Ce n’est pas un plébiscite mais presque. Le 11 avril, le groupe La France insoumise (LFI) à l’Assemblée nationale a voté la réintégration d’Adrien Quatennens, suspendu depuis quatre mois suite à sa condamnation pour violences conjugales. Il siégeait depuis en « non-inscrit ». Résultat du scrutin : 45 pour, 15 contre, 2 abstentions.
Le député du Nord est donc formellement autorisé à revenir siéger aux côtés de ses camarades à partir du 13 avril, date de la fin de sa sanction.
En revanche, selon plusieurs sources, il ne va pas réintégrer le bureau du groupe LFI, dont il était membre avant la plainte de son ex-épouse ni aucune instance de coordination de la Nupes (Nouvelle Union populaire, écologique et sociale) ou du mouvement.
Cette décision a été prise après l’« audition » d’Adrien Quatennens par quatre député·es LFI mandatés par le bureau du groupe parlementaire, dont l’identité est restée secrète. Ce très proche de Jean-Luc Mélenchon aurait alors rempli les conditions fixées par les Insoumis : avoir réalisé un stage sur les violences auprès d’une structure spécialisée, « en cours de finalisation », selon le communiqué officiel ; et « regretter » ses dernières interviews.
Adrien Quatennens à l’Assemblée nationale le 21 mars 2023. © Photo Xose Bouzas / Hans Lucas via AFP
Quelques heures à peine après avoir été condamné à quatre mois de prison avec sursis lors d’une procédure de plaider-coupable à Lille, Adrien Quatennens avait, dans La Voix du Nord puis sur BFMTV, dénoncé un « lynchage médiatique inédit » et estimé avoir « payé bien assez cher sur tous les plans ».
« Lors de ces échanges, Adrien Quatennens a affirmé regretter les expressions médiatiques qu’il a eues à la suite de sa condamnation. […] Adrien Quatennens s’est engagé a poursuivre le travail qu’il a entamé ces derniers mois pour être en mesure de contribuer utilement à la lutte contre les violences faites aux femmes », énonce le communiqué diffusé par le groupe LFI mardi.
Pour le noyau dur des fidèles de Jean-Luc Mélenchon et les proches d’Adrien Quatennens, comme la députée Sophia Chikirou – ou ceux qui l’avaient soutenu en l’entourant lors de sa première intervention dans l’hémicycle, huée par les macronistes : Gabriel Amard, Nathalie Oziol, Sébastien Delogu –, cette nouvelle délibération, obtenue par plusieurs membres de LFI, n’allait pas de soi. Ce groupe estimait que le retour de leur ami était évident, et ne méritait aucune discussion.
Des « consignes » ont d’ailleurs été diffusées par Sophia Chikirou, dans une boucle interne de LFI, le 10 avril : « Le retour doit être normalisé au maximum. Il y aura de l’agitation, il vaut mieux garder la tête froide […]. Donc on ne répond pas aux différentes pétitions, aux différents tweets », y lit-on. De même qu’un message qui cible les « provocations qui pourraient venir des nôtres » – c’est-à-dire des personnalités de LFI qui ont pris leur distance avec l’attitude de Jean-Luc Mélenchon dans cette affaire : « Ceux qui vont à la confrontation, c’est celles et ceux qui utilisent cette histoire. »
Suivent une série d’« arguments » à utiliser, soulignant « l’honnêteté » d’Adrien Quatennens qui a choisi de reconnaître ses fautes, et dénonçant un complot : « Toute cette entreprise médiatique ne vise qu’à diviser la FI et la Nupes et salir Jean-Luc Mélenchon, et affaiblir notre camp. Nous ne sommes pas dupes. »
Les réactions de la Nupes
De fait, la pilule est amère pour les partenaires de LFI dans la Nupes, comme du côté des militant·es féministes du mouvement. Le Parti socialiste (PS) parle de « faute politique ». La présidente du groupe écologiste, Cyrielle Chatelain, déclare à Mediapart : « Je regrette cette décision. » Comme le PS, Europe Écologie-Les Verts (EELV) exige qu’Adrien Quatennens ne réintègre pas les instances de la Nupes. « Quand on fait du féminisme un point important, on doit être exemplaire », justifie la députée écologiste.
La sénatrice écologiste Mélanie Vogel a réagi à la nouvelle d’un simple mot : « Lamentable. » Isabelle Lonvis-Rome, ministre déléguée chargée de l’égalité femmes-hommes, a demandé la démission d’Adrien Quatennens : « Ce serait un signal positif lancé à l’égard de toutes les femmes. »
À la base de LFI, la décision n’a pas manqué non plus de décevoir une partie des militant·es. Le 10 avril, des Jeunes Insoumis·es (qui avaient été à la pointe de la contestation interne) affirmaient dans une lettre aux député·es : « En protégeant Adrien Quatennens, ce sont les militant·es qui vous ont fait élire qui ne se sentent pas entendu·es et qui perdent tout espoir en la sincérité du combat féministe de La France Insoumise. »
Partagée entre « colère » et « déception », Emmy D’Anello, militante aux Jeunes insoumis·es Strasbourg, signataire de cette tribune, se désespère : « On s’y attendait, mais pas à ce que seulement 15 députés se prononcent contre. C’est peu. On voit beaucoup LFI prendre position sans hésitation pour condamner les violences dans d’autres partis, mais au sein de son propre mouvement c’est plus difficile. » Selon elle, l’effet pourrait être une nouvelle « hémorragie militante ».
Le grand malentendu avec les féministes
Depuis le début, l’affaire Quatennens est le sujet d’un très grand malentendu entre le mouvement féministe (dans sa grande majorité) et La France insoumise. Les causes en sont multiples.
D’abord, les attentes étaient très grandes : à l’élection présidentielle, le programme le plus abouti sur les droits des femmes et des minorités de genre était très probablement celui porté par Jean-Luc Mélenchon. De nombreuses féministes se sont alors impliquées pour le soutenir. Y compris dans des cercles jusque-là peu suspects d’insoumission, comme la cheffe d’entreprise Caroline De Haas ou la journaliste et essayiste Lauren Bastide. Leur déception est d’autant plus forte qu’elle se colore d’un sentiment de trahison.
À leurs yeux, le symbole aussi est ravageur : que certains représentants du principal parti de gauche tiennent des propos minimisant des violences conjugales, voire fassent des déclarations masculinistes (mettant en cause la victime par exemple), ne peut que renforcer la chape de plomb dans la société sur cette réalité qui touche des milliers de femmes chaque année.
La députée LFI Pascale Martin, engagée de longue date contre les violences de genre, l’avait elle-même souligné dans un entretien à Mediapart en janvier : « Adrien Quatennens en fait la démonstration : il n’y a pas de déconstruction chez lui. […] Alors que je lui ai conseillé de ne pas se victimiser, il a pris le chemin classique des agresseurs dans cette situation. »
Autre point crucial : la confusion, dans certaines prises de parole insoumises, entre la fonction d’un député et un citoyen lambda. Exclure définitivement Adrien Quatennens du groupe LFI n’aurait rien changé à son mandat : seul lui peut en démissionner.
Par ailleurs, parlementaire est une fonction temporaire, soumise au suffrage universel, pas un métier ni une gratification. Les règles qui prévalent en entreprise par exemple, régies par le Code du travail, ne s’appliquent pas dans ce cas. Ni celles qui s’appliquent dans une procédure pénale devant la justice.
La France insoumise ne peut pas non plus s’extraire du contexte dans lequel cette décision s’inscrit. Ce n’est pas seulement une affaire interne au mouvement. Cette décision intervient alors que les violences sexistes et sexuelles sont endémiques dans le monde politique, longtemps exclusivement dominé par des hommes, dans une ambiance particulièrement viriliste.
Enfin, la réintégration d’Adrien Quatennens ne peut qu’interroger sur la cohérence des procédures internes à LFI. Pourquoi l’est-il quand d’autres ont été exclus, plus ou moins discrètement, pour des faits équivalents ? Il est vrai que ceux-là n’étaient pas l’ancien numéro 1 du mouvement… D’autres, mis en cause pour des faits graves, ont été écartés, mais sans aucune procédure (c’est notamment le cas du journaliste Taha Bouhafs).
Les conflits de valeur à gauche
Alors, oui, comme le dit Danièle Obono, députée LFI à l’engagement féministe incontestable, « au moins nous, nous avons pris à bras-le-corps le sujet ». « Comme tout le monde, on manque d’outils et de culture politique sur le sujet, poursuit-elle. Comment on gère les cas de personnes qu’on décide de ne pas exclure ? Comment on travaille à la réparation globale et collective ? Cela nous dépasse, c’est une question qui se pose à tout le monde. »
De fait, les partis politiques se sont longtemps désintéressés du sujet et n’ont jamais pris la peine, et le temps, de se fixer des règles internes pour fixer une échelle des sanctions et une conduite collective face aux violences sexistes et sexuelles. C’est vrai des Insoumis comme de tous les autres qui tâtonnent (lire nos enquêtes ici ou là).
De ce point de vue, les leçons de maintien de Renaissance (où siège Damien Abad) et du gouvernement (avec Gérald Darmanin en son sein) sont indécentes.
À gauche, une autre question se pose : défendre le progrès social passe aussi par revendiquer une gradation des sanctions et exclure les sanctions à vie. Comment lutter contre les violences et revendiquer ces principes de droit ? Dit par Danièle Obono : « Il faut aussi résister à un certain air du temps selon lequel la seule réponse satisfaisante serait la répression. Même sur ce sujet, cela doit être une borne, une différence avec la droite. »
En attendant, chez les féministes, domine plutôt le sentiment d’une confusion sur tous les bancs de l’Assemblée : celui d’une indifférence trop partagée aux violences qui minent la société.
Lénaïg Bredoux et Mathieu Dejean