Les paysans et les paysannes produisent de la nourriture, et non pas du carbone. Et pourtant, si certains des gouvernements et des lobbies qui vont négocier à la Conférence des Nations Unies sur le changement climatique les 21 et 22 novembre à Varsovie parviennent à leurs fins, la terre agricole pourrait sous peu être considérée comme un puits de carbone dont les entreprises polluantes pourront acheter des parts pour compenser leurs émissions nocives.
« Nous sommes absolument contre la politique du marché du carbone pour faire face à la crise climatique, » déclare Josie Riffaud de La Via Campesina. « Transformer les champs de nos paysans en puits de carbone, dont les droits peuvent être vendus sur le marché du carbone, nous éloignera encore de ce qui pour nous est la véritable solution, c’est-à-dire la souveraineté alimentaire. Le carbone de nos fermes n’est pas à vendre ! »
La bourse du carbone a été absolument incapable de s’attaquer aux causes réelles de la crise climatique. Mais cela n’a jamais vraiment été son but. Au lieu de réduire les émissions de carbone à la source, elle a créé un marché lucratif pour les pollueurs et les spéculateurs qui peuvent ainsi acheter et vendre des crédits de carbone tout en continuant à polluer. Et maintenant la pression monte pour faire des terres agricoles un puits de carbone majeur, qui serait soi-disant un autre moyen de contrebalancer les émissions industrielles. Les gouvernements américain et australien, la Banque mondiale et le secteur des grandes entreprises utilisent cet argument depuis longtemps et réclament la création de nouveaux marchés du carbone qui leur permettent d’acheter des compensations carbone basées sur la terre des pays en développement. L’agrobusiness est bien placée pour en profiter et le gouvernements de certains pays en développement espèrent pouvoir en tirer des revenus en cédant leurs forêts, leurs pâturages et leurs terres agricoles aux pollueurs du Nord.
La Conférence-cadre des Nations Unies sur les changements climatiques (CCNUCC) organisée en novembre à Varsovie risque de nous enfoncer encore davantage dans la pagaille du marché du carbone. Marcin Korolec, le ministre de l’Environnement polonais et l’organisateur principal de cet événement, a annoncé avec fierté que pour la première fois des représentants du monde des affaires prendraient part officiellement aux négociations. Il suffit de jeter un œil à la liste des partenaires officiels de la conférence pour voir qu’ils font partie des industries les plus polluantes du monde.
L’agriculture est l’un des principaux responsables du changement climatique, mais Henk Hobbelink de GRAIN précise : « C’est le système alimentaire industriel qui est la cause première de la crise climatique car il promeut l’utilisation lourde des intrants chimiques, l’érosion du sol et la déforestation qui sont indissociables de l’agriculture de plantation en monoculture. Il renforce également la tendance toujours croissante à fournir des marchés d’exportation lointains –. Plutôt que d’encourager cette aberration avec les marchés du carbone, les dirigeants de ce monde devraient soutenir la solution de l’agriculture paysanne et de l’agroécologie. » Les recherches de GRAIN ont montré qu’en appliquant de manière conséquente des pratiques agroécologiques paysannes qui visent à restaurer la matière organique du sol, on pourrait capter entre 24 et 30 % des émissions annuelles de gaz à effet de serre actuelles.
Une semaine après le retour des négociateurs de Varsovie, qui n’auront probablement pas réussi à se mettre d’accord sur des actions efficaces pour lutter contre la crise climatique, la Banque mondiale et les gouvernements hollandais et sud-africain tiendront une conférence internationale à Johannesburg pour promouvoir une « agriculture intelligente face au climat » et former une nouvelle alliance pour la mettre en place.
Mais quand on regarde les propositions présentées, on voit bien que rien ne va changer : de nouvelles semences transgéniques développées par les entreprises de biotechnologie, plus d’engrais et de pesticides chimiques provenant des géants de l’agrochimie et plus de plantations industrielles « bio-intensives ». « L’agriculture intelligente face au climat est devenue le nouveau slogan pour les grandes institutions de la recherche agronomique et les grandes entreprises pour se placer eux-mêmes en position favorable et se présenter comme la solution aux crises alimentaire et climatique, » déclare Pat Mooney de l’ETC Group. « Pour les petits producteurs du monde, cela n’a rien à voir avec l’intelligence. C’est juste une autre manière de les forcer à accepter dans leurs champs les technologies contrôlées par les grandes entreprises et de les priver de leurs terres. »
Dans le même temps, ces mêmes entreprises sont en train de développer d’autres technologies à haut risque, notamment la biologie synthétique, les nanotechnologies et la géo-ingénierie. Les conséquences de ces nouvelles technologies spectaculaires sont mal connues, mais elles ont plus de chances de dévaster notre planète déjà si fragile que de résoudre les crises climatique et environnementale.
Le rôle principal de l’agriculture est de nourrir les populations et de fournir des moyens de subsistance aux petits producteurs du monde entier et ce rôle doit être défendu, explique Elizabeth Mpofu, de Vía Campesina. « Les droits relatifs à nos fermes, nos terres, nos semences et nos ressources naturelles doivent rester entre nos mains, afin que nous puissions produire la nourriture et protéger notre terre-mère comme le font les paysans depuis des siècles. Nous ne permettrons pas que les marchés du carbone transforment notre dur labeur en puits de carbone pour que les pollueurs continuent à faire des affaires comme si de rien n’était. ».
Communiqué de presse de la Vía Campesina | GRAIN | Groupe ETC jeudi 7 novembre 2013