Des formations pour les chasseurs (déjà dans la loi depuis 2019), une contravention en cas de pratique sous l’emprise de l’alcool... et une application sur smartphone pour repérer les zones de battues : telles sont, en résumé, les mesures de « sécurité » censées mieux encadrer la chasse, annoncées ce lundi 9 janvier par la secrétaire d’État chargée de l’écologie, Bérangère Couillard, en déplacement dans le village de Dry, dans le Loiret.
Mais de dimanche sans chasse, point. Une telle réforme, qui aurait permis aux amateurs et amatrices de plein air de se promener partout en toute sérénité au moins un jour par semaine, était demandée depuis quelque temps par les ONG. Fin novembre, une quinzaine d’associations environnementales avaient écrit à Emmanuel Macron pour lui demander deux jours sans chasse, dont le dimanche.
Dans plusieurs pays européens, cette interdiction hebdomadaire existe déjà depuis longtemps. Au Royaume-Uni, le Game Act interdit la chasse le dimanche pour de nombreuses espèces depuis 1831. Il n’est pas non plus possible de chasser ce jour-là aux Pays-Bas et au Portugal – qui l’interdit également le jeudi –, ainsi que dans le canton de Neuchâtel, en Suisse, où les chasseurs doivent aussi rester chez eux le mardi et le vendredi. L’Italie est allée jusqu’à limiter la chasse à trois jours par semaine, tout comme la région de Castille-et-León en Espagne.
C’est une victoire pour la Fédération nationale des chasseurs, qui ne cachait pas, ces dernières semaines, sa franche hostilité à une quelconque mesure d’interdiction alors que le débat ne cesse de resurgir à chaque accident. Huit personnes sont mortes pendant la saison 2021-2022 sous une balle de fusil de chasse et, au total, 95 personnes ont été victimes d’accident, selon le bilan de l’OFB, l’Office français pour la biodiversité. Dans les territoires ruraux, des collectifs se constituent pour faire valoir leur droit à se promener en toute quiétude et revendiquer une approche partagée de l’accès aux espaces naturels.
Le président de la Fédération nationale des chasseurs (FNC) Willy Schraen indiquait encore vendredi sur France Info à propos de l’interdiction de la chasse le dimanche ou pendant les vacances scolaires : « Si on met des lois comme ça en place, je ne vous donne pas cinq ans et vous avez la ruralité à feu et à sang. »
Les mesures annoncées – 14 au total, piochées dans la trentaine de mesures émises par un rapport sénatorial rendu public à la mi-septembre – suscitent la colère de toutes celles et ceux qui défendent un accès à la nature pour tous et veulent mieux protéger la biodiversité.
En particulier le lancement d’une application pour smartphones avec « obligation de déclaration pour les organisateurs de chasse collective » sur une plateforme numérique afin que les non-chasseurs puissent « identifier les zones et horaires non chassés ». Comme si tout le monde avait un smartphone et maîtrisait ses fonctions, comme si ces engins n’étaient jamais à court de batterie, et comme s’il y avait du réseau sur tous les chemins de randonnée…
« Contre l’écrasante majorité des Français favorables à l’arrêt de la chasse le dimanche à 78 %, le lobby de la chasse propose des gadgets dérisoires et refuse toute évolution, dénonce ainsi l’Aspas, l’association pour la protection des animaux sauvages. Et que fait l’État ? Il écoute le lobby. En réponse au problème d’insécurité lié à leur loisir, les chasseurs proposent une application aussi inutile que dangereuse. Déjà qu’ils ont du mal à poser correctement des panneaux « chasse en cours », on se demande bien comment une appli, avec tous les aléas que cela implique, pourrait montrer son efficacité. »
« Le plan sécurité qui prétend en finir avec les conflits opposant chasseurs et non-chasseurs accouche de mesurettes (renforcement de contraintes déjà existantes du type formation, etc.) et d’une “solution miracle”, une application permettant d’identifier les dangers », souligne de son côté Allain Bougrain Dubourg, le président de la Ligue de protection des oiseaux (LPO), qui indique que « les associations de protection de la nature » n’ont même pas été sollicitées. Alors même que l’on lit, dans les 14 mesures gouvernementales : « Favoriser les espaces de dialogue entre usagers de la nature et collectivités territoriales ».
Activité genrée au masculin, qui rassemble 1,2 million de pratiquants actifs en France, la chasse est depuis longtemps contestée pour ses liens politiques avec le pouvoir. Dans son livre Noël à Chambord, la journaliste Émilie Lanez décrit ainsi un « pacte » conclu en 2017 entre Emmanuel Macron, Willy Schraen et Thierry Coste, conseiller politique de la FNC qui fut à plusieurs reprises conseiller « chasse » de candidats à l’Élysée. Pacte qui s’est traduit par la baisse du prix du permis de chasse de 400 à 200 euros, et plus tard par l’appel au calme de Willy Schraen pendant le mouvement des Gilets jaunes.
C’est par ailleurs la présence de ce Thierry Coste à une réunion gouvernementale, en août 2018, qui aurait « achevé de convaincre » Nicolas Hulot de démissionner de son poste de ministre à la transition écologique.
L’an dernier, pendant la campagne présidentielle, Willy Schraen avait assuré, dès le premier tour, de son plein soutien à Emmanuel Macron. Le candidat à sa réélection « mettra toute son énergie pour répondre à nos demandes, avait alors dit le président de la fédération de chasse au Parisien. J’ai sa parole. Il ne m’a pas déçu. Aucune loi ou amendement pouvant abîmer la chasse n’a été adopté dans ce quinquennat. À chaque fois qu’on a eu un problème à régler avec un ministre de l’écologie, il est intervenu ».
Avec ce « plan sécurité à la chasse 2023 », le pouvoir macronien n’aura pas déçu la Fédération nationale des chasseurs, donc. Une interdiction de la chasse le dimanche « n’est pas un sujet tabou », avait pourtant déclaré en octobre la secrétaire d’État Bérangère Couillard.
Amélie Poinssot