L’altermondialisme est d’abord confronté à l’évolution de la situation internationale et à celle de la mondialisation capitaliste. La crise financière de 2008 a montré les formes d’épuisement du néolibéralisme et la fragilité du capitalisme financier. La prise de conscience écologique, notamment sur le climat, a montré les limites du capitalisme et du productivisme. Les politiques de sortie de crise, l’endettement et les plans d’austérité ont exacerbé les inégalités et la défiance envers les politiques. A partir de 2011, les insurrections ont éclaté dans des dizaines de pays ; des millions de personnes ont occupé les rues et les places publiques. On retrouve partout les mêmes mots d’ordre : le refus de la pauvreté et des inégalités, le rejet des discriminations, les libertés et le refus des répressions, la revendication d’une démocratie à réinventer, l’urgence écologique. Et partout, un nouvel enjeu, le refus de la corruption, le rejet de la fusion des classes politiques et des classes financières qui annule l’autonomie du politique et entraîne la méfiance des peuples par rapport aux instances du politique. Ces mouvements n’étaient pas contradictoires avec les forums sociaux mondiaux mais ils ne s’y sont pas reconnus.
Dès 2013, alors que se poursuivent les nouveaux mouvements, commencent les contre révolutions avec la montée des idéologies racistes, sécuritaires, xénophobes ainsi, qu’avec la vague des guerres décentralisées. Le néolibéralisme durcit sa domination et renforce son caractère sécuritaire appuyé sur les répressions et les coup-d’état. Les gouvernements réactionnaires ont pris le pouvoir dans plusieurs pays. Les mouvements sociaux et citoyens se retrouvent en position défensive. Les résistances sociales, démocratiques, politiques, idéologiques s’imposent.
À la croisée des chemins
Il nous faut revenir à la situation pour prendre la mesure des conséquences d’une période de contre-révolutions. Plusieurs contre révolutions conservatrices sont en cours : la contre révolution néolibérale, celle des anciennes et nouvelles dictatures, celle du conservatisme évangéliste, celle du conservatisme islamiste, celle du conservatisme hindouiste. Elle rappelle que les périodes révolutionnaires sont généralement brèves et souvent suivies de contre révolutions violentes et beaucoup plus longues. Mais, les contre-révolutions n’annulent pas les révolutions et le nouveau qui a explosé continue de progresser et émerge, parfois longtemps après, sous de nouvelles formes.
Le durcissement des contradictions et des tensions sociales explique le surgissement des formes extrêmes d’affrontement. En perdant l’alliance avec les classes moyennes et certaines couches populaires le néolibéralisme tourne le dos à une option démocratique, même relative ; il s’engage dans une version austéritaire, mêlant l’austérité à l’autoritarisme et développe une violence d’Etat agressive. On assiste à une paupérisation relative liée à la montée de l’insécurité qui peut expliquer l’écoute des discours nationalistes et extrémistes. Mais, il y a aussi une autre raison à la situation, ce sont les angoisses liées à l’apparition d’un nouveau monde. C’est ce que représentent sous différentes formes Trump aux Etats Unis, Bolsonaro au Brésil, Orban en Hongrie, Modi en Inde et Duterte aux Philippines, …
Quels sont les changements profonds qui construisent le nouveau monde et qui préfigurent les contradictions de l’avenir. Nous pouvons identifier cinq mutations en cours, des révolutions inachevées dont nous percevons déjà les premiers bouleversements. La révolution des droits des femmes remet en cause des rapports de domination millénaires. La révolution des droits des peuples, la deuxième phase de la décolonisation, après l’indépendance des Etats, met en avant la libération des peuples et interroge les identités multiples et les formes de l’Etat-Nation. La prise de conscience écologique est une révolution philosophique, celle qui repose l’idée d’un temps fini. Le numérique renouvelle le langage et l’écriture et les biotechnologies interrogent les limites du corps humain. Le bouleversement du peuplement de la planète est en cours ; les migrations sont un des aspects d’une révolution démographique mondiale.
Il y a plusieurs bouleversements en cours, des révolutions inachevées et incertaines. Rien ne permet d’affirmer qu’elles ne seront pas écrasées, déviées ou récupérées. Mais rien ne permet non plus de l’affirmer. Elles bouleversent le monde ; elles sont aussi porteuses d’espoirs et marquent déjà l’avenir et le présent. Pour l’instant, elles provoquent des refus et des grandes violences.
Le Forum Social Mondial n’a pas été absent de ces nouveaux enjeux, mais il n’a pas été capable de les fédérer. Il a amorcé une démarche stratégique, à son apogée, au Forum Social de Belém en 2009. Il avait mis en avant l’articulation entre la résistance, le refus de la financiarisation et de la dérive austéritaire, d’une part, et l’alternative de l’autre, la transition écologique, sociale et démocratique. Mais il n’a pas proposé de traduction politique aux défis de cette nouvelle période.
Regarder vers l’avant
Le Forum social mondial reste un espace de rencontre des mouvements qui se reconnaissent dans l’altermondialisme. Il n’est plus le lieu central de l’alternative mais il y participe. De nouveaux mouvements ont émergé et de nombreux mouvements se sont repliés sur des espaces nationaux. Le débat porté par certains mouvements qui voudraient s’engager dans une politique plus offensive est légitime. Les FSM sont très insuffisants même s’ils sont encore nécessaires. C’est pour l’instant un espace où les mouvements confrontent leur stratégie à l’échelle internationale et s’interrogent sur la dimension internationale de leur stratégie. L’altermondialisme est né de la convergence des mouvements sociaux et citoyens et des réseaux internationaux de mouvements. Une nouvelle phase du mouvement altermondialiste est à inventer.
Le mouvement altermondialiste met en avant le respect de la diversité des mouvements. C’est ce que signifie l’intersectionnalité qui ne se limiterait pas aux rapports entre classes, genres et origines. L’évolution des mouvements est aussi à interroger. Dans les forums sociaux, le débat a été engagé sur l’ongéisation des mouvements et la différenciation avec les mouvements de mobilisations. Des changements culturels considérables sont à l’œuvre qui vont marquer le mouvement altermondialiste. Particulièrement, les nouvelles formes générationnelles d’engagement et les changements dans le rapport individuel/collectif
Le mouvement altermondialiste rappelle que la transformation de chaque société ne peut pas être envisagée en dehors du changement du monde. Il s’appuie sur un droit international construit autour du respect des droits fondamentaux. Il propose, en lieu et place d’une définition du développement fondée sur la croissance productiviste et les formes de domination, une stratégie de la transition écologique, sociale, démocratique et géopolitique.
La stratégie interpelle l’articulation du local au global. Le local implique la liaison entre les territoires et les institutions démocratiques de proximité. Le niveau national implique la redéfinition du politique, de la représentation et de la délégation dans la démocratie, le renforcement de l’action publique et le contrôle démocratique du pouvoir d’Etat. Les grandes régions sont les espaces des politiques environnementales, géoculturelles et de la multipolarité. Le niveau mondial est celui de l’urgence écologique, des institutions internationales, du droit international qui doit s’imposer par rapport au droit des affaires, de la liberté de circulation et d’installation et des droits des migrants.
La démarche proposée est de partir de la stratégie des mouvements sociaux et citoyens. De proposer à tous les mouvements, et aux réseaux internationaux de mouvements, de définir leur stratégie par rapport aux changements et aux ruptures qui caractérisent la situation actuelle et de mettre en évidence la dimension internationale de ces stratégies. Cette démarche lancera la nouvelle phase de l’altermondialisme.
Gustave Massiah
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