhomme,
représentant du Réseau Sortir du nucléaire, n’a pas joué au collabo, il
devrait en être fier.
Bien sûr, et heureusement, il y a des écologistes qui sont vraiment
antinucléaires et on espère qu’ils vont ruer dans les brancards pour
exiger des explications de la part de leurs représentants associatifs et
un changement de leur stratégie.
Mais tout cela n’est pas nouveau. Le problème de l’indépendance du
mouvement antinucléaire par rapport aux divers mouvements écologistes et
aux partis a toujours été enseveli sous des considérations du genre : « il
faut ratisser large », ce qui nécessite des alliances avec pour
conséquence qu’on se fait ratisser, l’urgence de la sortie devient
secondaire. Enseveli aussi sous les stratégies électoralistes démarrées
dès 1974 avec la candidature présidentielle de René Dumont.
C’est dès les années 70 que s’est posée la question : devait-on avoir un
mouvement antinucléaire indépendant des positions politiques des
différents partis et des syndicats (c’était notre position) ou bien être
une force d’appoint pour appuyer les éléments minoritaires antinucléaires
du PS et de la CFDT ? C’était la position des Amis de la Terre et d’autres
associations comme le CRILAN et c’est cette stratégie qui a prévalu. La
totalité des partis et des syndicats étant majoritairement pronucléaires
elle impliquait des compromis incohérents pour faire des alliances à des
fins électorales. C’est ainsi que le PSU (Parti socialiste unifié) qui
était foncièrement antinucléaire avec son mot d’ordre « Société nucléaire,
société policière » a finalement accepté que sa représentante Huguette
Bouchardeau soit ministre de l’environnement sous le gouvernement
socialiste de Mitterrand et a entériné la continuation de
l’électronucléarisation massive de la France. Puis les Verts se sont
créés, avec toujours ce jeu perdant des alliances nécessaires, pour avoir
un strapontin ou l’illusion d’un ministère de l’environnement.
Tant que la population n’aura pas réalisé que Tchernobyl n’est pas un
accident soviétique mais qu’un accident nucléaire majeur est possible chez
nous dont les conséquences sanitaires seraient réellement catastrophiques,
on restera embourbé dans le nucléaire… jusqu’à ce que l’accident finisse
par arriver.
Ce n’est pas suffisant de prendre conscience des dangers de l’accident si
l’on ne montre pas à la population qu’il existe des solutions de mise à
l’arrêt rapide des réacteurs nucléaires par l’utilisation des combustibles
fossiles (charbon, fioul et gaz) pour produire l’électricité. Si une
production électrique à partir du gaz naturel se développait rapidement en
France par turbines à cycles combinés ce serait un plus. Avec charbon, gaz
et fioul, l’hydraulique, l’arrêt des exportations, l’arrêt de
l’autoconsommation nucléaire, on peut supprimer une part importante du
nucléaire français. [2]
Compte tenu de la faible proportion que représente l’énergie nucléaire par
rapport à l’énergie primaire consommée mondiale, cette utilisation de
combustibles fossiles n’aurait qu’un impact négligeable sur l’effet de
serre planétaire. Bien évidemment cela n’empêche pas de faire des
économies d’énergie électrique (par exemple supprimer le chauffage
électrique dans tous les édifices publics).
Rappelons qu’au sujet du charbon « propre » on oublie trop facilement
qu’Alstom a vendu à la Chine des chaudières à lit fluidisé circulant (LFC)
et aussi leur technologie alors que le projet français d’un 600 MWe à
Gardanne ne s’est pas concrétisé, dans l’indifférence générale. [3]
Alstom va construire en Pologne une centrale charbon propre avec chaudière
supercritique. Cette technologie des centrales supercritiques à charbon
est, selon les termes utilisés dans un dossier de presse EDF de juin 2007,
« l’axe fort de recherche et développement », mais c’est en Allemagne
qu’EDF a investi via sa filiale EnBW. EDF a réalisé des cycles combinés à
gaz au Vietnam, au Mexique, au Brésil. En Espagne chaudière avec
gazéification du charbon intégrée à un cycle combiné etc. Pendant tout ce
temps EDF n’a fait aucun investissement en France pour moderniser son parc thermique classique et en a démantelé une partie, [4]
là encore dans l’indifférence générale…