Le bilan de l’agression militaire dans la bande de Gaza est connu : l’offensive militaire israélienne, du 27 décembre 2008 au 21 janvier 2009, a fait environ 1330 morts et 5450 blessés du côté palestinien. L’asymétrie est frappante : du côté israélien, ce sont dix soldats et trois civils qui sont décédés au cours des opérations.
L’armée israélienne semble cependant avoir échoué sur quelques objectifs avoués. L’infrastructure militaire du Hamas n’est pas détruite, pas plus que celle des autres groupes palestiniens. Les tirs de roquettes ont continué après la fin de l’offensive israélienne, jusqu’à la conclusion d’un cessez le feu provisoire par le Hamas. Seul deux dirigeants d’envergure de l’organisation islamiste ont été éliminés par les bombardements israéliens : Nizar Rayan, et Saed Siyyam, l’ancien Ministre de l’intérieur du gouvernement Hamas.
Le Mouvement de la Résistance islamique (Hamas) sort donc globalement renforcé de l’offensive : il bénéficie d’un prestige politique réel dans la région ; le positionnement du Président Mahmoud Abbas lors des événements, tendant à condamner la rupture de cessez le feu par le mouvement islamiste, n’a fait qu’accentuer le discrédit du Fatah et de l’Autorité nationale palestinienne (ANP). Le Secrétaire général du Fatah pour la Cisjordanie, Marwan Barghouti, actuellement emprisonné, a certes pu appeler à une résistance commune de toutes les factions palestiniennes en soulignant que « le Fatah et ses membres sont partie intégrante de la bataille pour faire face à l’agression » [1] Mais la répression exercée par la police de l’ANP à l’encontre des manifestations de solidarité, les « jours de la colère », organisées par le Hamas en Cisjordanie n’a fait qu’accentuer l’image patente d’un Fatah et d’un gouvernement palestinien incapables, aux yeux de la majorité de la population palestinienne, de faire face à l’occupation israélienne. Une image d’autant plus forte qu’actuellement, plus de six cent membres du Hamas sont détenus dans les prisons de l’Autorité nationale palestinienne.
Une guerre dans une fin de cycle
L’offensive israélienne se situait dans une fin de cycle. Devant se terminer avant l’investiture du nouveau Président états-unien, Barak Obama, le 20 janvier 2009, elle constituait aussi le champ du cygne d’une période ouverte par l’élection du Président Georges Bush en 2001, qui, de son premier à son second mandat, laissa les mains relativement libres aux israéliens [2]. Fin, également, d’un certain rapport de force régional : il n’a pas basculé, mais les cartes ont en partie changé de mains. Au Liban, les affrontements du mois de mai 2008 ont donné l’avantage au Hezbollah et à l’opposition libanaise, qui sortent renforcés des Accords de Doha. Les élections législatives prévues en juin 2009 semblent être en leur faveur. Longtemps isolée, la Syrie voit les français et les américains de nouveau lui tendre la main. L’Iran n’est pas en position de faiblesse : la chute des cours pétroliers combinée à une crise économique majeure a certes en partie affaiblie le Président Mahmoud Ahmaninejad. Mais la fibre nationaliste joue à plein, notamment autour de son programme nucléaire. Qui plus est, l’Iran, fidèle soutien du Hamas et du Hezbollah, a su desserrer l’étau : resserrant ses liens politiques et économiques avec la Russie, la Chine [3] et l’Amérique latine (Bolivie et Venezuela), s’appuyant également sur une forte diaspora iranienne et pouvant jouer sur les grandes minorités chiites hazaras d’Afghanistan et arabes d’Irak et des pays du Golfe, l’Iran voit aujourd’hui un Président Obama prêt à engager des discussions avec elle [4]. L’administration américaine semble en effet se faire peu à peu à l’idée qu’une solution à ses propres intérêts en Irak passe aussi par Téhéran. Proches de l’administration américaine, et en conflit larvés avec l’Iran et la Syrie, l’Égypte et l’Arabie Saoudite ont souffert de leur prise de position virulente contre le Hezbollah libanais : la Turquie, et surtout l’Émirat du Qatar, ont su ces deux dernières années au contraire profiter de brèches ouvertes, se replaçant ainsi dans le grand jeu régional. Si le régime de Hosni Moubarak continue d’accueillir les discussions inter-palestiniennes au Caire, et si le rôle régional de l’Égypte reste toujours une réalité, nombres de manifestations dans le monde arabe lors de l’offensive israélienne ont pris pour cible les ambassades égyptiennes, la fermeture par les militaires égyptiens du point de passage de Rafah, au sud de la Bande de Gaza, participant de la politique de siège du Hamas.
Preuve également, s’il en est, de l’échec du gouvernement Olmert : le fort score du Likoud de Benjamin Netanyahou et d’Israël Beitanou d’Avigor Lieberman aux élections israéliennes du 10 février 2009. Axant leur fin de campagne sur l’incapacité du Premier Ministre Ehud Olmert à mettre fin aux tirs de roquettes, ils ont également largement mis en avant le sort du soldat Gilad Shalit, toujours prisonnier du Hamas dans la Bande de Gaza.
L’échec peut cependant être relativisé sur un point : contrairement à la guerre de juillet et août 2006 entre le Hezbollah et Israël, l’armée israélienne n’a pas été « défaite » dans la Bande de Gaza. D’abord parce que les Brigades Ezzedine al-Qassam, la branche armée du Hamas, ne disposent ni de la même infrastructure que le Hezbollah, ni de la même expérience et de la même capacité d’expertise militaire que le mouvement islamiste libanais. Ensuite parce que les israéliens ont en partie mené, comme le souligne Jean-François Legrain, une « guerre sans bataille mis en œuvre par l’armée israélienne dans le cadre de sa doctrine baptisée “dahiat” et élaborée lors et à la suite de son offensive contre le Hezbollah en 2006 » [5], c’est-à-dire en évitant le face-à-face directe, long et systématisé, avec les brigades palestiniennes.
Un mouvement national palestinien au tournant
La grande inconnue reste maintenant celle de l’avenir du mouvement national palestinien. C’est, d’abord, un mouvement divisé et en crise de perspectives stratégiques. Certes, le Hamas a désormais regagné une popularité qui avait en partie baissé après la prise de Gaza en juin 2007. Le Hamas justifiait à l’époque son coup de force par la nécessité de répondre aux tentatives de putsch orchestrées par des dirigeants du Fatah comme Mohammad Dahlan, responsable du Conseil de sécurité national et proche du président Mahmoud Abbas, avec le soutien pratique des américains, notamment par le biais du Général Keith Dayton, responsable au sein du Département d’État de la coordination sécuritaire avec l’Autorité nationale palestinienne.
La politique du Hamas avait été par la suite très critiquée par les autres factions palestiniennes : gestion autoritaire de la société gazaouite, répression contre les mouvements refusant de prendre directement partie pour le Fatah ou le Hamas. La gauche palestinienne, du Front populaire pour la libération de la Palestine (FPLP) au Front démocratique (FDLP), en passant par le Parti populaire palestinien (PPP [6]) dénonce alors autant un Fatah réprimant le Hamas en Cisjordanie et négociant à fond perdu avec les israéliens et les puissances occidentales, qu’un Hamas autoritaire favorisant lui aussi le processus de division entre la Cisjordanie et Gaza. Le FPLP s’était pourtant, dans certains cas, allié au Hamas aux élections municipales de 2005, notamment dans quatre mairies : Bani Zayyid, Beit Fourik, Ramallah et Bethleem. En janvier 2006, le FPLP refuse de participer au gouvernement du Hamas, bien qu’il vote la confiance au Parlement dans lequel les islamistes sont majoritaires. Motif invoqué : le refus du Hamas de donner la priorité à l’Organisation de libération de la Palestine (OLP) sur l’Autorité nationale palestinienne. L’OLP est en effet censée représenter l’ensemble des palestiniens, des territoires de Cisjordanie et de Gaza aux réfugiés du Liban ou de Syrie.
La position du FPLP restera relativement constante jusqu’à maintenant, se référant pour l’essentiel au « Document des prisonniers » de mai 2006. Le « Document des prisonniers » fut signé par Marwan Barghouti, Secrétaire général du Fatah en Cisjordanie, ‘Abd al-Khalq an-Natshah, membre de la direction du Hamas, Bassam Abou Sadi du Jihad islamique, ‘Abd al-Rahim Malouh, député au Conseil législatif palestinien et secrétaire général adjoint du FPLP, et Moustapha Badarneh, membre du FDLP. Seul le Jihad islamique, en dépit de la signature d’un de ses dirigeants emprisonné, refusera au final d’entériner le « Document ». Ce dernier pose des bases politiques communes en vue de refonder un mouvement de libération national palestinien : ses points principaux sont « la refondation de l’OLP et l’intégration du Hamas et du Jihad islamique » au sein de la centrale palestinienne, et la formation « d’un nouveau Conseil national palestinien de façon à assurer la représentation proportionnelle de toutes les forces palestiniennes nationales et islamiques », la formation « d’un gouvernement d’unité nationale qui assure la participation de tous les blocs parlementaires, en particulier le Fatah et le Hamas, et toutes les forces politiques qui souhaitent participer sur la base de ce document et du programme conjoint pour redresser la situation palestinienne aux niveaux arabe, régional et international », la libération des détenus palestiniens des prisons israéliennes et enfin le soutien à la revendication au droit au retour des réfugiés palestiniens [7]. Jamais appliqué, ce programme reste la base programmatique de discussion des groupes palestiniens.
Mais la gauche palestinienne ne fut pas le seul à soutenir cette « troisième voie » entre le Fatah et le Hamas. Le Mouvement du Jihad islamique en Palestine (MJIP) n’a en effet pas ménagé ses critiques à l’égard du Hamas depuis juin 2007. Rien d’étonnant à cela : cette organisation est issue d’une scission des Frères musulmans de Gaza. La publication au Caire, en 1979, d’un véritable manifeste théorique révolutionnaire islamique par Fathi Chiqaqi, un jeune étudiant en physique originaire de Rafah, dans la bande de Gaza, fondateur d’une association islamique, at-Tali’a al-islamiyya (L’Avant-garde islamique), pose à l’époque les premiers jalons d’une organisation ayant à cœur de réconcilier l’islam et le nationalisme. Khomeyni : al-Hal al-islami wa al-Badil [Khomeyni : la solution islamique et l’alternative [8], n’est pas seulement un appel à rejoindre la voie tracée par l’Iran révolutionnaire : c’est également une critique en règle des Frères musulmans, égyptiens et palestiniens, absents, selon Chiqaqi, de la lutte nationale palestinienne. Azzam Tamim rappelle ainsi que Fathi Chikaki a été « exclu des Frères musulmans alors qu’il étudiait au Caire en 1979, officiellement parce qu’il avait écrit et publié un pamphlet intitulé al- Khomayni : al-hal al islami wa al-badil, ce que les Frères lui avaient interdits. Il semblait cependant possible que cette expulsion des Frères avait plus à faire avec sa critique de l’absence de stratégie des Frères en ce qui concerne la lutte armée pour la libération de la Palestine, que pour son livre pro-Khomeyni à proprement parler. Le discours officiel des Frères, à cette époque, ne privilégiait pas la Palestine sur les autres questions islamiques » [9] La composante nationaliste du MJIP est par ailleurs d’autant plus forte qu’une partie de ses rangs ont d’abord évolué dans le Fatah : c’est l’expérience des Saraya al-Jihad al-islami, Brigades du Jihad islamique, dirigées entre autres par Bassam Sultan et Abou Hassan Qassim, qui seront assassinés par les services israéliens à Limassol, à Chypre, en 1988. Les Brigades du Jihad islamique étaient à l’époque sous le commandement direct du numéro deux du Fatah, Abou Jihad. C’est là d’ailleurs que la thèse d’un Hamas islamiste s’opposant à un Fatah « laïc » ferait bien sourire n’importe quel historien un peu sérieux : l’un des premiers mouvements politiques de nature islamique se trouve dans le Fatah, et non à l’extérieur. Contrairement au Hamas, apparu en décembre 1987, et venu tard dans la lutte nationaliste palestinienne, le Jihad islamique ne s’est pas opposé au Commandement unifié, la structure unitaire qui regroupait la gauche et le Fatah lors de la première Intifada. C’est donc tout naturellement qu’il se retrouve dans le même camp que la gauche palestinienne : lors des combats de juin 2007 entre le Fatah et le Hamas à Gaza, des manifestations communes sont organisées par le Jihad, le FPLP et le FDLP. Lorsque des militants du Hamas abattent et blessent des membres du FPLP au mois de janvier 2009, quelques jours après la fin des combats, c’est encore le FPLP, le FDLP, le PPP et le Jihad qui signent ensemble un communiqué commun contre ces pratiques répressives [10].
Le Hamas est donc un mouvement d’autant plus jeune qu’il est venu très tard dans la lutte nationaliste palestinienne : issu des Frères musulmans, qui avaient longtemps refusé de s’engager dans toute forme d’action politique, le Hamas n’existe en tant que parti qu’à partir de la mi-décembre 1987, c’est-à-dire un mois après le déclenchement du soulèvement de la première Intifada. Le soulèvement, tout comme l’attitude offensive de la mouvance du Jihad islamique dans les deux ans précédant la première Intifada, ont poussé les Frères musulmans à reconsidérer peu à peu leurs positions sur la question du lien entre prédication religieuse, action politique et lutte nationale. Le débat s’est notamment posé dans al-Majma’ al-islami, la Société islamique, branche gazaouite des Frères, dirigée par le prédicateur Ahmed Yassin : en 1984, ce dernier est arrêté par les autorités israéliennes pour avoir monté une cellule armée, liée à la mouvance des Frères musulmans. Il sera relâché en mai 1985, à l’occasion d’un échange de prisonniers entre le FPLP-Commandement Général d’Ahmed Jibril et Israël.
Plus de vingt ans après, le Hamas est dans une situation paradoxale et complexe : ayant perdu la majorité de ses membres fondateurs, qui ont été soient assassinés soit mis en prison par les autorités israéliennes, le Hamas a gagné deux séries d’élections, municipales et législatives, qui l’ont porté au pouvoir de l’ANP, alors même qu’il a toujours dénoncé cette institution comme un fruit des Accords d’Oslo, et comme un instrument de gestion de l’occupation. D’autre part, en faisant son coup de force à Gaza, il a certes jugulé les tentatives de coup d’État portées par une partie du Fatah, qui tendaient clairement à le renverser. En même temps, il favorise indirectement le processus de partition des territoires palestiniens en deux : une Bande de Gaza gérée par le Hamas, et une Cisjordanie tenue par le Fatah.
Mais la bipolarisation entre le Fatah et le Hamas est relative. La vie politique palestinienne ne se réduit pas qu’à une bataille entre ces deux camps. D’abord parce que le Fatah et le Hamas sont tous les deux divisés en interne. S’il est peu probable que le Fatah se réforme à l’avenir, sa sixième Conférence étant sans cesse repoussée (depuis 1989) par la direction fathaouie, de nombreuses voies discordantes se font entendre en interne. Des membres du Conseil révolutionnaire du Fatah, comme Hani al-Hassan ou Farouq al-Qaddoumi, sont depuis longtemps en désaccords avec la ligne du président Mahmoud Abbas. La ligne « localiste » n’est pas en reste : les cadres militaires des Brigades des Martyrs d’al-Aqsa, ressoudés avec la direction fathaouie sous le coup de la prise de Gaza par le Hamas, n’ont pas encore dit leur dernier mot. Quand au Hamas, nombres de cadres cisjordaniens et de l’extérieur (Syrie, Jordanie), prônent une politique plus consensuelle dans les discussions inter-palestiniennes que certains dirigeants de la Bande de Gaza.
Ensuite, existe bien un troisième camp : constitué pour l’essentiel de la gauche palestinienne –même minoritaire– et du Jihad islamique, il dénonce une lutte de pouvoir entre le Hamas et le Fatah ayant en partie abouti à un approfondissement de la division territoriale entre la Cisjordanie et Gaza, qui n’est pas sans arranger en réalité, les autorités israéliennes. Le retour à la « résistance », « al-Mouqawama », et à l’unité des forces politiques palestiniennes, tout comme l’appel à une réforme et une démocratisation profonde de l’OLP, constituent pour le moment ses piliers programmatiques.
L’offensive sur Gaza de décembre 2008 et janvier 2009 a paradoxalement relancé les négociations inter-palestiniennes. D’abord parce que le Fatah n’a plus le choix : isolé, en manque de crédibilité (Mahmoud Abbas a terminé son mandat présidentiel le 9 janvier 2009), le Fatah n’a plus d’autre option pour rester dans le jeu que de négocier un gouvernement d’union nationale, alors même que certaines portes diplomatiques occidentales s’ouvrent désormais sur le Hamas. Ce dernier, quand à lui, pense pouvoir desserrer l’étau et le siège économique et diplomatique en renégociant avec le Fatah. Les autres factions, elles, souhaiteraient un « package global », où la question d’un gouvernement d’union nationale et de transition serait traitée en parallèle de celle de la réforme de l’OLP et du mouvement national palestinien. « Formation d’un gouvernement de transition », « questions sur la réconciliation (dont les prisonniers politiques) », « sécurité », « élections », et enfin « Organisation de libération de la Palestine » [11] : La récente mise en place de cinq commissions de discussions inter-palestiniennes, en vue d’une conférence commune devant se tenir au Caire, réunissant tous les partis politiques, semble être un signe dans cette voie.
«
New deal » occidental et émergence d’un nouvel acteur : les « arabes de 48 »
Un autre élément à suivre sur le moyen terme est naturellement l’évolution d’une partie des acteurs politiques occidentaux et, en partie, israéliens, vis-à-vis du Hamas. A la fin janvier 2009, Jean-François Poncet, vice-président UMP de la commission des Affaires étrangères du Sénat français, accompagné de la sénatrice PS Monique Cerisier-Ben Guiga, rencontrait le leader du Hamas à Damas, Khaled Mesha’al [12]. Le 26 février 2009, une lettre publiée dans le Times appelait à « abandonner la politique d’isolement du Hamas qui a échoué et d’intégrer le Hamas dans le processus politique […] Que cela nous plaise ou non, le Hamas ne va pas disparaître. Depuis sa victoire aux élections démocratique de 2006, le Hamas s’est assuré le soutien de la société palestinienne malgré les tentatives de le détruire à travers des blocus, des boycotts politiques et des incursions militaires. Cette approche ne marche pas ; on doit trouver une nouvelle stratégie » . [13]. Fait notable, la lettre était signée par Schlomo Ben-Ami, ancien ministre des Affaires étrangères israéliens sous le gouvernement Barak de 2000 à 2001, Alvaro De Soto, ancien envoyé de l’ONU pour le Moyen-Orient, ainsi que par Gerry Kelly, un membre du Sinn Fein irlandais ayant négocié avec les britanniques les « Accords du Vendredi Saint » en 1998. Ce type de démarche va sans doute se démultiplier, au grand dam de la nouvelle administration israélienne. Cependant, cela met le Hamas dans une situation particulièrement difficile, politiquement parlant : sa résistance militaire à Gaza a fait de lui un acteur incontournable dans le jeu politique palestinien, et il apparaît à beaucoup, désormais, comme la force politique légitime et majoritaire dans le champ politique palestinien. D’où le nouveau « réalisme » de certains diplomates, qui prennent simplement acte de l’épuisement historique du Fatah. Mais les démarches d’ouverture occidentale exigent du Hamas des éléments qui remettent ou remettront en cause sa stratégie de résistance sur lequel il a bâti sa popularité : l’abandon de ses armes et de la lutte armée, ou encore une renonciation progressive au droit au retour des réfugiés palestiniens notamment. Certains se demandent donc aujourd’hui si le Hamas d’aujourd’hui ne sera pas le Fatah de demain, même si le Hamas a parfaitement conscience des enjeux du deal proposé, le même qui fut proposé à Yasser Arafat à la fin des années 1980 : l’abandon de la stratégie de résistance contre une reconnaissance internationale. La question de « l’évolution » du Hamas reste encore posée.
Un élément pourrait cependant venir perturber tout ce jeu politique : l’entrée en scène des « arabes de 48 », c’est-à-dire des palestiniens ayant la citoyenneté israélienne. Ils composent près de 20% de la population israélienne. Depuis 2000, leurs mobilisations sociales et politiques se sont accrues. Les « arabes de 48 » sont représentés à la Knesset par le Rassemblement national démocratique/al-Balad [14] de Azmi Bishara, aujourd’hui exilé, le Mouvement pour le changement de Ahmed Tibi, un ancien conseiller de Yasser Arafat, par le Hadash, une coalition où le Parti communiste israélien est majoritaire et par une formation islamique, al-Harakat al-islami [le mouvement islamique]. Certaines formations extraparlementaires, comme le mouvement Abna’ al-Balad [les Enfants du pays], sont proches de la gauche palestinienne et du FPLP. Tout le paradoxe est là : alors que le Hamas semble se rabattre sur une solution à deux États, juif et arabe, avec le concept de « Hudna » (trève) sur les frontières de 1967, un nouvel acteur politique semble gagner sa place dans le jeu palestinien. Or, à l’inverse de la perspective des deux États, juif et palestinien, le mouvement des « arabes de 48 » propose majoritairement une désionisation de l’État d’Israël, c’est-à-dire la création d’un État « de tous ses citoyens », juifs et arabes.
Le mouvement national palestinien a vu trois périodes se succéder : né dans l’exil et dans les camps de réfugiés, il fait ses premières armes dans la Jordanie du Roi Hussein, puis après le « Septembre noir » de 1971, dans le Liban de la guerre civile, avant de s’exiler vers Tunis après le retrait palestinien de Beyrouth en 1982. L’éclatement de la première Intifada, en décembre 1987, lui permet de se rapatrier dans les territoires palestiniens occupés de 1967. Comprendre l’actuel mouvement national palestinien comme étant sujet à un changement historique, dont l’affaiblissement du Fatah et l’hégémonie grandissante du Hamas seraient les éléments majeurs, est utile mais insuffisant. Car l’émergence d’un mouvement des « arabes de 48 » pourrait bien, sur le moyen terme, modifier de nouveau la donne politique palestinienne, et participer d’une « troisième période » d’un nationalisme palestinien aujourd’hui en plein recomposition.
Nicolas Dot-Pouillard