En multipliant par trois son score de 2002 et en s’installant comme « la clé du scrutin du 6 mai », François Bayrou a, en grande partie, réussi son pari. Mais s’agissait-il vraiment du type de pari que l’on peut réussir seulement partiellement ? En effet, le projet de construire une nouvelle majorité parlementaire, cassant le clivage PS-UMP, dans la foulée de l’élection de François Bayrou, était déjà assez aléatoire. Mais son élimination pose crûment le problème : comment seront élus les futurs députés UDF ? Depuis toujours, les élus « centristes » le sont dans le cadre d’accords avec la droite (aujourd’hui, l’UMP de Sarkozy). C’est bien pourquoi, l’UMP a d’ores et déjà mis sous pression sortants et députés potentiels de l’UDF. Le marché est limpide : où ils se rallient à Sarkozy et l’UMP les soutiendra, ou ils seront systématiquement confrontés à des concurrents UMP. Pour l’instant, Bayrou s’est bien gardé de prendre parti dans le duel Royal-Sarkozy. Mais pourra-t-il longtemps tenir cette position ?
Outre les appels à l’ouverture de Royal et le chantage de Sarkozy, François Bayrou devra aussi, naturellement, tenir compte de ses électeurs du premier tour, surtout s’il entend les conserver. Car si lui-même est, sans l’ombre d’un doute, un politicien de droite, très libéral sur les questions économiques et sociales, l’électorat qu’il vient de rassembler est beaucoup plus hétérogène. Ainsi, selon les études réalisées, 36 % des électeurs de Bayrou avaient déjà voté pour lui en 2002, mais 54 % avaient voté pour l’un des candidats de gauche et seulement 10 % pour la droite. Appelés à se positionner eux-mêmes, 35 % de ces électeurs déclarent se situer à gauche, 32 % à droite et 32 % ni à gauche ni à droite. Ces chiffres suggèrent que, si une partie significative de l’électorat Bayrou entend bien, comme le candidat, effacer le clivage gauche-droite, nombreux sont ceux qui se situent à droite tout en étant inquiet devant Sarkozy. Tout aussi nombreux sont ceux qui, issus de la gauche, ont considéré que, face à Sarkozy, le vote utile était Bayrou plutôt que Royal. Autrement dit, malgré le succès de Bayrou, la cristallisation du centre est loin d’être acquise.