Quelques mots d’abord sur ton parcours politique, tes appartenances partisanes.
J’ai commencé avec les mouvements en 67-68 et je continue aujourd’hui dans le cadre des COBAS. Je n’ai été membre ni du PCI, ni d’un autre parti politique de gauche ou d’extrême-gauche. J’ai participé à des mouvements sociaux de gauche dès 1967. J’ai ensuite assumé la direction de Radio Città futura, la première et plus importante radio d’extrême-gauche en Italie. En 1986-87 j’ai débuté mon activité au sein des COBAS, où je continue aujourd’hui. J’en suis le porte-parole. Ce n’est pas une fonction à pouvoir de décision... Nous avons une assemblée générale qui décide, le comité exécutif national met en œuvre ses décisions et orientations.
En Italie, on voit un remake de politiques frontistes. Autrefois il s’agissait de faire front au fascisme, aujourd’hui c’est contre le libéralisme. Que penses-tu du front anti-Berlusconi ?
On ne peut pas parler de front anti-libéral car le gouvernement Prodi met précisément en œuvre des politiques néolibérales, sur le travail, les services publics, les retraites... Sur certains points, il va plus loin que Berlusconi, le décret de la ministre Lanzillotta est par exemple plus dur que la directive Bolkestein : il prévoit de privatiser les services publics locaux, dans les municipalités. Ce gouvernement privatise les services publics et génère la précarité, comme le précédent ; comme Berlusconi il soutient les privatisations des écoles.
Il y a certes un front contre Berlusconi, mais il ne vise pas le contenu de sa politique, mais son rôle personnel. Pour moi, le danger principal n’est donc pas le retour de Berlusconi.
D’ailleurs la droite et la principale organisation patronale Confindustria, sont favorables au maintien du gouvernement Prodi et ne veulent pas un retour de Berlusconi. Ils considèrent ce gouvernement et sa coalition, comme pouvant mettre plus efficacement en œuvre les réformes qu’ils souhaitent. De plus, ce gouvernement facilite l’intégration progressive dans la coalition au pouvoir de formations de centre-droit d’origine démo-chrétienne.
Les grands perdants dans cette configuration sont les formations de la « gauche politique radicale ». En Italie, on désigne ainsi PRC (Refondation communiste), PdCI (Parti des Communistes Italiens) et Verts, qui ont prétendu qu’en entrant dans la coalition au pouvoir, ils représenteraient mieux les mouvements sociaux et rendraient le gouvernement perméable aux luttes. En fait c’est l’inverse, le gouvernement divise les mouvements depuis le haut.
Les raisons qui ont mené deux sénateurs à s’abstenir étaient-elles assez fondées pour risquer une crise gouvernementale ?
D’abord, la crise n’a pas pour origine l’abstention des deux sénateurs, le maintien du gouvernement ne dépendait pas de leur vote. Même si les deux ne votaient pas avec le gouvernement, la majorité dans le cadre d’un éventuel vote de confiance était atteinte. Le gouvernement pouvait compter sur le vote de sénateurs à vie comme Andreotti et Cossiga, anciens ténors de la DC. Lors du vote sur la reconduction de la mission militaire en Afghanistan, ceux-ci ont fait défection et n’ont pas voté dans le sens du gouvernement. Mais avant le vote, D’Alema avait dramatisé la question : « si on ne gagne pas, si ce décret-loi n’est pas voté, alors le gouvernement démissionnera ». Or il n’était pas forcé d’en faire un vote de confiance.
De toute façon sur la guerre, on ne doit pas faire de concession. Il n’y a pas à transiger, si le gouvernement veut faire la guerre, s’il veut maintenir sa mission avec l’OTAN en Afghanistan, s’il veut tenir ses engagements envers Bush avec l’extension de la base US de Vicenza, alors on ne peut prioriser le danger du retour de Berlusconi, il faut voter contre. C’était un motif en tous points suffisant pour voter NON. Les 2 sénateurs de gauche qui ont été violemment critiqués pour leur NON avaient auparavant voté OUI sur ces questions, par crainte d’un retour de Berlusconi. Mais, sur de tels sujets, c’est l’objet du vote et non le danger hypothétique du retour de Berlusconi qui doit être privilégié.
Le gouvernement Prodi n’est d’ailleurs pas tombé, il est revenu sur demande du président Napolitano, intégrant au passage à sa coalition deux formations du centre-droit d’origine démo-chrétienne. Lors du débat suivant sur le maintien de la présence militaire en Afghanistan, le gouvernement Prodi a bénéficié non seulement des votes de sa coalition, mais aussi de votes de droite, en particulier de l’Alliance nationale. L’épouvantail Berlusconi a donc été agité pour faire peur. Une conséquence de cette crise est la fermeture des espaces de discussion et de négociation entre gouvernement et mouvements sociaux. Le gouvernement Prodi bis est devenu imperméable à ceux-ci.
Comment vois-tu la manière d’affronter cette crise et la reconfiguration du gouvernement Prodi bis ?
Le gouvernement Prodi bis a présenté un vrai programme engageant les membres de sa majorité. Avant les élections, il y avait un programme avec certains des 12 points sur lesquels la coalition s’est récemment mise d’accord, mais inclus dans un ensemble plus flou, avec d’autres points et mélangés à des promesses d’améliorations. Maintenant, c’est un programme précis avec 12 points que le gouvernement entend mener à bien et sur lesquels tous les partis de la coalition ont dû s’engager. Ce programme gouvernemental comprend des points contre le mouvement anti-guerre (l’extension de la base US à Vicenza contre laquelle 150 000 manifestant-e-s se sont mobilisés avant la crise et le maintien des troupes en Afghanistan...) et contre le mouvement anti-TGV du val de Suse. La refonte des retraites y est aussi en bonne place.
Ce programme est un défi aux mouvements sociaux. Toutes les formations de la coalition, y compris les formations de la « gauche politique radicale », doivent pourtant formellement s’engager à le réaliser. Celles-ci ont sans conteste essuyé une défaite. Pour le mouvement, les choses seront plus difficiles mais plus claires et ça crée un espace pour développer un mouvement résolument anticapitaliste.
Est-ce que cela aura des répercussions sur l’avenir de la « gauche radicale » ?
Les difficultés pour les mouvements sont apparues en 2004 quand la « gauche politique radicale » a estimé qu’« à eux seuls les mouvements ne sont pas suffisants pour conquérir des changements sociaux ; il faut créer une nouvelle situation politique, aller au gouvernement pour y relayer les mouvements sociaux ». La discussion du programme était secondaire, le problème principal immédiat c’était chasser Berlusconi.
Avec cette décision de la gauche politique radicale d’aller vers un accord gouvernemental, les problèmes ont commencé pour les militant-e-s des mouvements sociaux. Les mouvements locaux, comme à Vicenza contre l’extension de la base US ou celui du val de Suse contre le TGV, n’ont pas trop souffert et ont pu continuer à mobiliser. Il n’en va pas de même par contre des mouvements sociaux nationaux. De nombreux militant-e-s liés aux formations gouvernementales y sont actifs. Or nombre d’entre eux-elles défendent inconditionnellement le gouvernement sur toutes les questions en jeu. Les mouvements sociaux nationaux sont donc très divisés.
Bien sûr, il y a aussi des conséquences pour les formations de gauche au sein de la coalition. Les formations de la « gauche politique radicale » et une partie de la gauche du parti social-démocrate DS (Démocrates de gauche) vont maintenant chercher à se regrouper, au sein de la coalition, pour faire contrepoids aux formations de la Marguerite (en particulier démo-chrétiennes) et de la majorité de DS, qui envisagent ensemble un nouveau Parti Démocratique. Les formations de la « gauche politique radicale » vont ainsi essayer de créer un nouveau rassemblement dans le cadre d’un bipartisme à l’américaine, un ensemble bien plus social-démocrate que socialiste.
A court ou moyen terme la gauche radicale voit-elle sa capacité de mobilisation réduite ?
La gauche radicale des mouvements doit décider ce qu’elle fait dans cette nouvelle situation. Un réel espace s’est créé pour une gauche anticapitaliste. Comme déjà dit, la situation est plus difficile, mais plus claire. Les contradictions les plus aigües auront trait à la guerre. Partout où les décisions du gouvernement s’attaqueront de front aux mouvements locaux, les répercussions et contradictions seront aussi très fortes.
Par contre, dans un premier temps nous aurons des difficultés au plan national. Ainsi la manif contre la décision de rester en Afghanistan a mobilisé 30 000 personnes. Elle a été boycottée par les formations de « gauche politique radicale » au gouvernement. Tous ensembles, comme par le passé, nous aurions réuni 100 à 200 ?000 personnes. Cette division prétérite donc les mobilisations nationales.
Cependant, les partis de la « gauche politique radicale » participant à la coalition auront aussi de fortes difficultés. On verra toujours plus que leur présence dans la coalition ne pousse pas le gouvernement plus à gauche. Ces formations ont d’ailleurs compris que les mouvements sociaux créeront des difficultés au gouvernement Prodi et à sa coalition, elles le craignent et tentent de le prévenir.
Certains militant-e-s des formations de la coalition ont des problèmes de conscience, mais d’autres, surtout les nouveaux venus, sont désormais entrés dans les institutions. La coalition Prodi gère 17 régions sur 20, à tous les niveaux, national, régional, provincial, local, ça signifie des postes et carrières pour des milliers de gens. Les dirigeants de la « gauche politique radicale » ont été aspirés à des postes officiels bien payés, leur avenir est assuré. Mais dans ces formations, des contradictions se développeront avec les militant-e-s qui ne participant pas à la chasse aux postes.
As-tu encore des remarques générales, sur la situation du syndicalisme de base, en particulier les Cobas, dont tu es porte-parole ?
Je crois que l’équilibre actuel ne durera pas car il est précaire. Quant aux COBAS, nous continuerons à travailler pour le mouvement et ferons tout pour rester indépendants du gouvernement. La question décisive c’est comment créer une nouvelle gauche anticapitaliste, qui ne soit ni un parti, ni une organisation unique, monolithique. Y répondre est une priorité.
La question syndicale se pose aussi dans des conditions plus difficiles : le gouvernement durcit sa position et s’attaque aux droits syndicaux. De plus, pour fermer les espaces démocratiques, le gouvernement peut tabler sur les liens de formations de sa coalition avec la CGIL, principale centrale syndicale italienne. Ainsi le gouvernement s’attaque au droit des COBAS d’organiser des assemblées sur les lieux de travail sur les questions liées aux conventions collectives. Nous sommes face à des attaques dures du gouvernement, relayées par la CGIL. Celle-ci va jusqu’à menacer d’exclusion ses syndiqués qui manifesteraient ou feraient grève avec les COBAS ! Les pressions gouvernementales sur les syndicats créent une situation répressive, menaçant les droits essentiels des travailleurs-euses.
Mais un point du programme Prodi bis posera problème, non seulement aux COBAS mais à tout le mouvement syndical, c’est la refonte des retraites. Ce point sera très controversé y compris à la CGIL. Les organisations officielles préparent déjà des contre-feux, en disant « vous allez perdre 30 % de votre retraite » et quand la réduction ne sera « que » de 10%, elles diront « finalement, ce n’est pas si mal, on a limité les dégâts ».
Pour affaiblir les mouvements syndicaux et de base, le gouvernement joue aussi la peur. Sa propagande lie mobilisations syndicales de masse et recrudescence du « terrorisme ». Les médias parlent sans cesse de violence et à chaque manif prédisent des incidents. Mais à Vicenza comme à Rome lors de la manif contre le maintien de l’armée italienne en Aghanistan, il n’y en a eu aucun. Les COBAS se démarquent clairement de l’utilisation de la violence. Mais le gouvernement fait des amalgames : quand on accuse une formation de trahir ses engagements, l’usage de « trahir » est déjà pris comme de la violence. Ou encore si des manifestant-e-s brûlent des pancartes représentant des soldats US ou israéliens, ils sont présentés comme violents et incitant à brûler pour de vrai des soldats !
Situation difficile, face à un gouvernement se présentant comme une alternative à Berlusconi, mais qui met en œuvre les mêmes politiques néolibérales, parfois plus durement encore, qui ferme les espaces d’expression et attaque les droits des mouvements sociaux. On a été surpris de la rapidité du tournant gouvernemental de formations de « la gauche politique radicale », cependant la situation aujourd’hui plus claire favorisera des regroupements de mouvements sociaux de la gauche radicale.