Quinze ans après la chute du mur de Berlin, le mouvement altermondialiste est parvenu à repositionner les luttes progressistes à l’échelle globale et contribue à fragiliser la contre-reforme néoliberale. Dette du tiers monde, participation populaire, commerce équitable, écologie, diversité culturelle, droits des femmes, biens publics mondiaux, taxation des transactions financières, les problématiques soulevées sont aujourd’hui au cœur des débats politiques mondiaux. La victoire du Non au référendum français sur la constitution européenne résulte aussi en partie de l’enracinement d’un discours qui refuse l’alternative mondialisation néoliberale / repli souverainiste et défend un nouvel internationalisme.
Si l’étau idéologique a été desserré, pour autant, la dynamique réelle est loin d’être renversée. En dépit de mobilisations réussies, les victoires concrètes sont quasiment introuvables tandis que les défaites s’accumulent. De plus, des groupes emblématiques de la vague de mobilisation altermondialiste comme Attac en France, les désobéissants en Italie ou les zapatistes au Mexique semblent être arrivés à la fin d’un cycle et le processus des forums sociaux fait l’objet de débats difficiles. Les incertitudes actuelles rappellent que la montée en puissance de ce mouvement pour la justice globale n’a rien d’inéluctable. Faute de bien identifier le contenu original de cette figure de l’émancipation, le risque est grand de s’engourdir sur le pallier atteint et de laisser se refermer les griffes du sentiment d’impuissance écarté un temps.
Au-delà de la réarticulation des thématiques de l’action militante qui a conduit à l’apparition d’une cause globale et multiple, le succès rencontré par le mouvement altermondialiste est également celui du déploiement de formes organisationnelles innovantes. Ces nouvelles pratiques dans la coordination de l’action collective et de luttes distinctes, émergentes depuis plusieurs décennies dans divers mouvements sociaux, ont au moins partiellement su répondre aux échecs passés et aux rapides mutations économico-sociales de la fin du XXe siècle. En dépit de leur caractère inachevé et parcellaire, il s’agit là des germes de ce que les zapatistes appellent un bon gouvernement ; ces pratiques qui apparaissent aux divers niveaux depuis l’organisation d’actions directes jusqu’au processus des forums sociaux sont autant d’esquisses procédurales de la possibilité d’un autre futur qu’il faut interroger.
1. Les ressorts de la rénovation des pratiques militantes
Pour comprendre la rénovation des pratiques militantes au sein du mouvement altermondialiste, il importe d’identifier les problèmes spécifiques au contexte historique dans lesquelles elles apparaissent.
Le premier élément incontournable est l’échec des projets émancipateurs au XXe siècle et les monstres dont ils ont parfois accouché. Pour être extrêmement rapide, ce qui est d’abord en cause c’est une vision étapiste du changement social : 1/ prise du pouvoir étatique 2/ mise en œuvre du programme politique. A se focaliser exclusivement sur la critique de l’ordre existant et la mise en place de stratégies de conquête du pouvoir politique les mouvements socialistes et les luttes de libération nationale n’ont pas apporté l’émancipation escomptée (1). Lorsqu’ils parviennent au pouvoir ses mouvements sont rattrapés par les contraintes de la gestion étatique, de la situation internationale et, souvent, des intérêts des nouvelles couches dirigeantes. En arrière plan, il y a une illusion quant à l’homogénéité du sujet de la transformation sociale (la classe ouvrière ; le peuple colonisé) et une réduction de l’ensemble des rapports sociaux d’oppression à une cause économique centrale (le capitalisme ou l’impérialisme).
Au défi posé par les échecs du passé s’ajoutent des contraintes plus contemporaines en terme de complexification-fragmentation des sociétés. Il s’agit notamment, dans les pays développés, des mutations du salariat, du développement du chômage et de la précarité mais aussi de nouvelles formes d’organisation du travail qui affaiblissent le sentiment politique d’appartenance de classe (2). Parallèlement, l’internationalisation croissante des processus de production diminue le pouvoir de négociation des syndicats et la montée en puissance des institutions internationales tend à éclater le cadre politique de régulation du conflit social même si l’Etat-nation reste au centre du dispositif.
Du côté des mouvements sociaux on assiste également à l’émergence d’une nouvelle donne. D’un côté, la chute de l’URSS réintroduit de la fluidité entre les diverses organisations à l’échelle internationale ; de l’autre, depuis les années 1970/1980, de mouvements sociaux centrés sur des questions spécifiques (environnement, féminisme, mouvements informationnels, droits humains, etc.) ont pris une importance croissante alors que les organisations non gouvernementales s’affirmaient comme un nouveau type d’acteur atypique et parfois ambiguë du conflit social.
Troisième aspect, une nouvelle éthique du militantisme semble émerger. Radicalement sceptique à l’égard des promesses de lendemains qui chantent, elle avance deux propositions fondamentales. D’abord, le refus d’un décalage entre posture éthique et pratique militante (3) se traduit par une forte défiance a l’égard de la distinction entre fins et moyens. Comme chez les zapatistes, le présent de la lutte et la possibilité d’un autre futur tendent alors à être réunifiés (4). D’autre part, le militantisme sacrifice est rejeté au profit d’une vision émancipatrice de la pratique militante elle-même qui valorise fortement la créativité et légitime la dissension pourvue qu’elle ne soit pas sectaire. Comme cela se produit dans le monde des hackers et du logiciel libre, le travail militant relève alors d’une forme d’économie du don dans laquelle la gratification est essentiellement d’ordre symbolique (5) et la subjectivité dans la production de l’information devient une source de richesse militante (6). L’exigence croissante d’autonomie dans l’engagement individuel a finalement pour corollaire une instrumentalisation des cadres de mobilisation qui est manifeste dans la complexification des formes d’implication (multiappartenance, militantisme intermittent, etc.).
Pleinement conscient des échecs passés, les mouvements sociaux doivent donc relever de nouveaux défis organisationnels pour faire face aux transformations socio-économiques, culturelles, politiques et géopolitiques (7). Il s’agit en effet de retrouver une efficacité d’action face aux mutations du capitalisme, d’éviter l’émiettement des forces en articulant des acteurs collectifs aux préoccupations très diverses mais aussi d’accompagner le passage d’un militantisme de masse à un militantisme d’acteurs.
La défiance vis-à-vis de la distinction entre fins et moyens, la multiplication des échelles de l’action militante et la diversification thématique des luttes émancipatrices convergent alors vers le rejet du couple réprésentation-hiérarchie comme modalité principale de coordination d’un possible bon gouvernement altermondialiste. La mise en réseau de regroupements affinitaires - initialement limitée à la réalisation d’actions directes puis étendue à une nouvelle échelle pour l’organisation des contre-sommets et des forums sociaux - apparaît en revanche comme l’esquisse d’une nouvelle forme d’organisation de l’agir ensemble.
2. Les groupes affinitaires : un mode d’organisation libertaire pour l’action directe
Non-hiérarchique et décentralisée, la technique des groupes affinitaires (GA) est éminemment libertaire dans ses fondements et, jusqu’au développement du mouvement altermondialiste, a été essentiellement l’apanage des manifestants prônant l’action directe contre des symboles du capitalisme (maintenant dénommés Black Blocs) ou par des adeptes de la désobéissance civile non-violente (8). Lors des manifestations cette technique permet de faire de chacun un organisateur disposant d’un cadre pour se protéger et prendre des décisions tout en offrant, à travers les spoke council, la possibilité d’une foule rationnelle.
Le groupe affinitaire est un regroupement autosuffisant comprenant généralement de 5 à 15 personnes qui peut mener seul ou en lien avec d’autres des actions directes. Source de soutien et de solidarité pour ses membres, le GA permet d’éviter l’isolement des activistes en créant un contexte de familiarité et de confiance. Une répartition interne des tâches peut être mise en place (liaison avec les autres GA, écouter la radio, etc..). Un GA est aussi une unité de décision dans le contexte de l’action de masse. Fonctionnant au consensus, il est essentiel que les membres qui le constituent partagent les mêmes envies et principes afin de réagir de manière relativement cohérente et homogène face aux risques inhérents à l’action directe. Collectivement, le GA prend en charge une tâche spécifique au sein de l’action : chaîne de protection, ravitaillement en eau, observatoire légal, confrontation avec la police, samba, information/témoignages (photographie, recueil de témoignages audio, vidéo) équipe médicale, intervention graphique, etc..
Le spoke council réunit un porte-parole pour chaque groupe affinitaire. Alors que la discussion des enjeux de l’échéance se fait au cours d’assemblées générales, le spoke council est une réunion essentiellement organisationnelle où chaque GA présente ses intentions par rapport à l’action de manière à ce que tous puissent en avoir une vision globale. Ces réunions peuvent servir à répartir les rôles - par exemple les points de blocages - mais également à susciter des vocations si certaines tâches ne sont pas prises en charge. Elles sont aussi l’occasion de vérifier qu’il y a un accord sur le cadre général de l’action, par exemple son caractère non-violent. Le délégué d’un GA, seul habilité à prendre la parole, peut être présent seul ou venir avec l’ensemble de son groupe qu’il pourra consulter à chaque fois qu’il faudra prendre une décision.
[Voir encart n° 1, ci-dessous]
L’organisation en groupes affinitaires se caractérise donc par la mise en réseau de petits collectifs d’acteurs. Puisque chaque groupe tend à se spécialiser, il y a une forme de délégation, mais celle-ci ne prend pas la forme d’une représentation puisqu’un groupe affinitaire n’agit pas « au nom de » l’ensemble des activistes impliqués mais plutôt effectue un don à cette communauté politique engagée dans l’action. Le réseau de groupes affinitaires constitue ainsi un ensemble éphémère de production d’action politique dans lequel la division du travail relève d’une économie du don et non d’une coordination hiérarchique.
En dépit de sa souplesse et de son caractère horizontal, ce mode d’organisation des actions de protestation connaît néanmoins plusieurs limites qui ont trait à la difficulté de prendre des décisions par consensus et au flou qui peut en résulter (9). Ces problèmes sont particulièrement aigus lorsqu’il est difficile ou impossible de réunir un spoke council en raison de l’évolution de la situation (typiquement, une intervention de la police). Cette relative inefficacité est parfois palliée par l’existence de canaux cachés de coordination contredisant l’apparente perfection de transparence et d’égalité.
En tout état de cause, les réunions des spoke council sont un cadre d’échange d’informations préalable à l’action qui offre aux GA la possibilité de jouer au mieux de leurs complémentarités. Concernant le déroulement de l’action elle-même il semble que la massification des nouvelles technologies de communication puisse permettre de surmonter en partie les problèmes rencontrés. Ainsi, lors des protestations contre la convention républicaine à New York début septembre 2004, le centre des médias indépendants avait mis en place des listes de diffusion d’informations en temps réel par SMS. En fonction de ces données, les activistes ajustaient de façon décentralisée leurs décisions de manière à éviter des arrestations ou à renforcer telle ou telle initiative (10).
3. La mise en réseau de regroupement affinitaires au sein du mouvement altermondialiste
Le principe des regroupements affinitaires au sein du mouvement altermondialiste va cependant au-delà de cette conception anarchiste tournée exclusivement vers l’action directe. A travers l’organisation de grands évènements et l’inscription dans la durée d’une nouvelle organisation du travail militant, des manières d’agir ensemble combinant regroupement par affinités-spécialisation et mise en réseau se déploient à de nouvelles échelles.
A la base de l’organisation des contre-sommets et des forums sociaux on trouve le problème de la gestion d’une très grande diversité des parties-prenantes qui est une de conditions de la réussite de ces initiatives. Entre des acteurs de taille et de nature très diverses, venant de différents pays, aucune procédure de décision par le vote ne peut fonctionner et personne n’est légitime pour exercer un chapeautage hiérarchique. C’est ce qui explique l’émergence d’un fonctionnement autour du triptyque réseau-consensus-agregat (11) : des organisations clés connectées en réseau établissent des consensus auxquels viennent s’agréger de nombreux autres d’acteurs ce qui permet des accords larges sur des points décisifs tels que les échéances.
Les modalités d’organisation adoptées diffèrent cependant substantiellement selon le type d’échéance. Lors des contre-sommets, il s’agit principalement de construire un cadre de solidarité et de convergence entre les parties-prenantes tout en respectant l’autonomie de chacun. L’objectif partagé est de former un front du refus face aux politiques que mène l’institution visée et de questionner sa légitimité. La question des alternatives n’apparaît donc qu’au deuxième plan. Cet agencement facilite la dynamique unitaire : les diverses campagnes cohabitent et mettent en scène leur singularité dans des initiatives parallèles avant de converger autour d’une manifestation centrale. Dans le cadre des forums sociaux, les choses sont plus complexes car la dynamique du refus n’est pas là pour créer une force centripète. Puisqu’il s’agit de donner à voir « qui on est » et « ce qu’on veut », la participation est conditionnée par l’adhésion non pas à une plate forme revendicative minimale mais à la charte du Forum Social Mondial qui joue le rôle de carte de visite commune. Celle-ci explicite les objectifs de ces rencontres ainsi que des éléments d’organisation mais son interprétation donne lieu à un vif débat selon le rôle que souhaitent donner les divers acteurs au processus des forums sociaux.
4. Organisation de la diversité des motifs et des formes de protestation face aux sommets officiels
Au moins depuis Seattle en 1999 (12), jusqu’aux initiatives face au G8 de Gleaneagles en Ecosse en juillet 2005 en passant par les manifestations contre le sommet de l’APEC à Santiago du Chili en novembre 2004, les contre-sommets sont le lieu par excellence de convergence du mouvement altermondialiste. Si l’on se rassemble d’abord pour refuser, la multitude d’initiatives qui fleurissent donne à voir la diversité des motifs de protestation et des manières de résister.
Un contre-sommet est le produit de l’addition de forces militantes qui constituent une coalition de fait, celle des défenseurs de tortues et des syndicalistes qui a tant frappé les esprits lors des manifestations de Seattle contre l’OMC. Souvent, la quasi-totalité des groupes impliqués dans l’événement - à l’exception notable des Black Blocks - intègre un cadre de préparation minimal. Ce cadre joue un rôle de définition de l’espace de convergence qu’est la manifestation centrale et de solidarité/information entre les différentes initiatives qui vont être prises dans la mesure où les problèmes - en particulier de répression - touchant l’une des initiatives affectent également les autres.
Lorsqu’un tel cadre fait défaut ou est très limité comme lors du sommet UE-Amérique latine de Guadalajara en mai 2004, la capacité de réaction face à la répression est très diminuée. De plus, les acteurs se privent des externalités positives en terme de dynamisme de la mobilisation que génère la mutalisation des informations et la confrontation des analyses. Dans une moindre mesure, ils renoncent aussi aux économies d’échelles liées à l’existence d’un matériel commun d’information ou à la gestion de problèmes logistiques, bien que les différentes campagnes assument toujours de manière autonome une partie de ces tâches.
A la différence des réunions unitaires traditionnelles dans lesquelles chaque organisation est représentée, tout le monde peut assister aux réunions de préparation de ces évènements et prendre des tâches. Le poids du représentant d’un grand syndicat sera bien sûr prépondérant pour décider d’un point crucial - par exemple la date de la manifestation - mais la nécessité d’organiser la diversité des initiatives implique une souplesse telle que le cadre de coordination dispose d’une dynamique propre.
[Voir encart n° 2, ci-dessous]
Un des traits caractéristiques des contre-sommets est la jeunesse des participants aux manifestations et qui se traduit notamment dans le fait que la plupart des personnes présentes ne sont pas affiliées à une organisation et se déplacent par leurs propres moyens (13). Même si dans certains cas (G8 de Gênes 2001 et de Gleaneagles 2005 par exemple) c’est la mobilisation de grandes organisations qui a amené des centaines de milliers de personnes à descendre dans la rue, souvent les contre-sommets reposent sur de petits collectifs. Cela implique que la mobilisation repose sur des mécanismes peu coûteux et participatifs.
Internet joue ici un rôle crucial en permettant une coordination intense à moindre coût entre les individus les plus impliqués tout en offrant la possibilité de tout un chacun de s’agréger au processus. L’information pratique est largement disponible sur les sites des collectifs organisant la mobilisation ainsi que par le biais du réseau Indymedia. En l’absence d’adhésion formelle, il est relativement simple d’accéder aux listes de discussion électroniques. Cette horizontalité n’implique bien évidemment pas une uniformité de l’implication de chacun : on constate que quelques personnes monopolisent la « prise de parole » sur les listes de discussion par mail (14) et qu’un phénomène classique de professionnalisation subsiste. Néanmoins, contrairement aux organisations traditionnelles, l’absence de monopole de l’information rend possible la participation sans préalable. Ce phénomène alimente également l’effet accordéon observé dans le cadre des petits collectifs altermondialistes. En l’absence d’échéance, ceux-ci réunissent au plus quelques dizaines de personnes, mais lorsqu’un événement est en préparation leur surface croît fortement : des personnes ayant déjà été en contact avec le collectif reprennent temporairement du service selon un schéma de militantisme intermittent.
La disponibilité de l’information et son faible coût de circulation favorise également un approfondissement de la division du travail militant source de plus grande efficacité des forces mobilisées. L’organisation du Village Intergalactique contre le G8 d’Evian en témoigne (15). La production de supports de mobilisation et la coordination logistique étaient réalisées par un collectif occupant une place centrale (réseau G8 illegal). A l’origine de l’initiative, il ouvrait l’espace de coordination à travers les listes de discussion et d’information Internet, un site web et l’organisation de réunions préparatoires. Cependant la réalisation des ces évènements impliquait la connexion des différentes dimensions à travers de nombreux collectifs : information (indymedia-samizdat), samba (Rythms of Resistance - Londres, Amsterdam), expertise (fondation Copernic, CCFD), mobilisation (collectifs Attac Campus, ACG et Sud étudiant pour la France, XMG pour la Catalogne, Attac Allemagne, Désobéissants et Giovanni Communisti pour l’Italie ), impression du matériel (Rotographie -imprimerie de la LCR- et Sud étudiant), mise en place des cadres d’organisation des actions (AARRG !), cuisine bio (A Seed - Pays Bas), assurance ( Les Verts), fourniture d’aliments (Confédération Paysanne et réseaux de commerce bio ou équitable), etc..
L’expérience des contre-sommets apporte donc deux éléments marquant du point de vue des formes d’organisations. D’abord, l’ampleur de la mobilisation résulte en grande partie des méthodes de construction de coalitions d’une multiplicité de mouvements. C’est également à l’occasion de ces évènements qu’une nouvelle génération militante a fait son apparition : utilisant les nouvelles technologies et avec peu de ressources, elle expérimente avec succès des modalités décentralisées de coordination du travail militant.
5. Le processus des forums sociaux en débat
Lors de leur convocation intergalactique à une rencontre pour l’humanité et contre le néolibéralisme à l’été 1996, les zapatistes ont adopté une méthodologie qu’on retrouve dans le processus des forums sociaux : ouvrir un espace-temps de débats et de confrontation pour tous ceux et celles engagés dans la lutte contre le néolibéralisme.
Les forums sociaux visent ainsi à dépasser les limites inhérentes aux seules mobilisations dénonciatrices et de permettre au mouvement d’être une force de propositions alternatives. A la différence des contre-sommets ce sont des évènements choisis, il faut donc définir à qui s’adresse l’invitation et quels sont ses buts. La charte du forum social de Porto Alegre avance une série de principes qui constituent la base du processus mais n’épuisent pas la complexité des débats et des pratiques. Concernant la place des organisations politiques, la discussion est apaisée. En raison des rapports de compétition qu’ils entretiennent du fait de leur engagement dans les batailles pour la conquête du pouvoir, les partis n’occupent pas le centre des forums ; ils sont cependant associés plus ou moins directement à l’organisation et disposent d’espaces d’expression. En revanche, le débat sur les rôles du processus des forums sociaux bat son plein et les considérations organisationnelles qui en découlent donnent lieu à une vive mais riche controverse.
Tableau 1. Principes fondateurs du forum social mondial
QU’EST CE QUE LE FSM ? | • un espace de rencontre ouvert visant à approfondir la réflexion, le débat d’idées démocratique, la formulation de propositions, l’échange en toute liberté d’expériences, et l’articulation en vue d’actions efficaces • un espace où les organisations présentes jouissent de la liberté de délibérer sur toute action ou déclaration qu’ils décideraient de mettre en œuvre |
QU’EST CE QUE N’EST PAS LE FSM ? | • Une instance délibérative • Une instance de pouvoir que peuvent se disputer ceux qui participent à ces rencontres |
QUI PARTICIPE AUX FSM ? | • les organisations, mouvements et associations de la société civile qui s’opposent au néolibéralisme et à la domination du monde par le capital et toute forme d’impérialisme, et qui s’emploient à bâtir une société planétaire axée sur l’être humain. • Les activistes intéressés n’appartenant à aucune organisation peuvent participer en tant qu’auditeurs libres ou comme volontaires aux activités ouvertes. • Les gouvernements qui accueillent les manifestations du F.S.M. peuvent participer à leur organisation. • Tout gouvernant et parlementaire ayant souscrit à la Charte du F.S.M. peut être invité à participer à titre personnel |
QUI NE PARTICIPE PAS ? | • Les délégués, les associations et les individus rattachés à des gouvernements ou à des partis politiques. • Les organisations armées et militaires. |
Source : http://www.forumsocialmundial.org.br
Des instances de débats et de coordination
Le processus des forums sociaux est-il seulement un espace ouvert de discussion ou est-il au cœur d’un mouvement des mouvements susceptible d’activité délibérative minimale ? (16) La charte du Forum Social Mondial (FSM) explicite que le Forum ne prend pas de décision. Sur cette base, certains considèrent que la libre confrontation de points de vue implique que les acteurs ne soient pas contraints par les impératifs tactiques qui surviennent lorsqu’il y a nécessité de parvenir à un accord. Plus encore, ils craignent que l’émergence d’un processus décisionnel ne favorise l’aspiration des composantes mouvementistes du FSM à construire des mobilisations globales aux dépens des ONGs plus préoccupées par l’émergence de propositions pour des campagnes de plaidoyer.
Inversement, si chacun s’accorde à reconnaître l’acquis formidable que constitue le cadre des forums sociaux comme espace de confrontation d’idées, un nombre important d’acteurs considèrent qu’il est nécessaire de mettre en place une coordination formelle minimale. Visant à la construction d’un réseau inclusif basé sur le consensus, les appels des mouvements sociaux sont alors conçus comme un embryon de coordination planétaire des résistances (17). Issus d’assemblées qui se situent en marge des forums sociaux, ils instituent l’expression régulière d’une plate-forme revendicative mondiale (ou continentale) et d’un agenda altermondialistes. Grâce à eux, l’altermondialisation n’est pas seulement une sensibilité idéologique mondiale défiant l’ex-« pensée unique » du Forum Economique Mondial de Davos, elle tend aussi à être un acteur socio-politique global qui se dresse face aux gouvernements, aux entreprises multinationales et aux institutions internationales. De ce point de vue, la journée mondiale de manifestation du 15 février 2003 contre la guerre en Irak a été un succès éclatant.
En dépit des discussions en cours et de la fragilité d’un processus encore jeune, la création d’un cadre mondial de confrontation des idées opposées au néolibéralisme ainsi qu’un embryon de coordination des résistances à l’échelle planétaire sont deux acquis de la dynamique des forums sociaux. Pour un certain nombre d’acteurs, il faut cependant aller au-delà.
Transformer les forums en espace-temps libérés
L’expérience historique des limites de la vision étapiste du changement social alimente un scepticisme sur la possibilité du changement social radical auquel ne répond pas véritablement les espaces de débats et de coordination au sein des forums sociaux. Certes, la démarche inclusive contraste très fortement avec celle de distinction à tout prix qui prévalait entre les différents courants politiques dans les années 1960-1970, lorsque les grands bouleversements semblaient tout proches. Cependant, elle ne donne pas à voir « en actes » cet autre monde auquel le mouvement aspire.
S’il l’on ne peut s’affranchir pleinement des contraintes de la mondialisation capitaliste dans un forum social, il est cependant possible de jouer sur le rapport de force militant temporairement favorable afin d’obtenir une libération partielle et éphémère du capitalisme et des autres rapports d’oppression traversant la société (18). On retrouve ici l’idée de Temporary Autonomous Zone d’Hakim Bey, le refus d’être « condamnés à ne jamais vivre l’autonomie, à ne jamais être, pour un moment, sur une parcelle de terre qui ait pour seule loi la liberté » (20), mais sans le phantasme de pureté associé à l’action directe brève et clandestine. Plusieurs propositions en partie mise en œuvre viennent étayer ce projet.
En premier lieu, mettre au cœur de la démarche de construction des forums un principe de cohérence entre fonctionnement et valeurs dont le mouvement se réclame. L’explicitation dans le cadre de chartes du refus des comportements sexistes, racistes ou homophobes comme cela s’est fait lors de villages contre le G8 d’Evian ou le GLAD durant le FSE pourrait contribuer à rendre palpable la singularité de ces espaces-temps. Faire disparaître des grandes marques mondiales de ces espaces et les remplacer par des produits du commerce équitable et/ou de l’agriculture biologique est une autre manière de marquer la rupture. L’absence de Coca Cola à Mumbai était ainsi le résultat d’une décision symbolique forte prise par le comité d’organisation du FSM mais qui ne doit pas en masquer une plus importante : le refus du soutien financier que la Fondation Ford avait accordé lors des précédentes éditions à Porto Alegre. Alors que le Forum de Mumbaï se déroulait dans un contexte politique et logistique beaucoup plus difficile que ceux de Porto Alegre, le comité organisateur local a fait valoir l’importance de l’autonomie financière du processus comme gage de son indépendance politique vis-à-vis des puissances de l’argent.
Une autre dimension de l’aspiration à expérimenter au sein des forums sociaux concerne l’impact que ceux-ci peuvent avoir sur les communautés au sein desquelles ils se tiennent. Déjà, de nombreux mouvements sociaux profitent de ces rassemblements pour organiser des actions de soutien aux luttes locales. Une attitude plus offensive pourrait consister à exiger des mesures temporaires mais exemplaires comme le remplacement des grands panneaux publicitaires par des images artistiques, la gratuité des transports public, la restriction de la circulation automobile ou la fermeture d’enseignes emblématiques de la mondialisation combattue. Déjà les Mc Donald se font discrets lors des rassemblements altermondialistes, alors pourquoi ne pas aller plus loin ? Le principe injonction préalable puis, si nécessaire, actions directes non-violentes qui a été mis en œuvre avec succès à Milan et Turin lors du May Day 2004 pour obtenir la fermeture des supermarchés le 1er mai pourrait être repris.
Les pratiques mises en œuvre et les actions entreprises pour obtenir des transformations temporaires du contexte dans lequel interviennent les forums peuvent ainsi être doublement importantes. La démonstration concrète d’alternatives accessibles a de grandes vertus propagandistes et permet au mouvement d’amorcer une dynamique de transformation sociale ayant vocation à se redéployer à d’autres échelles. En outre, ce type d’actions, aux antipodes de la polarisation tribune-assistance, favorise la participation de chacun. Comme le montre le tableau ci-dessous, cette dimension « expérimenter » intervient de manière complémentaire avec les fonctions « débattre » et « se coordonner » des forums sociaux.
Tableau 2. Les fonctions du processus des forums sociaux
DEBATTRE | • les plénières, séminaires et ateliers organisés au sein des Forums Sociaux • ateliers impulsés dans les espaces alternatifs en marge des forums |
COORDONNER | • assemblées des mouvements sociaux • réunions thématiques ou sectorielles |
EXPERIMENTER | • cohérence entre projet d’émancipation et fonctionnement des forums • autonomie financière comme gage de l’indépendance politique • soutien aux luttes en cours dans les communautés qui accueillent les forums • imposition de transformations temporaires dans les villes hôtes |
Conclusion
Les novations organisationnelles mûries au sein du mouvement altermondialiste peuvent être considérées comme des germes d’un bon gouvernement relevant les défis de l’irréductibilité des multiples facettes de l’émancipation, de la complexification des espaces de luttes et de la défiance vis-à-vis de la prise du pouvoir comme moment décisif de la transformation sociale.
Le principal enjeu est sans doute le dépassement d’un modèle structuré principalement par la concurrence entre les diverses sensibilités par une organisation coopérative de la diversité des mouvements sociaux insistant sur la complémentarité d’acteurs autonomes et spécialisés. L’enracinement des savoirs-faire (médias indépendants, blocs festifs, cuisines autogérées, équipes légales, désobéissance, coalition d’acteurs sociaux complémentaires : par ex syndicats/consommateurs/écologistes/ONG de droits de l’homme) dans le local et leur approfondissement au fil des luttes augure ainsi du passage d’un militantisme de masse à un militantisme d’acteurs. Fondé sur une éthique du don et la reconnaissance de la valeur des pratiques quotidiennes pour la lutte commune, la nouvelle division du travail esquissé dans le mouvement altermondialiste permet une nouvelle efficacité de l’action militante tout en contribuant à la redéfinition d’horizons d’émancipation collectifs et individuels.
Pour autant, les difficultés à articuler le niveau de la résistance et celui de l’offensive ainsi que la faiblesse des propositions concernant la transformation de l’action politique face à l’Etat manifestent la fragilité du processus engagé et l’ampleur du chemin à parcourir pour ceux et celles qui aspirent à une transformation radicale des rapports sociaux.
Encart n° 1
Le déroulement d’une action par groupes affinitaires : le blocage de Saint Cergues contre le G8 d’Evian
Le dimanche 1er juin 2003, contre le G8 d’Evian, nous étions environ deux mille à nous être levés à 3h30 pour aller bloquer une des principales voie d’accès à Evian. Après avoir marché plusieurs kilomètres, nous avons été bloqués par la police au carrefour de St Cergues. Batucada, ravitaillement en eau et en nourriture ainsi que citrons pour nous protéger des gaz lacrymogènes nous accompagnaient. Au même moment d’autres barrages étaient mis en place à Lausanne et à Genève. Si leur efficacité n’a pas pu être celle de Seattle, ces blocages ont néanmoins mis en scène un encerclement symbolique du G8 et ont contraint les forces de l’ordre à intervenir.
L’organisation de cette action matinale résulte de plusieurs étapes assez typiques d’actions de désobéissance structurée par groupes affinitaires.
1. le principe du blocage en différents points est acté plusieurs mois auparavant dans les cadres de coordination du contre G8.
2. les jours précédents des assemblées générales définissent le lieu et l’horaire du blocage et permettent le recensement des informations (autres initiatives, ..)
3. la veille le spoke-council recense le nombre de participant, la répartition des tâches et les ressources mobilisées. Un groupe stratégique est mis en place pour organiser un scénario de blocage.
4. pendant le blocage le spoke-council se réunit pour faire le point sur le déroulement de l’action et en particulier pour décider, en fonction des départs pour la manifestation, de la tenue ou de la levée du barrage.
Encart n° 2
De Gênes à Annemasse : deux configurations distinctes face au G8
Lors du contre-G8 d’Evian en juin 2003 trois initiatives étaient soutenues par la coordination : une grande manifestation précédée par des actions de blocages, un « sommet pour un autre monde » rassemblant des ONG pour des conférences et débats, ainsi que des villages alternatifs (Village intergalactique et VAAG) - plus jeunes et plus radicaux, centrés vers l’expérimentation, l’échange de savoirs-faire, l’organisation d’actions. Le cadre de coordination avait également une triple dimension. Locale d’abord, avec le collectif Haut-Savoyard Anti-G8 et le Forum Social Lémanique côté suisse ; nationale, avec une coordination parisienne dans laquelle les principales organisations françaises étaient représentées ; internationale enfin, avec une coordination qui s’est réunie seulement trois fois en plénière et qui jouait le rôle de coordination générale. Ce triple cadre était nécessaire car, d’une part, il s’agissait de ne pas tout organiser depuis Paris et, de l’autre, le tissu militant local étant relativement faible un cadre national devait soutenir la crédibilité de la mobilisation. Les cadres locaux et nationaux ont mené conjointement les négociations avec les autorités.
La configuration lors du contre-G8 de Gênes en juillet 2001 était très différente puisque le Genoa Social Forum a été l’unique lieu de coordination, cependant le principe de solidarité dans la diversité était le même. Le GSF a su organiser les différentes initiatives, accueillir les internationaux, mettre en place un zoning pour la journée de blocage en fonction de la plus ou moins grande volonté de confrontation des différents pôles affinitaires. Il a aussi assumé dans la durée une solidarité active face à la répression extrêmement violente subie par des centaines de personnes et qui a causé la mort de Carlo Giuliani.
Notes
(1) Immanuel Wallerstein, « New revolts against the system » , New Left Review, n° 18, nov-dec 2002, pp. 29-39.
(2) Stéphane BEAUD et Michel PIALOUX, Retour sur la condition ouvrière, Fayard, Paris, 1999, 468 p.
(3) Voir par exemple Sylvain Pattieu, « Expériences et pratiques des nouvelles générations altermondialistes », ContreTemps, « Enjeux intellectuels d’une nouvelle gauche radicale », n° 11, septembre 2004.
(4) Sur la relation entre histoire et lutte contre le néolibéralisme dans l’expérience zapatiste voir Jérôme Baschet, chapitre III « La révolte de la mémoire », L’étincelle zapatiste, Denoël, Paris, 2002, pp. 155-203.
(5) Voir par exemple Bruno LEMAIRE et Bruno DECROOCQ, Microsoft pris dans la toile... chronique d’une mort annoncée, ADULLACT, février 2004, 19 p, http://www.adullact.org/article.php3?id_article=185
(6) Dominique Cardon et Fabien Granjon, « Les mobilisations informationnelles dans le mouvement altermondialiste », colloque du GERMM les mobilisations altermondialistes, Paris, 3-5 décembre 2003, 26 p., http://www.afsp.msh-paris.fr/activite/groupe/germm/progcoll031203.html
(7) Donatella Della Porta « Democracy in movement : organizational dilemma and globalization from below », Colloque GERMM les mobilisations altermondialistes, Paris, 3-5 decembre 2003, 27 p. http://www.afsp.msh-paris.fr/activite/groupe/germm/progcoll031203.html
(8) Sur les techniques de l’action non violente voir le site de la Ruckus Society - http://www.ruckus.org -et sur l’explicitation du rôle des groupes d’affinités le site d’Act-Up New York : http://www.actupny.org. Pour une analyse du mode de fonctionnement par groupe d’affinités dans les manifestations altermondialistes voir Francis Dupuis-Déri, « Manifestation altermondialisation et groupes d’affinités. Anarchisme et psychologie des foules rationnelles », colloque du GERMM les mobilisations altermondialistes, Paris, 3-5 décembre 2003, 18 p. http://www.afsp.msh-paris.fr/activite/groupe/germm/progcoll031203.html
(9) Tim Jordan, S’engager ! Les nouveaux militants, activistes, agitateurs..., Autrement, Paris, 2003 (première édition en anglais 2002), pp. 63-65.
(10) Jeremy Scahill, « The New York Model : Indymedia and the Text Message Jihad », Democracy Now !, septembre 2004. www.democracynow.org
(11) Christophe Aguiton, Le monde nous appartient, 10/18, Paris, 2003.
(12) En fait, le premier rassemblement d’importance contre le G7 remonte à 1984. Il avait été organisé à Londres par l’ONG The Other Economic Summit. Gustave Massiah, « Le G8, un club de riches très contesté », Le Monde Diplomatique, 2003.
(13) Une enquête quantitative menée lors du G8 d’Evian établit que questionnaire 72 % des personnes interrogées ne participent pas à une organisation et 62 % sont venus avec des amis. Marko Blander et Isabelle Sommier, « Le contre-sommet du G8 d’Evian : éléments pour une sociographie des militants altermondialistes », », colloque du GERMM les mobilisations altermondialistes, Paris, 3-5 décembre 2003, 16 p. http://www.afsp.msh-paris.fr/activite/groupe/germm/progcoll031203.html
(14) Voir Caroline Datchary et Julie Pagis, « Regard croisés sur la constitution de trois réseaux altermondialistes », colloque du GERMM les mobilisations altermondialistes, Paris, 3-5 décembre 2003, 17 p. http://www.afsp.msh-paris.fr/activite/groupe/germm/progcoll031203.html
(15) Pour un récit détaillé du déroulement du Village Intergalactique voir Génération altermondialiste, Syllepse, 2003, 173 p.
(16) Les différentes positions sur cette question sont exprimées dans l’ouvrage Où va le mouvement altermondialisation ?, La découverte, Paris, 2003, 127 p. La charte du forum social mondial et des informations sur son origine sont publiées sur le site : www.forumsocialmundial.org.br
(17) Pour une présentation du réseau mondial des mouvements sociaux voir : www.movsoc.org
(18) Lors du FSE 2003 de Paris-St Denis, cette position a été présentée dans le cadre de la plénière sur le processus des forums sociaux par Marie-Laure Geoffray membre du Réseau Intergalactique. Le texte de son intervention est disponible ici : http://www.intergalactique.lautre.net/article.php3?id_article=121
(19) L’intégralité du texte d’ Hakim Bey, TAZ Zone d’Autonomie Temporaire, est disponible en traduction française sur le site des éditions de l’éclat : http://www.lyber-eclat.net/lyber/taz.html