Du fait de la grande mobilité des personnes qui caractérise notre société moderne, la question de l’étranger dans ses rapports familiaux est devenue d’une actualité brûlante, et oblige les pays européens à confronter sur le plan du droit les oppositions, non seulement entre les divers modèles familiaux, mais aussi entre les systèmes étatiques en présence. Qu’il s’agisse de mariage, de polygamie, de répudiation, de filiation ou de succession, l’Europe s’interroge, en effet, sur l’évolution des sociétés traditionnelles, l’impact du religieux, les valeurs véhiculées par d’autres systèmes culturels, le respect des grands principes fondamentaux (comme l’égalité entre le mari et la femme), ou la question des discriminations.
A première vue, chacun pourrait croire que, dans ce domaine des relations concernant la personne, que l’on appelle « statut personnel », le droit serait identique pour tous sur un même territoire. Il n’en est rien. D’abord, si la plupart des droits connaissent la catégorie statut personnel, son contenu diffère selon les Etats : en France, seules les relations d’ordre personnel font partie du statut personnel ; en Allemagne, en Espagne et en Italie s’y ajoutent les relations patrimoniales, incluant les régimes matrimoniaux et les successions. Les pays de la Common Law en ont une conception très étroite. Les pays musulmans, où le statut de la personne est lié à la religion, incluent dans la notion les relations patrimoniales des époux, les successions et les libéralités.
Ensuite, la gestion de toutes relations entre personnes privées se complique singulièrement lorsqu’elles sont considérées à l’international, puisque chaque Etat fait appel à un droit international privé de la famille qui lui est propre, et soumet le statut personnel à une loi qui ne variera pas selon que la personne se trouve de façon temporaire dans un pays ou un autre. Si le statut personnel est, dans son principe, le plus souvent rattaché à la loi nationale de la personne, comme en Belgique, en Allemagne, en France, aux Pays-bas, au Luxembourg, en Italie et en Grèce, ou à la loi de son domicile, comme en Grande-Bretagne, à Malte, dans les pays de la Common Law et dans les pays scandinaves, certains Etats donnent le choix entre la loi personnelle et la loi du domicile de l’individu, comme en Espagne, ou encore laissent une place privilégiée à la religion, comme en Egypte et au Liban. On notera que, dans l’île de Mayotte, le citoyen français de religion musulmane, s’il n’a pas opté pour le statut civil de droit commun, reste soumis au statut personnel local, qui autorise la polygamie et méconnaît la filiation naturelle. Sans omettre qu’une grande partie des traités internationaux privilégient la loi de la résidence habituelle par souci d’appliquer à la personne la loi qui lui est la plus proche.
De ce fait, des règles sont parfois connues dans un droit national mais inconnues dans un autre. Par exemple, le mariage par procuration, reconnu au Portugal, est interdit en Croatie ; la répudiation, qui permet au mari de rompre unilatéralement le lien conjugal, est méconnue des droits occidentaux. Si bien que le juge doit procéder à l’identification de l’institution : par exemple, en France, il assimile la répudiation à un divorce. Puis, une fois cette qualification effectuée, il applique la loi se rattachant à la situation. On comprend dès lors qu’il peut s’agir d’appliquer une loi étrangère, une loi qui autoriserait un mariage avant 18 ans, une loi qui interdirait l’adoption, ou qu’il peut s’agir de faire produire des effets à des droits acquis à l’étranger sans fraude, comme la polygamie ou la répudiation.
Dans la recherche d’une solution à ces conflits de lois, le juge peut se retrancher derrière l’ordre public pour écarter une loi étrangère ou refuser de reconnaître une situation qui heurterait les critères de protection des droits de l’homme et des libertés fondamentales : effet plein ou effet atténué de l’ordre public, ordre public de proximité, comme en témoignent de nombreux exemples tirés du droit international.
La loi portugaise, qui permet le mariage d’un garçon à 16 ans, est ainsi contraire à l’ordre public français, et l’officier d’état civil ne peut célébrer ce mariage, sous peine de son annulation par les tribunaux français. De même, la loi marocaine, qui interdit le mariage d’une musulmane avec un non-musulman, est évincée au nom de l’ordre public international lorsque le mariage a lieu en France, en Allemagne, aux Pays-Bas, en Belgique. Respect de la liberté de conscience de chacun, mais qui a son revers : le mariage ne sera pas reconnu au Maroc.
Divergence aussi entre les Etats qui reconnaissent le mariage polygame et ceux de tradition monogame : ces derniers interdisent la célébration de ces mariages sur leur territoire, et les frappent de nullité lorsqu’une de leurs ressortissantes en contracte un avec un homme dont la loi nationale autorise cette forme d’union. Mais, contracté à l’étranger, par application de l’effet atténué de l’ordre public, ce mariage peut produire des effets – des droits alimentaires, des droits successoraux à la seconde épouse – dans un Etat qui prohibe la polygamie.
En Europe, la jurisprudence est également abondante sur la question de la reconnaissance d’une répudiation prononcée au Maroc, en Algérie, au Pakistan ou au Mali. En France, depuis les cinq arrêts du 17 février 2004, aucun effet n’est plus reconnu à cette forme de divorce, en se fondant sur le principe d’égalité des sexes, la Convention européenne des droits de l’homme et donc sur l’ordre public international français. La répudiation n’est plus reconnue du fait de la proximité qui existe avec l’ordre juridique français lorsque la famille, voire la seule femme, réside en France. Néanmoins, il reste une ombre à cette évolution : pour les femmes vivant à l’étranger, si les conditions de régularité internationale sont remplies, la répudiation prononcée par leur époux, dans un pays qui l’admet, est reconnue sur le sol français.
Finalement, le statut personnel renvoie à la multiplicité et à la complexité des textes juridiques internes, internationaux et européens. Il n’y a pas à ce jour une harmonisation, encore moins une uniformisation du statut personnel en Europe applicable aux populations étrangères. Mais on fait de plus en plus appel à la Convention européenne des droits de l’homme. Cela oblige le juriste à rechercher en permanence un équilibre entre le respect des spécificités personnelles et familiales de chacun et la place réservée aux droits fondamentaux de la personne.