La « croissance » fleurit dans les médias et les discours des politiciens. Cette notion d’apparence positive et impartiale fait paravent devant le cœur du système : l’exploitation des salariés et l’accumulation démentielle du capital.
La discussion sur ce thème est vivante autour et dans le NPA (1). Divers courants apportent de nombreuses contributions. Il n’existe pas de position « officielle » sur la décroissance dans le NPA, parce que c’est une question à multiples facettes. Sur un thème aussi étendu, on doit dégager des prospectives gestionnaires, telles que choisir, dans le détail, entre les besoins sociaux prioritaires et les demandes frivoles des profiteurs de la croissance.
Ils veulent tous « la croissance »
Sur des journaux pris au hasard, je lis : « Le FMI annonce que le monde sera cette année en récession, avec une croissance d’environ 2 % seulement dans les pays émergeants, et une récession de 3 à 3,5 % dans les pays développés » (Le Monde, 21.3.9). Ou encore : « L’aéroport de Marseille-Provence s’avère satisfait avec une croissance de 13,4 %. Il consolide l’augmentation historique du trafic » (La Marseillaise-L’Hérault du Jour, 21.3.9). Pourtant les transports sont à réduire en volume. Ils comptent pour 10 % du PIB et consomment 50 % du pétrole importé !
« Le port de Sète affiche un bilan médiocre en 2008 : trafic de marchandises (- 8 %), de passagers (- 25 %). Le Conseil régional compte investir 200 millions d’euros en 10 ans pour remettre la structure sur le chemin de la croissance » (La Marseillaise-L’Hérault du Jour, 6.4.9). C’est donc au motif de la « croissance » que le Conseil régional Languedoc-Roussillon utilise nos impôts pour renflouer les entreprises privées du port de Sète face à la concurrence sans fin des ports de Marseille, Barcelone et Gênes.
De nombreux syndicats saluent « la croissance » comme facteur de création d’emplois, ce qui est une façon d’accepter la loi d’airain du capitalisme pourvoyeur de chômage. Cela les conduisit à défendre des fabricants d’armes (Manurhin), à soutenir le nucléaire au nom de la « défense de l’emploi » sans exiger des garanties de reconversion et la réduction de la part du nucléaire dans la production d’énergie. Ce sont les mêmes qui parlaient de la « croissance française » avec le slogan chauvin « Achetons français ». Cet avatar nationaliste grave laissa des traces dans les mémoires jusqu’aux années 2000. Elles culminèrent dans un affrontement fameux en 1989 entre manifestants français et italiens au col de Mont Genèvre sur la frontière italienne, les uns portant une banderole « Produisons français » et les autres une banderole « Produisons italien ».
La ‘’croissance’’ démocratiquement planifiée est en rupture avec l’idéologie productiviste toujours véhiculée par la bourgeoisie, le PS et le PCF. La croissance (‘’le Plan’’), pourtant décidée par quelques individus membres du bureau politique du PCUS, était sacrée en URSS et gare à qui la critiquait. Aujourd’hui, le PS reproche à l’UMP ses faibles scores en matière de ‘’croissance’’ et le PCF, encombré par son attachement à la ‘’nation’’ et ses liens avec des partis sociaux libéraux en Europe, ne sait plus guère à quelle idéologie se tenir.
La croissance est inséparable du capitalisme
Les entreprises veulent une ‘’croissance’’ forte pour une marge bénéficiaire maximum. Karl Marx a montré que concurrence et croissance sont intrinsèquement liées au capitalisme. Les crises cycliques de surproduction (ou surcroissance) s’installent désormais durablement au 21e siècle avec la globalisation du marché mondial et la fin des conquêtes coloniales. Cette situation résulte d’un emballement de la productivité industrielle, qui ne trouve plus de débouché parce qu’elle a conquis presque tous les marchés à la surface de la planète. Les seuls grands marchés que les capitalistes peuvent encore conquérir sont des marchés ‘’intérieurs’’ captés par des opérations de privatisation après intervention des Etats pour rendre ces nouveaux marchés rentables.
La croissance se lit dans les bilans comptables, desquels nous pouvons déduire aussi le taux d’exploitation de la classe ouvrière. Hyper pauvreté et ultra gaspillage accompagnent ce capitalisme du troisième âge. Mais seules des mesures dérisoires sont prises pour rendre aux populations pauvres (parfois en état de famine) le surcapital accumulé à leurs dépens.
Les marchands créent une demande artificielle et contrôlent les marchés : le parc automobile français saturé fut renouvelé en quelques années avec les Centres de contrôle technique. Mais déjà le même marché piétine et les industriels cherchent une solution en se tournant vers les faibles revenus : en 2004, avec la Logan, Renault invente la voiture Low cost ! (à bas coût).
Les versements de l’Etat à diverses catégories sociales et les subventions gigantesques aux industries et aux banques étayent la croissance pour soutenir les profits mais pas des programmes sociaux. La publicité oriente la consommation et les médias s’y emploient. Maintenant les consommateurs délaissent le superflu, comme l’eau en bouteille, les produits d’entretien, les lingettes, la confiserie ? Dans ce cas, les magasins les placent en produits d’appel à prix cassés ! Le public réduit les températures de lavage en machine ? Aussitôt le groupe Procter & Gamble lance une lessive garantissant un lavage efficace à 15° !
La notion capitaliste de croissance peut prendre des aspects pervers. Aux Etats-Unis, l’augmentation du nombre des prisonniers est une croissance positive pour les architectes et les entreprises spécialisés dans la construction de prisons privées. Une politique moins carcérale des justiciables devient un obstacle à ‘’la croissance’’ et une catastrophe pour ces entreprises.
La croissance sans objectifs sociaux dégrade la convivialité, mais aussi les écosystèmes et l’environnement. Le ‘’Développement’’ est un synonyme faisant croire à l’avènement du bien-être pour tous. Et quand cet assaut de démagogie ne fonctionne pas, surtout dans les pays du Sud, on lui substitue « la lutte contre la pauvreté »… par la magie de la « croissance »… comme antidote au dénuement. Les démagogues du FMI, dirigés par le socialiste français Strauss-Kahn, ne manquent pas d’imagination pour adapter les mots à la situation qui leur convient.
La décroissance est inséparable de la lutte anticapitaliste réelle
Il existe des secteurs à croissance indispensable et d’autres à décroissance nécessaire. Cette approche concrète, quantifiable, introduit une croissance positive ou négative dans un programme politique. Il faut plus de logements sociaux, d’hôpitaux et d’écoles, mais certainement moins d’armes, de transports, et de marchandises superflues. C’est pourquoi la « décroissance » doit être programmée selon les secteurs et dans la perspective d’une gouvernance anticapitaliste.
Divers courants lancent des idées pionnières à rebours de l’idéologie dominante. Mais leur spécialisation plombe leurs réflexions faute de liaisons avec la diversité et l’ancrage social des revendications. Par exemple, les associations concernées se félicitèrent quand la protection de l’enfance devint un chapitre législatif. Mais personne n’a pensé concrètement à interdire la fabrication, le transport, la vente et l’usage du martinet ! C’est pourquoi il est plus fructueux de réfléchir en liaison avec les interventions dans les entreprises, les syndicats, les quartiers et les services sociaux. Car la décroissance anticapitaliste concerne aussi la santé, les loisirs, la qualité de vie et l’aptitude au bonheur des êtres humains.
Note
(1) Les mots-clés croissance, décroissance et objecteurs de croissance rassemblent 1300 articles ou dossiers sur le site EUROPE SOLIDAIRE SANS FRONTIERES.