Dans ce contexte, solidaritéS a invité Michel Briganti, co-auteur du livre « La galaxie Dieudonné : pour en finir avec les impostures », juriste et membre de l’équipe du Centre de recherche, d’information et de documentation antiraciste (CRIDA) à Genève et Lausanne.
Dieudonné est-il antisystème ?
Selon Dieudonné, le système est dominé par les juifs et le sionisme, sources de la crise économique, politique et sociale affectant les populations du monde. Dans son explication antisémite du système, les ressorts du capitalisme et de l’impérialisme sont absents. Il rejoint ses amis de la théorie du complot mettant tout ce qui va mal sur le compte d’une soi-disant « conspiration juive mondiale ». Ce n’est pas un hasard si le geste de la quenelle, prétendu « symbole d’insoumission au système », s’est multiplié devant des lieux liés à la communauté juive, Auschwitz ou l’école Ozar Hatorah de Toulouse…
Ce type d’explication affaiblit le combat anticapitaliste, imputant injustices et guerres à un groupe religieux et non aux grandes puissances capitalistes et impérialistes. Sur ce modèle il a avancé l’idée que le commerce des esclaves était dû aux armateurs juifs, ignorant les dynamiques capitalistes de l’époque, l’esclavage étant en effet un élément essentiel pour les capitalistes anglais amassant ainsi des fortunes pour financer l’industrialisation de l’Angleterre.
Dieudonné a aussi qualifié le mariage gay de « projet sioniste qui vise à diviser les gens », surfant sur l’opposition de l’extrême droite au projet du mariage de personnes de même sexe.
Dieudonné et ses alliés de l’extrême droite et fascistes
Comment Dieudonné pourrait-il être « antisystème » en soutenant, en France et ailleurs, des acteurs politiques opposés à l’émancipation et aux intérêts des classes populaires ? L’homme est en effet lié au Front national, aux milieux antisémites négationnistes et autres courants fascistes.
Les affiches de la liste « Antisioniste » de 2009, avec Dieudonné en tête, ont été imprimées et payées par l’imprimeur historique du FN, Le Rachinel. Cette liste, qui n’a d’antisioniste que le nom, regroupait une galaxie d’extrême-droite et ne faisait peu de cas de la solidarité avec la cause palestinienne. De nombreuses organisations solidaires avec la Palestine ont clairement pris leurs distances avec Dieudonné et sa clique, prouvant qu’on peut être antisioniste, sans être antisémite.
Son ami de longue date et son idéologue, Alain Soral, est un ancien cadre du FN, fondateur du groupe Egalité et Réconciliation, mouvement fascisant qui n’a cessé de multiplier les déclarations contre les immigrés et le mouvement ouvrier. Soral s’inscrit dans la lignée du fascisme mussolinien. Selon lui, prolétaires et patrons sont victimes au même niveau du système capitaliste. Il appelle à l’union des classes populaires et de la bourgeoisie « nationale ».
En pleine affaire Clément Méric (militant antifasciste mort au cours d’une rixe avec un groupe de skinheads d’extrême droite), Dieudonné a publié la vidéo d’un entretien avec Serge Ayoub, chef de l’organisation d’extrême droite Jeunesses nationalistes révolutionnaires, composée surtout de skinheads néonazis, et dissoute après la mort de Clément Méric. Ayoub tente par tous les moyens d’y salir la mémoire du jeune antifasciste, avec l’approbation de Dieudonné.
Au plan international, Dieudonné n’hésite pas à chanter les louanges de plusieurs dictateurs. En 2009, il rencontre Mahmoud Ahmadinejad à Téhéran, qu’il présente par la suite comme un résistant, un « maître quenellier » dans son spectacle Mahmoud. En 2011, au début de la révolte populaire libyenne, il voyage en Libye en soutien à Khadafi. De même, il n’a cessé de manifester son soutien au régime dictatorial des Assad. Les régimes dictatoriaux iraniens, libyens et syriens ont tous poursuivi des politiques néolibérales et ont réprimé les contestations populaires et les partis et individus progressistes.
Par son discours, il détourne la colère légitime d’une part de la population au profit de la classe capitaliste. Ces dérives doivent donc être combattues par les mouvements anticapitalistes, antifascistes et antiracistes.
Non à Manuel Valls aussi !
Les dérives de Dieudonné, et au-delà les phénomènes racistes et fascistes, ne se combattent cependant pas par les circulaires du ministre de l’Intérieur Manuel Valls interdisant à Dieudonné de se produire. Le PS est largement responsable de la montée du racisme et des groupuscules fascistes en France, en poursuivant les politiques néolibérales et racistes des gouvernements précédents. Manuel Valls n’est pas un allié dans la bataille contre le racisme alors qu’il tente de battre les records d’expulsion d’étrangers du gouvernement précédent et a fait des déclarations racistes, contre les Roms notamment.
Nous sommes contre l’interdiction de spectacles de Dieudonné, comme du FN ou de groupes d’extrême droite, leur effet sera de les poser en victimes et de les renforcer. De plus, interdire l’expression d’un individu ou d’un groupe parce qu’on suppose qu’il va tenir des propos condamnables juridiquement est un précédent qui pourra demain être utilisé contre ceux qui critiquent les pouvoirs en place, soit la gauche et les mouvements sociaux.
La seule réponse efficace est de construire un mouvement anticapitaliste et antifasciste unitaire. Rappelons que le racisme est utilisé par les bourgeois pour diviser les classes populaires et les empêcher de s’unir contre leur ennemi véritable, le système capitaliste.
Michel Briganti, entretien avec Joseph Daher