La révolution égyptienne
peut-elle encore réussir ?
Suzan Nada : Elle ne réussira pas sans l’existence d’une classe ouvrière forte. Celle-ci est opprimée depuis des millénaires. Elle est privée ainsi que l’ensemble du peuple égyptien du droit de s’organiser. La révolution ne réussira pas sans la constitution d’organisations par la base. Comme il n’y avait pas de vie politique ou syndicale, les organisations étaient créées autour de certaines personnes qui appelaient les gens à se regrouper autour de leurs idées. Nous, au Congrès permanent des travailleurs d’Alexandrie, notre démarche est inverse : les travailleurs se regroupent et discutent de leurs problèmes et de leurs revendications avant de se structurer.
Ne croyez-vous pas à la capacité de nouveaux partis politiques de porter les revendications sociales ?
Suzan Nada : Il existe des partis de gauche qui ont sur le papier d’excellents programmes. Mais en rejoignant le Front de salut national (créé en novembre 2012 pour s’opposer à la dérive dictatoriale de Morsi), ils se sont interdit de s’allier avec le mouvement social pour ne pas mécontenter leurs partenaires de droite.
Comment jugez-vous
les trois années écoulées
depuis le début de la révolution ?
Suzan Nada : La révolution est passée par trois vagues : la première contre Moubarak, la deuxième contre le Conseil militaire et la troisième contre Morsi et les Frères musulmans. Une quatrième vague ne manquera pas de déferler, une fois que l’euphorie des 98 % pour la Constitution sera retombée. En apparence, la révolution tourne en rond. En fait, elle évolue. Les organisations se multiplient. Les revendications se radicalisent et ont de plus en plus d’écho dans la rue, mais je ne vois pas le pouvoir actuel y répondre.
Pourquoi ?
Suzan Nada : Parce qu’il représente un régime qui redresse la tête et qui a désormais l’illusion qu’il contrôle totalement le peuple égyptien. Il croit qu’il va rétablir sa toute-puissance par les arrestations arbitraires, le retour en force de la sécurité de l’État
et la stigmatisation
des opposants. Il tente de réduire la révolution à un petit nombre de personnalités maîtrisables parce que sans implantation sociale. C’est pour cela qu’il a mis sous les projecteurs le petit groupe de jeunes de Tamarrod, tout comme les médias avaient, en 2011, réduit la première vague de la révolution à la Coordination des jeunes
de la révolution. Mais en s’ancrant dans la société,
la révolution continue.
Entretien réalisé par
Hany Hanna