Portefeuilles ministériels pour les uns (Kouchner, Hirsch, Besson, Jouyet, Bockel, Amara), missions d’études pour les autres, le grand mercato du pouvoir bat son plein. Dernier en date, Jack Lang vient de claquer la porte de la direction du PS afin de « reprendre sa liberté » et... de participer à la commission sur la réforme des institutions. Au-delà du constat du machiavélisme sarkozyen, il convient de s’interroger sur les ressorts de cette opération. En effet, la question est moins de savoir pourquoi Sarkozy a lancé cette offensive que de comprendre les raisons de son succès !
Naturellement, ce phénomène donne une image assez déplorable de la vie politique et des leaders de la gauche, l’attrait pour le pouvoir et les honneurs semblant largement l’emporter sur les convictions. Au PS et ailleurs, on s’indigne de ces « trahisons ». Mais le terme est-il bien approprié ? Peut-on faire l’économie d’une analyse plus profonde ? Il y a, d’abord, les effets glauques de professionnalisation et de la marchandisation de la politique : le retour aux affaires des socialistes semblant pour le moins aléatoire et, en tout cas, renvoyé à un avenir indéterminé, ces passages de la gauche à la droite relèveraient des plans de carrière bien compris de politiciens impatients. Un peu comme le transfert des footballeurs d’un club à un autre... Sauf que, dans ce cas, il ne viendrait à personne l’idée de parler de « traîtrise » !
D’ailleurs, les personnalités concernées jurent, la main sur le cœur, leur attachement aux « valeurs de gauche » : à les en croire, en se mettant au service de Sarkozy, elles n’entendent nullement se renier. Question redoutable : et si c’était vrai ? Et si, finalement, la facilité avec laquelle Sarkozy - qui incarne pourtant une politique de droite « décomplexée », libérale et autoritaire - a orchestré ces transferts avait quelque chose à voir avec la dérive du PS vers la droite, ininterrompue depuis 1983 ? Qu’est-ce qui pourrait bien révulser le notable PS moyen dans la politique de Sarkozy ? La politique sécuritaire ? Mais, au nom de « l’ordre juste », Ségolène Royal nous proposait l’encadrement militaire des jeunes délinquants ! La politique anti-immigration ? N’oublions pas les lois Chevènement et la régularisation « au cas pas cas »... Les cadeaux fiscaux aux riches ? De 1997 à 2002, Laurent Fabius et Dominique Strauss-Kahn avaient déjà allégé la fiscalité sur les stock-options. Les privatisations ? Le gouvernement Jospin avait privatisé plus que ceux de Balladur et de Juppé ! Les attaques contre l’université et l’Éducation nationale ? Ségolène Royal avait mené l’assaut contre la carte scolaire, les horaires des enseignants et Claude Allègre rêvait de « dégraisser le mammouth »... Le mini-traité européen ? Mais, en son temps, la direction du PS avait vanté les mérites du projet de Constitution européenne !
C’est bien là son problème alors que, par ailleurs, elle lorgne vers Blair voire Bayrou : quelle crédibilité peut avoir sa réaffirmation indignée de l’importance du clivage gauche-droite alors que, depuis plus de vingt ans, elle partage sur le fond les mêmes orientations libérales que la droite ?