Il a été dit il y a quelques jours dans une émission de télévision sur la dette publique, que si on produit 100 on ne peut pas payer 130. Quelqu’un a émis une objection, disant que si, l’on peut ! Mais c’est évident qu’on le peut. En effet, nous pouvons même payer 140 ou 150. La question est : comment ?
Le patrimoine privé a été effectivement dévalué lors de la crise de 2008 – c’est ce qu’on appelle prendre des risques. Si les Portugais avaient épargné au lieu de consommer, ils auraient vu leurs économies dévaluées, car c’est bien cela qui s’est passé : il y a eu dévaluation réelle de la propriété privée. Mais les nouveaux « entrepreneurs » ne prennent pas de risque : ils ont appelé l’Etat et lui ont demandé d’assumer ces pertes. Et l’Etat a répondu oui. Il a émis la dette, qui est passée de 70% à 130 % du PIB. Pour payer cette émission de dette, il a détruit les salaires et les retraites et a mis en vente le patrimoine public réellement riche et de valeur (privatisations). La dette publique, c’est une entreprise privée qui a fait faillite, dont les profits n’ont jamais été rendus publics, mais dont les pertes ont été immédiatement socialisées – un « communisme rien que pour les riches » en quelque sorte, comme d’aucuns l’ont nommée pour plaisanter.
Avant le « comment ? », nous allons clarifier certaine mesures incontestables : il y a trois ouvrages publiés au Portugal – dont les études n’ont jamais été remises en cause par quiconque – qui expliquent, en détail (y compris les frais de personnel et jusqu’à l’achat de papier ou d’agrafes !) que les Portugais payent tout l’Etat social et que la dette devrait être allouée aux plus values immobilières, aux secteurs bancaires et aux Partenariats Public Privé (PPP). Notre livre (« Qui paye l’Etat social au Portugal ? »), le livre de Carlos Moreno sur les PPP (« Comment l’Etat dépense notre argent »), le livre de Paulo Morais sur la crise (« De la corruption à la crise, que faire ? ») et l’étude également remarquable de Pedro Bingre do Amaral sur les plus values immobilières, prouvent que la dette est une entreprise privée dont l’essence n’a pas de rapport avec les dépenses de la grande majorité des Portugais. On consacre dix minutes d’antenne à ces travaux, mais on donne à entendre pendant douze heures des commentateurs qui n’avancent ni fait ni le moindre argument solide et ont un CV qui se résume à des écrits des blogs et des pages d’opinion. Il n’en reste pas moins vrai qu’un mensonge mille fois répété n’en devient pas pour autant une vérité.
La majorité des Portugais ne sont aucunement redevables à l’Etat et supportent toutes les fonctions sociales. Ce sont eux qui paient 75% de tous les impôts et ils sont donc les créanciers légitimes de l’Etat : l’Etat leur doit les salaires, les retraites, une éducation de qualité, une santé adéquate, la culture et des loisirs.
Passons maintenant au « comment ? ». Si nous supposons un taux de croissance de 2% et un taux d’intérêt réel de la dette de 3,7% (soit un scénario optimiste) et si nous supposons que cette dette se maintiendra aux 128 %, alors le solde primaire devrait être voisin de 2% du PIB. Cela implique que l’Etat devrait dépenser moins de ce qu’il perçoit, l’équivalent de 2% du PIB, encore que, après avoir payé les intérêts, on enregistre un déficit (l’Etat prévoit de dépenser l’équivalent de 4,4% du PIB en intérêts de la dette en 2014). Bien sûr nous avons écrit un scénario imaginaire pour démontrer que même dans des conditions optimales de croissance, ce serait loin de l’être pour tout le monde. C’est pourtant, dans la meilleure des hypothèses, la formule pour perpétuer l’enfer des travailleurs et des retraités portugais. Tant que l’on peut vider les poches des Portugais et le patrimoine public, la dette est payable.
Toutefois, le problème ne s’arrête pas là. Ces messieurs, pour lesquels l’histoire n’existe pas, oublient que, vers 2009, la crise économique mondiale s’est terminée dans les pays les plus riches et ils oublient que depuis les années 20 du 19e siècle, les chocs cycliques se produisent avec des périodes d’environ 6/7 ans. En d’autres termes, d’ici peu, nous allons vivre une autre crise. Jusque là, soit la BCE parvient à augmenter le taux des intérêts de référence d’une façon soutenue aux niveaux de la période antérieure à la dernière crise, ce qui fera que les intérêts de la dette portugaise augmenteront encore davantage, soit nous entrerons dans la prochaine crise sans mécanisme de politique contre-cyclique, c’est-à-dire sans la possibilité d’abaisser le taux d’intérêt pour créer des liquidités et « dynamiser l’économie ». Dans une économie tournée vers les exportations, cela veut dire la paralysie généralisée. Il est aisé de comprendre que pour les travailleurs portugais, quelque soit la politique de la BCE, c’est toujours un enfer à additionner à un autre enfer.
Nous pouvons, à défaut, suspendre la dette publique et placer sous contrôle public le système bancaire et financier, laissant les risques et les préjudices à ceux qui faisaient des affaires. C’est risqué ? Bien sûr, mais c’est encore plus risqué de maintenir cette politique qui va exploser dans moins d’une décennie, emportant le pays et ses jeunes entrepreneurs qui la promeuvent, car la politique d’exportations ne survivra pas à la prochaine crise cyclique.
Nous pouvons reconvertir le Portugal en industrie de guerre, transformer Auto-Europa en fabrique de tanks et un million et quatre cent mille chômeurs en soldats, et alors on paierait 160, 170, tout ce qu’il faudrait. Il suffit de voir la dette des Etats-Unis, qui n’incommode aucun entrepreneur, car elle est assise sur la plus grande industrie de guerre de l’histoire : les EUA ont émergé de la crise en 2009 avec une moitié de la production d’IBM, General Electric et Boeing dédiée, de façon directe ou indirecte à la guerre. Nous ne pouvons pas oublier que le rêve de croissance au Portugal – qui a atteint le taux de 7% et plus- date de 1960 à 1973. Quelques détails au passage – on a expulsé des milliers de paysans vers les villes, on a produit du matériel de guerre, on a mené une guerre contre les peuples d’Afrique pendant 13 ans, on a expulsé un million et demi de personnes par l’émigration forcée, tout en attendant leurs envois de devises en surnombre, dussent-elles dormir au milieu des rats dans des bidonvilles.
De cette façon, c’est sûr que nous pouvons payer !
Nous pouvons même payer davantage, d’autant plus que des jeunes sans la moindre connaissance de l’économie ou de la société continuent d’être la troupe de choc chérie d’un système qui depuis 2008, a répandu la misère et des brochures qui tombent du ciel, qui expliquent en pleine guerre, que « tout va bien, nous allons à la victoire ».
Raquel Varela, Revista Rubra, 21 mars 2014