Quelques dixièmes de degré de plus : quelle importance ? En rendant, vendredi 30 octobre, le rapport de synthèse des offres de contribution des principaux Etats émetteurs de gaz à effet de serre, la Convention-cadre des Nations unies sur les changements climatiques (CCNUCC) a suscité des réactions contrastées. L’annonce que la somme des efforts promis par la communauté internationale mettait l’atmosphère terrestre sur la voie d’un réchauffement de 3 °C environ a même été accueillie par certains comme un soulagement.
Si elle a admis que le compte n’y était pas pour rester sous le seuil des 2 °C de réchauffement, Christiana Figueres, la secrétaire exécutive de la CCNUCC, a ainsi immédiatement ajouté que les contributions annoncées jusqu’à présent permettaient d’anticiper un réchauffement « beaucoup plus bas que les quatre ou cinq degrés de réchauffement, voire davantage, projetés avant les contributions » – c’est-à-dire sans aucune politique de réduction des émissions.
Reste que, comme le dit le climatologue Robert Vautard, chercheur (CNRS) au Laboratoire des sciences du climat et de l’environnement, « entre un monde plus chaud de 2 °C et un monde plus chaud de 3 °C, la différence est très importante ».
« L’été 2003 deviendrait un été normal »
Par exemple, selon de récents exercices de modélisation cités par M. Vautard, une augmentation de 2 °C de la température moyenne mondiale pourrait conduire à ce que des vagues de chaleur comparables à celle de l’été 2003 se produisent en moyenne une fois tous les quatre étés. Avec un degré de plus, ajoute M. Vautard, « on pourrait passer à une situation dans laquelle un été comme celui de 2003 devient un été normal, puisqu’il pourrait survenir presque une fois sur deux ».
Sur la France métropolitaine, l’été 2003 était caractérisé par une anomalie (c’est-à-dire l’écart par rapport à un été situé dans la norme) de +3 °C environ. Dans un monde réchauffé de 2 °C par rapport à la période préindustrielle, un été caniculaire aussi rare que celui de 2003 pourrait présenter une anomalie chaude comprise entre +4 °C et +5 °C. Avec un degré de plus de température moyenne mondiale, l’anomalie d’un été aussi singulièrement chaud pourrait être d’environ +6 °C… En France, des effets analogues sont anticipés pour la fréquence et l’intensité des sécheresses, notamment dans le sud méditerranéen.
Des « points de bascule »
Au niveau global, la réaction du système climatique au réchauffement est caractérisée par la survenue d’effets dits « non linéaires » – des effets de grande magnitude déclenchés par le franchissement de certains seuils de température. Pour illustrer ce type de phénomènes, le climatologue Jean-Pascal van Ypersele, professeur à l’Université catholique de Louvain (Belgique) prend l’image d’un bloc de glace dans une chambre froide. « Lorsque la température passe par exemple de – 2 °C à – 1 °C, vous ne constatez rien de très particulier, explique-t-il. Mais si la température se réchauffe un tout petit peu plus pour dépasser 0 °C, alors vous voyez le bloc de glace se mettre à fondre… »
L’un des « points de bascule » du système climatique les plus étudiés est celui au-delà duquel la calotte de glace du Groenland serait condamnée, à terme, à disparaître presque entièrement. Un tel processus prendrait plusieurs siècles mais élèverait au total le niveau des océans de quelque 7 mètres. Un réchauffement de 3 °C changerait-il totalement la donne, par rapport à un réchauffement de 2 °C ?
Dans une étude publiée en 2006, Jonathan Gregory (université de Reading, Royaume-Uni) et Philippe Huybrechts (Vrije Universiteit Brussel, Belgique) estimaient que ce seuil se situait quelque part entre un réchauffement de 1,9 °C et un réchauffement de 5,1 °C. Depuis, cette fourchette a été revue à la baisse par le dernier rapport du Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC), mais le fait est clair : la probabilité de franchir le seuil de disparition de l’inlandsis groenlandais est beaucoup plus élevée avec un réchauffement de 3 °C, qu’en limitant celui-ci à 2 °C.
Stéphane Foucart