Christian Picquet
Ils ont décidément renoncé à tout... y compris à remporter les élections législatives. Rien d’étonnant, à dire vrai, pour qui se souvient que ce fut Lionel Jospin et sa majorité qui, en 2001, favorisèrent l’inversion du calendrier électoral, autorisant ainsi une présidentialisation accrue des institutions de la Ve République. Comment, dans ces conditions, les dirigeants socialistes revendiqueraient-ils, à présent, une nouvelle cohabitation, alors que l’instauration du quinquennat et l’alignement de scrutins présidentiel et législatifs avaient précisément eu pour objectif de conjurer ce que les élites considéraient comme un facteur d’instabilité politique majeur ? En dépit des efforts méritoires de François Hollande pour donner le change, ils se contentent donc de faire de la figuration et de sauver les sièges qui peuvent encore l’être... Comme le dit, avec le cynisme qui le caractérise, Dominique Strauss-Kahn, « avec moins de 100 députés socialistes et 500 de droite, la pression physique sera tellement forte qu’il sera difficile de se faire entendre ». Avec de tels arguments en face d’elle, la droite n’a guère de souci à se faire...
Plus que la débâcle qui les menace, plus que l’effondrement idéologique qui a mené leur candidate à l’échec le 6 mai, plus que la faillite morale qui voit aujourd’hui nombre d’éminences issues du mitterrandisme rallier le sarkozysme avec armes et bagages, une seule chose paraît préoccuper les grandes figures de la rue de Solferino : qui dirigera le Parti socialiste pour les cinq années à venir, et qui portera ses couleurs... en 2012 ? Ayant renoncé à retrouver l’Assemblée nationale dans la prochaine législature, Ségolène Royal semble bien décidée à s’emparer du parti pour, comme elle le dit elle-même, poursuivre l’œuvre engagée avec sa désignation, par les adhérents, l’automne dernier.
Elle ne s’interroge évidemment pas sur les raisons pour lesquelles elle se sera montrée incapable de répondre aux attentes des classes populaires, au profit du héraut d’une droite ultralibérale qui put, du coup, surfer sur les angoisses du corps social. Elle se contente manifestement de tirer comme principal enseignement de sa défaite, du point de vue du projet politique qu’elle n’aura cessé d’esquisser, que la mutation blairiste de la vieille social-démocratie française n’aura pas disposé d’un outil aussi performant que ne le fut le New Labour dans la conquête du pouvoir par Tony Blair.
Problème, sur ce créneau, il ne manque pas de réponses concurrentes au sein du PS. Entre la refondation d’un parti organique de la gauche sur une ligne d’adaptation toujours plus accentuée à l’ordre libéral, pour faciliter des alliances ultérieures avec le centre, et la transformation d’emblée du PS en un nouveau centre gauche, à l’occasion d’un processus semblable à celui qui aboutit à la disparition du parti frère italien sous la houlette de Romano Prodi, les options menant à la liquidation du PS d’Épinay et de ses divers liens au mouvement ouvrier sont nombreuses.
Il en va de même sur le terrain de l’aggiornamento programmatique et idéologique. Strauss-Kahn vient, par exemple, de prendre ses rivaux de vitesse en publiant, dans le Nouvel Observateur, son « manifeste de la refondation ». Il n’y va pas par quatre chemins : « Rien n’est tabou : sur le financement des retraites, l’évolution du système de santé, la réforme du marché du travail, la reconfiguration territoriale des services publics, les électeurs potentiels de la gauche attendent de notre part un discours de vérité pour reconstituer notre crédibilité. » Et d’enfoncer le clou, à l’occasion d’un discours prononcé le 2 juin, sur un marché parisien, en s’en prenant à la promesse socialiste d’un Smic à 1 500 euros (pourtant en brut et en fin de législature...)
La dérive à droite du débat politique, amorcée dans la campagne présidentielle, se poursuit et a toute chance de se confirmer au cours de la prochaine période. Plus que jamais, il existe deux logiques contradictoires à gauche et l’urgence est bel et bien à l’affirmation d’une gauche 100 % à gauche.
La gazette des gazettes
François Duval
Le Nouvel Observateur poursuit son opération de promotion de la « refondation » de la gauche et du PS. Semaine après semaine, c’est le rouleau compresseur destiné à liquider les liens ténus qui rattachaient encore ce parti à l’histoire du mouvement ouvrier. Avec toujours le même poncif : en finir avec les « vieilles illusions » et s’ancrer dans le « réel ». Ainsi, l’éditorialiste Jacques Julliard le proclame : « Les temps sont durs pour un aggiornamento intellectuel. S’agit-il de se rapprocher du centre ou de la droite ? Non, il s’agit de se rapprocher du réel. »
Et, quelques pages plus loin, Dominique Strauss-Kahn enfonce le clou : « Faute d’avoir réalisé lors des dix dernières années notre aggiornamento, notre analyse de la société continue de s’inspirer d’une vague lecture marxiste, héritée des années 1960. » Et d’insister : « Osons le dire : notre lecture de la lutte des classes est complètement dépassée. » La conclusion va de soi : s’agissant de la « stratégie d’Épinay » - c’est-à-dire l’Union de la gauche : « Nous devons tourner cette page pour ouvrir un cycle nouveau. » Et encore : « Rendre un avenir à la gauche : voilà l’enjeu. Il faut le faire en regardant le monde tel qu’il est, avec les Français tels qu’ils sont. »
Ils semblent jouer sur du velours. Car, évidemment, qui pourrait prétendre qu’aucun « aggiornamento » n’est nécessaire et qu’il est superflu de se confronter au « réel » ? Cela dit, pour appréhender « le monde tel qu’il est », cette semaine, mieux vaut lire Le Point, notamment l’interview de Noël Forgeard, l’ancien PDG d’Airbus soupçonné de délit d’initié et parti avec 8,2 millions d’euros. Une situation qu’il assume parfaitement : « Ce chiffre est calculé sur la base du salaire annuel de coprésident, soit 2,45 millions d’euros en 2005. Il comprend mes indemnités contractuelles (deux années), la clause dite de « non-concurrence » (2,45 millions), le reste correspond au préavis. » D’ailleurs, « ce sont les pratiques des grandes sociétés ». Et de conclure : « Non, je ne rendrai pas l’argent. Je l’ai eu en toute légalité. » C’est ça, le « réel » !