Un vent de révolte. Une semaine après la révolte des parents d’élèves de la rue Rampal contre l’arrestation d’un grand-père sans-papier, les affrontements de mardi 27 mars à la Gare du Nord témoignent de la vitalité de la résistance à la logique libérale-sécuritaire. Dans un cas comme dans l’autre, de simples citoyens se sont d’abord rassemblés pour tenter de contrer une action qu’ils considéraient comme injuste : l’arrestation d’un voisin sans-papier, les coups qui pleuvent sur un jeune homme à terre. Spontanée et immédiate, ces résistances relèvent d’une simple solidarité humaine. Poursuivies pendant plusieurs heures, gare du Nord, elles changent de nature : accompagnées de slogans anti-sarkozy, elles expriment, comme lors des révoltes de 2005, l’exaspération d’une frange plus réduite de la population. Ce n’est plus le réflexe d’insoumission d’une conscience violentée mais une rébellion contre un ordre social abhorré qu’incarne de manière brutale la police.
D’une certaine façon, on peut se féliciter de ces manifestations de résistance. Comme lors des opérations de fauchage d’OGM, pour de nombreux citoyens la désobéissance peut-être légitime lorsque le légal et le juste ne se confondent s’opposent. La manière dont les individus engagent leur corps, témoigne aussi de la radicalisation politique d’une partie de la population. Effarée par le développement de la logique libérale-sécuritaire, le rapport aux institutions est dominé par la défiance. En écho à la vigueur et à la détermination des luttes sociales depuis plus d’une décennie, ces résistances de proximité restent insuffisante pour devenir victorieuse. Comme l’écrivaient il y a quelques mois Lucie et Raymond Aubrac, « Résister c’est oser. Oser, c’est créer. Encore faut-il une feuille de route, établie après l’analyse de la situation ». L’audace des résistances ouvre le champ des possible et pointe la demande politique pour une alternative véritable.
La Racaille, le Kärcher, Rampal, Gare du Nord, même combat ! Nicolas Sarkozy n’est qu’un ministre de l’intérieur, un chantre de la manière forte qui rêve la France en bleu. L’argument principal de son effroyable bilan c’est la suractivité policière : explosion du nombre de mises en examen et d’expulsions de sans-papiers mais aussi innombrables innovations techniques et institutionnelles pour étendre le champ et l’efficacité d’une inquiétante puissance prétendument protectrice. Son arme politique de prédilection c’est l’agitation démagogique des divisions entre ceux d’en bas : l’identité nationale contre l’immigration (plus ou moins assimilées aux « clandestins ») ; la France qui travaille contre celle, forcément, qui ne travaille pas (les profiteurs des aides sociales, les fonctionnaires, les chômeurs…) ; la France silencieuse (sage, obéissante..) contre les délinquants, casseurs et voyous de tous poils. Face à tant d’ennemis intérieurs, le citoyen est sommé de tomber tout droit dans l’escarcelle sarkozyste. L’unique carte du chef de l’UMP est maîtresse : l’ordre national. Un ordre qui carbure à la suspicion généralisée et nourrit la phobie de proximité. Une nation qui n’est qu’une réduction du vivre-ensemble à l’entre-soi, sans qualité, sans contours et dont la seule caractéristique est d’être censément moins problématique que son au-delà.
Céder un peu c’est capituler beaucoup. Ce slogan soixante-huitard convient à merveille à l’engrenage libéral-sécuritaire qui avale la gauche de droite. La course au drapeau, à l’encadrement militaire et à la dénonciation de la fraude contribuent à gommer un peu plus les nuances qui subsistent au sein de la la grande coalition potentielle (UMP, UDF, PS). En effet, la dynamique libérale sécuritaire est un processus cumulatif. D’abord, elle bouscule l’agenda politique. La référence à l’ordre, crispé sur la nation, tend à gommer les clivages socio-économiques : riche ou pauvre, tous unis contre la rapine et les incivilités ! La répartition des richesses ou l’utilité sociale de l’activité économique sont des questions qui ne se posent pas. Plus pernicieusement, le libéralisme augmente également la demande d’ordre car, inexorablement, il accroît les enfreintes à la loi : le sentiment d’injustice et les frustrations économiques alimentés par la hausse des inégalités sont des incitations à la transgression ; l’extension du règne de la marchandise accroît le nombre des confrontations individuelles à la violence de l’insolvabilité tout comme les opportunités de ne pas s’y soumettre. Enfin, le chômage et la précarité, en exacerbant la concurrence entre les travailleurs, nourrissent les ressentiments racistes et les tensions sociales qui accompagnent la montée en puissance des actions discriminatoires.
Il n’y a pas de place pour des compromissions libéral-sécuritaires. La spirale ne peut que s’approfondir ou être rompue. Décréter l’urgence sociale ou poursuivre la surenchère répressive, telle est l’alternative. Après les reniements économiques, le ralliement au sécuritarisme et à l’exaltation de la nation de la gauche de droite rendent plus logique que jamais la convergence des forces antilibérales. Sur le plan programmatique, cette convergence est déjà très avancée : pour Bové et Besancenot, sur tous les points essentiels, la fusion est même accomplie. Leurs réponses aux évènements de la rue Rampal et de la gare du nord sont presque similaires. L’idée d’unité fait aussi son chemin. Le ralliement tardif d’Olivier Besancenot à une future union des forces antilibérales comme la disponibilité de José Bové qui fait de ce projet d’unité un fondement de sa candidature suggèrent que ça avance. Dispersée la gauche de la gauche est en train de perdre : sur le plan électoral sans aucun doute, mais peut-être plus encore du fait d’une démoralisation militante. Joey Starr l’a déjà rappé : « dommage que l’unité n’ait été de notre côté ». Cette épreuve ne sera pas fatale, pourvue qu’elle soit salutaire ! Rue Rampal et gare du nord, les résistance crient pour l’alternative.