La décision était très attendue. Le Conseil constitutionnel l’a rendue jeudi 25 janvier en fin d’après-midi, et elle sonne comme un véritable camouflet pour Gérald Darmanin, la droite et l’extrême droite, qui s’était réjouie d’une « victoire idéologique » dans les heures qui avaient suivi le vote de la loi sur l’asile et l’immigration le 19 décembre. En tout, pas moins de 32 articles ont été censurés par les Sages, qui avaient été saisis par le président de la République, Emmanuel Macron, la présidente de l’Assemblée nationale, mais aussi des parlementaires.
Si les juges ne se sont pas franchement prononcés sur le fond – et sont donc restés concentrés sur les fameux « cavaliers législatifs » (des dispositions qui ne répondent pas à l’objectif initial) –, ils font malgré tout essuyer un revers à celles et ceux qui, sans honte ni remords, avaient voté des mesures venant acter un traitement différencié pour les étrangers et étrangères, l’entrave à de nombreux droits et les attaques contre des catégories habituellement épargnées, comme les étudiant·es ou les personnes étrangères malades.
D’abord, il n’y aura pas de quotas migratoires : la droite et l’extrême droite en rêvaient, elles étaient parvenues à faire inscrire ce principe confus dans le texte, invitant à un débat annuel au Parlement. Les Sages ont estimé que l’idée d’imposer des « objectifs chiffrés en matière d’immigration » viendrait percuter le principe de la séparation des pouvoirs. Pour le reste, il ne s’agit en grande majorité que de cavaliers législatifs.
Rassemblement en réaction à la décision du Conseil constitutionnel à Paris, le 25 janvier. © Photo Nejma Brahim / Mediapart
S’agissant du droit à vivre en famille, les articles visant à durcir les conditions de la procédure de regroupement familial, qui relève déjà du parcours de combattant, ont été jugés non conformes par les juges, notamment parce que les dispositions concernées ont été « adoptées selon une procédure contraire à la Constitution ».
Il en va de même pour le titre de séjour pour motif familial, dont la nouvelle loi sur l’immigration prétendait vouloir restreindre la délivrance. Alors que les parlementaires y voyaient une entrave au « droit de mener une vie familiale normale », le Conseil constitutionnel a censuré les articles concernés.
Une « victoire partielle »
Les dispositions concernant le titre de séjour pour soins, dont Mediapart racontait les innombrables obstacles déjà mis en place par les préfectures et le ministère de l’intérieur pour sa délivrance, seront elles aussi supprimées. Les conditions de délivrance des titres de séjour étudiant, comme l’instauration d’une caution de retour pour les étudiant·es voulant venir en France dont le montant aurait été fixé par la suite, devaient par ailleurs être durcies elles aussi mais avaient suscité un tollé dans le monde universitaire, de même que dans les grandes écoles de commerce. Les juges ont choisi de censurer les articles concernés.
Ceux concernant la réduction tarifaire pour les étrangères et étrangers en situation dite irrégulière dans les transports en commun, mais aussi le délit de séjour irrégulier ou le droit du sol, que la loi voulait réintroduire ou attaquer, seront supprimés. Enfin, tout le volet concernant l’hébergement d’urgence ou les prestations sociales, qui auraient pu être conditionnés à certains critères pour les personnes étrangères vivant en France, et donc le principe de « préférence nationale », disparaît lui aussi. Là encore, les juges ne se prononcent pas sur le fond mais soulignent que les dispositions ont été adoptées selon une procédure contraire à la Constitution.
Place du Louvre, à Paris, dès le rendu de la décision du Conseil constitutionnel, des centaines de personnes se sont réunies pour évoquer « la suite ». Au micro, Aboubacar Dembele, représentant d’un collectif de travailleurs sans papiers du groupe La Poste, rappelle l’importance de poursuivre le combat. « Ils ont censuré des articles, on s’y attendait, observe-t-il auprès de Mediapart. Mais nous, notre problème, c’est la loi dans sa globalité. Si l’extrême droite l’a votée, ce n’est pas pour rien, c’est parce qu’elle validait leurs idées. Il faut la retirer. »
Que le gouvernement ait pu accepter des mesures venant de l’extrême droite est à ses yeux « honteux ». Il réclame l’égalité des droits, « des papiers et un logement pour tous ». Dans la foule, le visage de Kadi*, une jeune Ivoirienne se déclarant âgée de 16 ans mais non reconnue comme mineure non accompagnée par les autorités, s’illumine dès que les prises de parole invitent les participant·es à poursuivre le combat. « Je n’ai pas tout compris de cette loi, mais je sais qu’elle était dangereuse pour nous », confie-t-elle, expliquant dormir dans une tente place de l’Hôtel-de-Ville chaque soir, faute d’hébergement.
« Ça fait du bien de voir autant de monde ici pour nous soutenir. On est des êtres humains, et on a des droits, nous aussi. » Sur une banderole près d’elle, certains soutiens sont venus demander « une citoyenneté de résidence et le droit de vote et d’éligibilité pour tous les résidents étrangers ». Au micro, Marie-Christine Vergiat, membre de la Ligue des droits de l’homme, fait la liste des articles censurés par le Conseil constitutionnel.
« Tant mieux ! Mais il y en avait 86 qui n’avaient pas leur place. Cette loi est inique et nous continuerons à lutter, notamment contre les décrets. Car le Conseil constitutionnel n’examine jamais la conformité avec les conventions internationales », rappelle-t-elle. Il faudra également, ajoute-t-elle, veiller à protéger les salarié·es, aux côtés des organisations syndicales, qui organiseront la désobéissance civile. « Mme Le Pen s’est permis de saluer une victoire idéologique : il nous faut mener la bataille culturelle pour nous permettre de dire et de répéter que les étrangers ne sont pas un problème mais une richesse. »
La nécessité de poursuivre le combat
Benoît Teste, de la Fédération syndicale unitaire (FSU), salue une « victoire partielle » et alerte sur le reste des articles contenus dans cette loi. L’avocat Stéphane Maugendre, également membre du Groupe d’information et de soutien des immigré·es (Gisti), est lui aussi mitigé. Il voit en cette décision un « blanc-seing » pour le gouvernement, « alors qu’il n’y a pas de contrôle de conventionnalité ».
« Le Conseil constitutionnel ne censure que les cavaliers législatifs et en cas de non-respect de la procédure législative. Mais tout le projet de Darmanin est validé, comme le volet répressif du texte, y compris la double peine ou le refus de titre de séjour », fait remarquer ce spécialiste du droit des étrangers.
Kadi*, jeune exilée, dort à la rue faute d’hébergement et tenait à venir défendre ses droits lors du rassemblement du 25 janvier à Paris. © Photo Nejma Brahim / Mediapart
Gérald Darmanin, justement, n’a pas tardé à savourer ce qu’il perçoit comme une victoire, mais qui s’avère être une véritable défaite morale : « Le Conseil constitutionnel valide l’intégralité du texte initial du gouvernement : jamais un texte n’a prévu autant de moyens pour expulser les délinquants et autant d’exigence pour l’intégration des étrangers ! Le gouvernement prend acte, comme j’ai pu l’indiquer lors des débats, de la censure de nombreux articles ajoutés au Parlement, pour non-respect de la procédure parlementaire », a-t-il réagi dans un tweet. Emmanuel Macron lui a demandé, en début de soirée, d’appliquer la loi « dans les meilleurs délais ».
En fin de rassemblement, Mariama Sidibé, membre et représentante de la Coordination des sans-papiers de Paris (CSP75), veut rappeler combien les immigré·es sont les piliers de la France. « Sans nous, la France ne fonctionne pas. On demande juste l’égalité des droits et la dignité. Que l’État nous respecte tel qu’on le respecte. » Elle appelle à la « grève générale » dans les prochains jours, pour que « tout le monde voi[e] comment l’économie pourrait s’écrouler »,et, in fine, au retrait de la loi, tout comme des ONG telles qu’Amnesty International France, Médecins du monde ou la Cimade.
Twitt-© La Cimade
Même son de cloche du côté des député·es. « Aujourd’hui et au regard de l’ampleur de la censure, nous demandons au président de ne pas appliquer la loi. Il peut ne pas la promulguer. Ce serait le signe qu’il tient compte du désaccord du Parlement et du Conseil constitutionnel », déclare le socialiste Jérôme Guedj auprès de Mediapart. « Le combat continue et nous continuerons à être en soutien », assure de son côté l’écologiste Cyrielle Chatelain. La France insoumise voit en cette loi une « honte pour l’État de droit ».
Sans surprise, droite et extrême droite s’en sont prises au Conseil constitutionnel dès le rendu de sa décision. Le président du Rassemblement national Jordan Bardella a ainsi regretté de voir les « mesures de fermeté les plus approuvées par les Français » censurées par le Conseil constitutionnel, « par un coup de force des juges » et avec le soutien d’Emmanuel Macron, et demandé un référendum sur l’immigration. Le patron du parti Les Républicains, Éric Ciotti, a quant à lui estimé que le Conseil avait jugé « en politique plutôt qu’en droit », et appelé à une « réforme constitutionnelle, indispensable pour sauvegarder le destin de la France ».
Nejma Brahim
Boîte noire
* Le prénom a été modifié.
Les réactions politiques venues de la gauche, en fin d’article, ont été collectées par Pauline Graulle, journaliste à Mediapart.