Tout est à nous !
François Duval
La France de 2007, c’est le campement du canal Saint-Martin, qui nous rappelle la situation scandaleuse des SDF, dont certains ont un emploi, mais si mal rémunéré qu’ils ne peuvent se loger. C’est aussi l’annonce des profits des entreprises du CAC 40 : 100 milliards d’euros, dont 31,6 milliards seront redistribués aux actionnaires sous forme de dividendes, soit une augmentation de 23 % par rapport à l’exercice précédent ! Ces deux situations extrêmes sont emblématiques des inégalités incroyables qui séparent une infime minorité de privilégiés de la grande masse de la population.
Lorsque François Hollande a timidement suggéré de revenir sur les avantages fiscaux des contribuables gagnant chacun plus de 4 000 euros net par mois, il s’est attiré une volée de bois vert - et pas seulement à droite -, et il a été accusé de vouloir « saigner les couches moyennes ». Ces réactions ne témoignent que d’une seule chose : l’ignorance totale qu’a la classe politique et médiatique de la réalité des revenus en France et de leurs inégalités criantes. Toute discussion doit donc commencer par rétablir les faits, ce qui implique - malheureusement - de fournir quelques chiffres...
1,1 million de personnes sont au RMI (440 euros par mois pour une personne seule, 925 euros pour un couple avec deux enfants). On estime à 600 000 le nombre de personnes âgées qui vivent du minimum vieillesse (600 euros par mois environ). 2,5 millions de salariés sont au Smic (soit 1 254 euros brut par mois), mais 40 % d’entre eux - dont 80 % de femmes - travaillent à temps partiel. Dans près de la moitié des branches professionnelles, le salaire plancher est d’ailleurs inférieur au Smic ! Globalement, la moitié des salariés à temps plein gagnent moins de 1 500 euros net par mois.
Bien entendu, lorsque l’on examine non plus les salaires et les revenus mais les patrimoines - c’est-à-dire ce que les différentes catégories possèdent, par « épargne » ou par héritage -, les inégalités sont encore plus fabuleuses. Les 10 % les plus privilégiés détiennent 40 % du patrimoine. Mais il y a plus significatif encore : les 3 % du haut de la pyramide possèdent, à eux seuls, 27 % de la richesse produite par le travail de tous. Là est le cœur du problème : cette concentration de la fortune résulte de dizaines d’années d’accaparement des richesses... par les (très) riches. Ainsi, en 2005, Liliane Bettencourt, actionnaire principale du groupe l’Oréal, a reçu en dividendes l’équivalent de 15 720 « années de Smic », la famille Pinault 11 832 années et le PDG de LVMH, Bernard Arnault, 11 325 années. Tout cela est franchement absurde et indécent. Et cela éclaire d’un jour un peu particulier les propositions des principaux candidats et le débat dérisoire sur le chiffrage de leurs programmes.
Quand on a en mémoire les chiffres cités plus haut, comment ne pas s’indigner des propositions de Nicolas Sarkozy (bouclier fiscal, suppression des droits de succession) qui visent à accélérer encore la tendance actuelle, qui veut que chaque année les très riches deviennent encore plus riches, pendant que les classes populaires - en fait près de 90 % de la population - ont du mal à vivre décemment ? Et lorsque Ségolène Royal promet « généreusement » d’augmenter les « petites » pensions de 5 % - c’est-à-dire quelques dizaines d’euros par mois - ou de porter le Smic à 1 500 euros brut en 2012, comment ne pas penser que, décidément, le compte n’y est pas ?
Taxer les profits
À l’inverse, pour Olivier Besancenot et la LCR, cette campagne présidentielle est l’occasion de défendre des mesures d’urgence concernant le pouvoir d’achat.
Le principe de base, c’est que personne ne peut vivre en dessous du Smic, quelle que soit sa situation (salarié, chômeur, retraité), et que le Smic doit être relevé immédiatement à 1 500 euros net mensuels. Le Smic doit devenir la référence de rémunération minimale dans toutes les branches professionnelles. En cas de licenciement, le salaire antérieur doit être maintenu pendant toute la période de recherche d’emploi.
Depuis des années, le pouvoir d’achat a été érodé par l’inflation, le blocage des salaires, la flambée des loyers : pour commencer à rattraper, il faut donc procéder à une augmentation générale des salaires, des pensions et des minima sociaux de 300 euros net mensuels.
Il faut mettre un coup d’arrêt aux inégalités salariales entre hommes et femmes par une revalorisation des salaires et des carrières féminines, ainsi que par la reconnaissance des qualifications des métiers à dominante « féminine » (santé, éducation). De même, un plan de rattrapage des retraites des femmes doit être mis en œuvre d’urgence, afin de combattre leur paupérisation croissante, due à des carrières incomplètes ou à des temps partiels imposés.
Bien entendu, ces mesures coûteront de l’argent. Mais de l’argent, il y en a. Ce qui manque, c’est la volonté politique de faire payer les riches et de taxer les profits. Une politique de gauche, en quelque sorte.
Salaires : De nouvelles luttes
Dominique Mezzi
Les salariés économisent leurs moyens de lutte, en cherchant aussi les formes les plus efficaces, en particulier les débrayages répétés.
Profits faramineux, dividendes exponentiels, forte place du « social » dans la confrontation présidentielle, période des négociations annuelles obligatoires (NAO) : ces raisons se cumulent pour expliquer une petite vague de luttes sur les salaires. Il s’agit bien de « mouvements », et pas toujours de grèves durables. La conflictualité se traduit aujourd’hui par des formes très diver ses. Les salariés économisent certes leurs capacités de résistance, en pério de de menaces sur l’emploi ou de répression pour la moindre incartade (licenciements individuels en hausse). Mais ils cherchent aussi l’efficacité, et un débrayage répétitif au long cours peut parfois mettre à mal l’organisation de la production.
Une enquête récente du ministère du Travail (Première synthèse, février 2007) s’intitule : « Des conflits du travail plus nombreux et plus diversifiés. » Elle compare les conflits collectifs entre deux périodes, celles de 1996-1998 et de 2002-2004, notant un accroissement de 9 %, avec pour thème fréquent les salaires (la moitié des sites touchés par des luttes) et le temps de travail (renégociations des accords sur les 35 heures). Cette enquête utilise une méthode qui enregistre toutes les formes de conflits, contrairement à l’enquête traditionnelle fondée sur la grève d’au moins 24 heures. Elle explique que « les débrayages et le refus des heures supplémentaires ont contribué à la hausse de la conflictualité », de même que les conflits individuels, les grèves du zèle, les grèves perlées, les manifestations, les pétitions. Ces luttes peuvent se révéler efficaces dans les organisations du travail « en flux tendus ».
Cette enquête est illustrée, au même moment, par plusieurs conflits récents sur les salaires. Rouge n° 2194 a relaté les débrayages répétés (150 salariés) de trois heures en fin de poste, chez Sanofi-Aventis à Vitry (Val-de-Marne), malheureusement sans vraie extension et sans résultat dans une multinationale puissante. Chez Thalès Electron à Vélizy (Yvelines), 200 salariés sur 750 sont en lutte, depuis le 11 février, sur les salaires (pour une hausse de 150 euros) et les formes de l’intéressement. Quatre débrayages d’une demi-heure ont lieu quotidiennement, avec défilés dans l’usine, sifflets, pétards. Les salariés ont bloqué un show annuel publicitaire de la direction. Le mouvement se poursuit pendant les vacances.
Depuis le 9 février, les gardiens de musées luttent pour une prime revalorisée de 50 euros, pour la faire passer à 150 euros : ils ont bloqué les accès de l’établissement public du Louvre. Dans le groupe chimique Rhodia (7 000 sa lariés), une campagne revendicative a lieu pour obtenir 150 euros de hausse salariale et protester contre l’indexation des salaires sur les résultats lorsque la hausse de ceux-ci dépasse 13,9 %. Un chiffre qui tombe à 13 % pour les dirigeants, ce qui permet au PDG d’encaisser 600 000 actions de bonus !