Mettre le gouvernement face à ses responsabilités, face au droit… et au pied du mur. Le Secours catholique, Médecins du monde et plusieurs demandeurs d’asile déposent, lundi 26 octobre, un référé-liberté devant le tribunal administratif de Lille, dans le but de contraindre l’Etat à prendre des mesures urgentes sur le bidonville de Calais (Pas-de-Calais), où tentent de survivre 6 000 migrants.
La démarche est inédite pour les deux ONG françaises, qui basculent ainsi dans le registre contentieux avec le gouvernement. Comme le prévoit cette procédure accélérée, le juge des référés a 48 heures pour fixer une audience et, s’il constate des atteintes graves et manifestement illégales aux libertés fondamentales, enjoindre à l’Etat d’agir. En 2012, une requête similaire avait contraint l’administration à prendre des mesures immédiates visant les conditions de détention à la prison des Baumettes de Marseille.
« Ce que nous demandons, c’est évidemment que le camp soit démantelé et que l’ensemble des personnes soient hébergées, développe Me Patrice Spinosi, dont le cabinet SCP Spinosi & Sureau dépose la requête. En l’attente de sa disparition, des mesures urgentes doivent être prises pour garantir la sécurité minimale des personnes présentes. »
Contre « la violation des libertés fondamentales »
Le mémoire dont est saisi le juge administratif de Lille est épais de plus d’une centaine de pages qui documentent « la violation permanente des libertés fondamentales » et plus précisément du « droit au respect de la vie », du « droit de ne pas subir des traitements inhumains et dégradants » ainsi que du « droit à l’asile ».
Tout y passe : le risque d’inondation du bidonville, celui d’incendie et d’explosion compte tenu de la proximité d’usines classées Seveso, les agressions sexuelles et la prostitution contrainte pour les femmes et les enfants, les cas de gale et de « dénutrition grave ». Sont également visées les « multiples atteintes au droit d’asile » qui se traduisent pour les migrants par « l’absence d’accès à l’information », « l’impossibilité d’enregistrer leur demande » et le fait de ne pas bénéficier d’un hébergement.
La situation des requérants en témoigne : « Il y a un Soudanais du Darfour qui vit dans le bidonville malgré sa demande d’asile, un père et sa fille de 8 ans originaires du Kurdistan irakien qui n’ont pas réussi à présenter de demande d’asile, une Erythréenne et sa fille de 3 ans dans une situation similaire, un couple afghan et leurs deux garçons, un jeune Syrien de 22 ans », liste Me Lou-Salomé Sorlin, qui plaidera devant le tribunal de Lille.
De nombreux rapports d’ONG, de médecins, des articles de presse français ou anglais viennent étayer cet « abandon organisé » par l’Etat, mais c’est le rapport du Défenseur des droits, rendu public le 6 octobre, qui a été « l’élément déclencheur » de la requête. Pour Me Spinosi, il « s’impose à l’administration comme une parole de vérité ». Le ministre de l’intérieur a vigoureusement contesté son contenu avant d’être à nouveau tancé, le 20 octobre, par « l’appel des 800 », une pétition d’artistes et d’intellectuels publiée par Libération. Dans l’urgence, Bernard Cazeneuve s’est déplacé à Calais le lendemain. Il y a annoncé, en plus des 1 500 places en tentes prévues pour début 2016, 200 places pour les femmes et les enfants ainsi que l’ouverture de « centres d’accueil », sans que leur localisation ni leur calibrage ne soient précisés.
Réquisition de bâtiments inoccupés
« Il faut arrêter cette improvisation permanente, s’impatiente Laurent Giovannoni, du Secours catholique. Des choses sont faites mais elles sont insuffisantes et trop tardives. » Sur le plan sanitaire, Jean-François Corty, de Médecins du monde, ne pointe pas autre chose, que des annonces « sous-calibrées » et à la « temporalité floue », malgré une urgence, elle, très concrète.
Le recours dont est saisie la juridiction de Lille est également soutenu par des associations telles que la Cimade, la Ligue des doits de l’homme ou Amnesty International. Des mesures prioritaires sont demandées à la préfecture, mais aussi à la mairie de Calais et à l’Agence régionale de santé. Elles consistent, notamment, à réquisitionner des bâtiments inoccupés pour que le « droit d’hébergement d’urgence soit garanti », à distribuer suffisamment de repas (il n’y a actuellement qu’un service de 2 500 repas par jour), à installer 24 points d’eau (en plus des trois existants), cinquante toilettes et douches, quinze bennes à ordures, à « faire procéder au déblaiement immédiat » des déchets, à enregistrer « sans délai » les demandes d’asile ou encore à augmenter l’accès aux soins à l’hôpital de Calais et sur le camp. « L’Etat a une obligation de réagir, mais il ne va rien se passer si on reste dans la sollicitation », estime Me Spinosi.
Julia Pascual