Après le meurtre de Zhina (Mahsa) Amini, Hadis Nafaji, une jeune femme de 20 ans, a été tuée, le 25 septembre, de six balles dans la tête, le cou et la poitrine dans la petite ville de Karaj à 30 km à l’ouest de Téhéran. Son nom a été de suite associé à celui de Mahsa Amini.
Depuis lors, le mouvement n’a cessé de s’étendre. Les sommets de mollahcratie, bien qu’il soit difficile de rendre des «forces étrangères» responsables d’un soulèvement ayant cette origine et ce caractère, n’ont pas hésité, par la voix d’Ali Khamenei, à affirmer: «C’est le travail des Etats-Unis et du régime usurpateur et fantoche sioniste. Ils ont planifié tout cela à l’avance.» Son discours du 3 octobre a été tenu devant les haut gradés des forces armées et des cadets militaires dans le but d’appuyer l’action répressive (à ce jour, plus de 100 manifestant·e·s ont été tués) de la police et des dites forces de sécurité. Il y a là une indication de la mise en cause de plus en plus directe du régime
Réd. A l’Encontre
Après le meurtre de Zhina (Mahsa) Amini [1], une jeune femme kurde de 22 ans [originaire de Saqqez au Kurdistan iranien], par la police du hijab, et les mobilisations nationales de protestation [initiées dès le 17 septembre], l’Iran est entré dans une nouvelle étape du processus de sa révolution sociale. Les débuts des comités de quartier, en collaboration avec des étudiants universitaires, des syndicalistes et un réseau semi-structuré de militantes féministes dans les grandes villes comme Téhéran et Rasht [capitale de la province de Guilan au nord-ouest de l’Iran], ont réussi à organiser des manifestations dans plus de 100 villes à travers l’Iran. Les mobilisations de masse [malgré une répression très dure] ont affirmé leur présence dans la rue.
1. Parmi les innombrables événements de la semaine dernière [du 26 septembre au 2 octobre], certains revêtent une importance particulière pour la sphère politique iranienne. Tout d’abord, la diffusion à l’échelle nationale du slogan «Femme! Vie! Liberté!», scandé pour la première fois lors des funérailles de Zhina le 17 septembre dans sa ville natale de Saqqez au Kurdistan iranien. Bien que ce slogan ait un lien évident avec le slogan («Pain! Travail! Liberté!») des couches laborieuses scandé lors des manifestations de novembre 2019 [face à l’augmentation des prix du carburant], nous ne devons pas oublier qu’il a été créé à l’origine par les Unités de protection de la femme (YPJ, en kurde: Yekîneyên Parastina Jin) au nord de la Syrie et la Société des femmes libres du Kurdistan oriental (KJAR). Le chant de ce slogan au Kurdistan a donc une signification particulière, qui renvoie aux traditions des projets socialisants et autonomistes kurdes dans cette région.
2. Le rassemblement de militantes féministes dans les grandes villes d’Iran nous montre que les réseaux semi-structurés sont utiles pour mobiliser et diriger des manifestations de masse et intégrer les différentes revendications des couches paupérisées urbaines, des travailleurs et travailleuses, des classes moyennes pauvres et d’autres communautés politiquement marginalisées. Cependant, ces réseaux ne sont pas protégés face à la répression sévère et violente de la police, des unités de sécurité et des militaires de la République islamique. L’arrestation de nombreuses militantes féministes au cours des derniers jours indique que ces réseaux doivent être protégés par des structures plus organisées comme les syndicats et les comités de travailleurs et travailleuses [qui renvoient à une tradition de l’organisation ouvrière en Iran].
3. Les déclarations d’organisations telles que le Conseil de coordination des associations professionnelles des enseignants iraniens (CCITTA), le Conseil d’organisation des travailleurs contractuels [intérimaires, voir à ce propos les articles publiés sur ce site les 25 juin, 17 juillet et 27 août 2021] de l’industrie pétrolière, le Syndicat de la canne à sucre Haft Tapeh, le Syndicat libre des travailleurs iraniens [créé initialement en 2006 sous le nom de Syndicat national des travailleurs expulsés et sans emploi, son nom a été changé en 2008], ainsi que de nombreuses déclarations parallèles de syndicalistes dans les universités, montrent que certains travailleurs et travailleuses en Iran envisagent une grève générale en solidarité avec les manifestations de masse à l’échelle nationale. Certaines universités ont déjà commencé à faire grève en exigeant la libération immédiate des étudiant·e·s arrêtés.
4. Les événements du 2 octobre montrent que le régime a décidé d’intensifier l’usage de la violence pour réprimer les manifestations de masse et les grèves. Les forces du régime avaient déjà provoqué un bain de sang [le vendredi 30 septembre] à Zahedan [capitale de la province du Sistan-et-Baloutchistan, située dans le sud-est du pays] en tuant des dizaines de Baloutches qui manifestaient dans les rues [2]. Les forces répressives ont également assiégé le 2 octobre l’université de technologie de Sharif [fondée en 1965] située au centre de Téhéran. Elles ont brutalement blessé et arrêté des centaines d’étudiant·e·s afin de terroriser d’autres universités. Le lendemain, les étudiant·e·s de nombreuses universités du pays ont réagi en se mettant en grève et en appelant à des manifestations. Cette fois, les élèves des collèges et des lycées se joignent à la grève et appellent à la solidarité de leurs enseignants. Le CCITTA a également appelé à une grève à partir du 4 octobre, qui viendrait s’ajouter à la vague de grèves qui a débuté fin septembre.
Divisions politiques au sein de la diaspora iranienne
L’effervescence en Iran a inspiré la diaspora iranienne à travers le monde à manifester en solidarité avec la lutte. Fin septembre et à nouveau le week-end dernier, les grandes villes d’Europe, d’Amérique du Nord et d’Australie ont vu des dizaines de milliers d’Iraniens et de sympathisants défiler à la mémoire de Zhina (Mahsa) Amini et contre la République islamique. Pour l’essentiel, l’objectif des organisateurs était de donner une audience à l’importance de la lutte des femmes pour leur liberté et leur dignité, qui est au cœur de la révolution sociale iranienne. Cependant, l’un des principaux problèmes auxquels la diaspora iranienne est confrontée réside dans la prévalence de groupes monarchistes dominés par les hommes qui tentent de prendre le contrôle des manifestations, souvent de manière violente. Leur objectif est de faire taire les voix des femmes et de dominer les manifestations avec des drapeaux monarchistes et des slogans réactionnaires qui ne représentent pas les voix des femmes, des travailleurs et des travailleuses, des minorités ethniques et d’autres communautés politiquement marginalisées.
La manifestation du 25 septembre à Manchester a illustré la situation critique que vivent les militant·e·s progressistes iraniens. Cet événement était organisé par le «Red Roots Collective», un groupe d’activistes féministes et socialistes migrants en collaboration avec des féministes, des syndicalistes et des socialistes britanniques. Au début de l’événement, les monarchistes ont commencé à perturber la première prise de parole et à faire taire l’oratrice en la chahutant, ainsi qu’à frapper brutalement l’un des organisateurs de l’événement. Cependant, grâce au soutien d’activistes britanniques et d’organisations socialistes kurdes, le Red Roots Collective a réussi à déplacer la manifestation sur le St Peter Square au centre de la ville, et les autres orateurs ont pu élever la voix en faveur de «Femmes! Vie! Liberté!».
La révolution sociale en Iran doit se défendre contre deux menaces. Premièrement, les forces de la République islamique [en soutien à Bachar el-Assad, avec de plus l’appui des troupes du Hezbollah libanais] ont acquis en Syrie l’expérience de l’écrasement de la révolution en provoquant des bains de sang dans les villes qui tentaient de devenir autonomes et de s’émanciper de la dictature d’Assad. Deuxièmement, les monarchistes s’efforcent de provoquer un «effondrement contrôlé» du régime théocratique et de prendre le contrôle d’un processus révolutionnaire en mobilisant les forces nationalistes de droite en Iran. Contre ces deux menaces, les féministes, les socialistes, les syndicalistes et les autres forces de cette révolution sociale ont besoin de la solidarité des classes laborieuses du Royaume-Uni [et de l’Europe, ainsi que dans d’autres continents]. Cela nécessitera un changement politique majeur dans l’attitude de la gauche britannique, qui devra intégrer l’internationalisme dans ses luttes quotidiennes.
La perspective de l’échec de la révolution sociale en Iran, en raison d’un manque de solidarité internationale, serait, selon les mots de William Blake, «une misère pour nous tous»
Gh. H Saedi