Certains croient en la génétique un peu comme un enfant de 7 ans croit au Père Noël : quelque part, le gamin sait qu’il n’existe pas, mais ne le dit pa par peur de ne pas recevoir ses cadeaux. Le président Sarkozy, certain membres du gouvernement et une majorité à l’Assemblée nationale et au Sénat font pareil : ils savent sans doute, au fond d’eux-mêmes, que la génétique n’explique pas tout, mais ils font semblant d’y croire pour faire passer l’amendement Mariani, texte irréaliste et xénophobe, même dans sa dernière version.
A l’heure où le Congrès américain va voter - enfin - une loi fédérale protégeant la nature fondamentalement privée de l’information génétique d’une personne, le Parlement français a balayé d’un revers de main ses propres lois de « bioéthique » qui servent de modèle à de nombreux analystes anglo-américains. Ainsi, George Annas, professeur reconnu de droit de la santé à l’université de Boston, s’en inspira lorsqu’il présenta, en 1995, devant le Congrès américain le premier projet de loi destiné à protéger l’information génétique nominative, et a dû attendre douze ans avant la promulgation, cette année, du Genetic Information Non-Discrimination Act (Gina) par la Chambre des représentants (pas encore approuvé par le Sénat). Annas assimile l’information génétique d’une personne aux données d’un journal intime qui concernent non seulement cette personne, mais aussi ses ancêtres et ses descendants ; cette information constitue ainsi le véritable noyau de l’intime d’une personne et nécessite donc la plus stricte des protections, à savoir l’accès autorisé seulement par la personne en question et son médecin. Gina intègre quelques propositions de George Annas, par exemple l’accès à l’information génétique interdit aux employeurs potentiels et aux assureurs.
Autre chercheuse américaine de renom, la juriste et sociologue Dorothy Nelkin consacra une large part de son travail à une valorisation-vulgarisation scientifique des connaissances en biogénétique qui mettait en garde la société américaine contre le « gène comme icône ».
George Annas, Arthur Caplan ou encore Alta Charo (ancien membre du comité d’éthique de Clinton) et d’autres chercheurs américains constateront avec tristesse l’entrave à la vie privée poursuivie par le Parlement français. Parce qu’en effet, il s’agit d’une procédure déjà engagée par l’ancien ministre de l’Intérieur lors de son séjour Place Beauvau. Avec la promulgation de la loi nº 2003-239 du 18 mars 2003 art. 29, la possibilité pour la police de prélever, analyser et stocker l’ADN d’un individu, acte autrefois réservé aux seuls suspects de meurtres et de crimes sexuels, fut étendue à tout suspect de tout crime ou délit risquant une peine minimum de trois ans de réclusion. De plus, son ADN peut rester fiché durant quarante ans. Ainsi, au moment où les Etats-Unis tempèrent un tant soit peu leur engouement pour le « tout-génétique », la France y entre allégrement, sans débat de société et par un amendement si mal préparé que d’anciens Premiers ministres (Fabius, Balladur, Jospin et Villepin) signent la même pétition pour exprimer leur rejet. Même dans la version remaniée de la loi sur la maîtrise de l’immigration, l’esprit des lois françaises de bioéthique est désormais altéré.
Dans l’attente de la révision de ces lois prévue en 2009, espérons qu’une réaction de la société civile s’intensifie et se poursuive, tel le rassemblement de personnes de tout bord pour signer la pétition lancée par Charlie Hebdo et SOS Racisme. Et que de nouveaux projets de lois auxquels sont attachés de tels amendements iniques et contraires au respect de la dignité humaine de la personne, qu’elle que soit son origine ou son statut d’immigré ou pas, ne voient plus jamais le jour au sein du Parlement français.