III. Regrouper la gauche écosocialiste pour mener des débats stratégiques et proposer des perspectives d’action
L’organisation de la gauche écosocialiste dans Québec solidaire, tient à la nécessité de la période. Face à une crise majeure du système capitaliste dont la composante écologiste est une dimension essentielle, notre parti doit savoir reconnaître les fondements capitalistes de cette crise et la nécessité de s’attaquer à ses fondements pour la dépasser. Nous sommes persuadés que la tâche devant nous ne consiste pas uniquement à construire le parti seulement sur la scène électorale, mais aussi dans le cadre des luttes de masses qui sont appelées à se développer pour résister aux politiques d’austérité et au développement d’un capitalisme sauvage sur le terrain environnemental.
L’approche du parti processus s’inscrivait dans un cadre assez précis. Il permettait de protéger la fusion et l’unité du parti. Dans cette nouvelle période du néolibéralisme ouverte avec la crise de 2008, il faut redéfinir le cadre du parti processus qui tout en protégeant l’unité du parti, refuse la marginalisation de questions stratégiques essentielles : la question des rapports à la propriété sociale des moyens de production et au financement public des projets de transformation sociale, la question des rapports à l’État, aux institutions parlementaires et aux formes démocratiques issues des luttes sociales, la question du rapport du Parti aux mouvements sociaux et particulièrement au mouvement syndical, la question de nos politiques d’alliance, la question de l’identification des classes sociales qui peuvent rallier notre projet et de nos modes d’enracinement dans ces dernières, les questions du type de parti nous voulons construire capable d’agir en temps de crise, capable de résister aux pressions que les classes dominantes tenteront d’exercer sur lui...
Ces questions stratégiques doivent participer au dépassement de QS tel qu’il existe aujourd’hui ou refuser de se contenter d’un développement linéaire qui se contenterait de renforcer ses bases électorales et parlementaires, son appareil et son membership mais qui ne tracerait pas les voies de l’établissement d’un optimum de radicalité correspondant aux besoins des luttes auxquelles devront faire face la majorité de la population face aux attaques du capital sur tous les terrains dans la période d’austérité prolongée dans laquelle nous sommes entrés. Le changement de période est trop profond pour se contenter d’ajustements mineurs.
3. 1. Prendre parti pour l’écosocialisme
La tâche de ce courant écosocialiste est de préciser la nature de la période de crise capitaliste dans la quelle nous entrons, de proposer un projet politique qui précise tant les sujets (les classes ou bloc de classes) porteur d’un projet de transformation sociale, qui décrit les obstacles qui seront rencontrés, qui propose les rapports à entretenir avec les mouvements sociaux et les politiques d’alliance qui favorisent la cohésion des classes subalterne et qui pose les nécessités d’un fonctionnement démocratique de Québec solidaire. Québec solidaire doit pouvoir s’attaquer aux crises énergétiques, climatiques, alimentaires. Cela nécessite de revoir radicalement le mode de vie et de développement, sanctuariser les biens publics inaliénables (eau, air…), élaborer avec les collectivités un plan de reconversion énergétique au lieu de le confier à la loi de la concurrence marchande.
Contrairement au silence de Québec solidaire sur ces questions, nous affirmons qu’il n’y aura pas de transformation sociale radicale sans transformation fondamentale des rapports de propriété et sans bouleversement des rapports de pouvoir entre la société et l’État. Ces changements demeurent l’objet d’une lutte acharnée entre les classes, une lutte sans merci à des moments critiques de crise.
Il n’y ara pas de transformation sociale favorable à la majorité de la population et particulièrement en faveur des classes dominées sans pouvoir remettre en cause le capitalisme qui est un modèle de développement productiviste, consumériste, centré sur la course effrénée à la production de biens, sans considération pour la qualité de vie dans des conditions environnementales supportables.
La transition énergétique, qui prend en charge les différents aspects de la question énergétique, des services publics et de la lutte contre la précarité (habitat, transports, agriculture, industrie…) doivent être au cœur de notre projet. Un plan vert qui ne se questionne pas sur la propriété de toutes les sources d’énergies, sur l’appropriation collective des sources d’énergies, des entreprises productrices des moyens de transport électriques, qui ne se questionne pas sur la socialisation des banques pour avoir les capitaux nécessaires pour mettre en œuvre des projets d’envergure ne se donne pas les moyens de ses fins.
La simple remise en question de quelques points au niveau de l’impôt par le gouvernement Marois a soulevé l’ire de la bourgeoisie. Les menaces de déménagement ou de fuites des capitaux ont aussitôt été brandies. Une véritable redistribution des richesse, le blocage des privatisations et la mise en place de services publics gratuits garantissant l’accès aux biens et services fondamentaux comme l’éducation, la santé, l’eau, l’énergie, le logement, la culture et le transport (le programme actuel de Québec solidaire) vont rencontrer une résistance de classe considérable. Cette résistance ne pourra être cassée que par la nationalisation et la socialisation des ressources naturelles, des secteurs industriels stratégiques, des banques sans compensation afin de reconstruire un système financier public qui redonne la priorité aux besoins de financement de la population et de ses projets et qui en finissent avec le chantage à la fuite des capitaux. Sans l’introduction des représentantEs des travailleurs et travailleuses, des consommateurs dans les conseils d’administration des entreprises de différentes régions, il n’y a aura pas de véritable reprise en main démocratique de notre économie.
3. 2. Prendre parti pour la démocratie sociale, participative et la subversion de la démocratie représentative
Déjà, Québec solidaire refuse le système de démocratie tel qu’il se donne. C’est ainsi que QS propose de réformer le mode de scrutin et d’introduire le scrutin proportionnel. QS propose également de tenir les élections à date fixe. Face aux attaques contre la liberté d’expression et à la répression, Québec solidaire se doit d’appeler à la dissolution des corps répressifs (comme les polices antiémeutes) et lutter pour le maintenir le droit de grève et de manifester par l’action directe et la désobéissance civile si nécessaire.
Mais au-delà de ces mesures défensives essentielles, il faut s’opposer aux effets antidémocratiques de l’élection en bloquant les voies par lesquelles les représentantEs échappent au contrôle des personnes représentées. Cela peut se faire en :
a) imposant un contrôle populaire des représentantEs dans le cadre de la démocratie représentative
• en donnant des mandats impératifs aux éluEs par les assemblées devant lesquelles ces élues sont redevables
• en interdisant la circulation des élu-e-s entre les responsabilités politiques et les responsabilités économiques
• en implantant des mécanismes pour en finir avec les sous-représentations des catégories modestes (travailleurs et travailleuses manuelles)
• en introduisant une procédure de révocation des éluEs par les circonscriptions ou par les autres instances où il y a des élections
b) mettre fin à la consolidation d’un oligarchie politique
• en imposant la parité de genre (hommes/femmes) dans la représentation politique
• en abolissant les mandats consécutifs au parlement et dans les municipalités (limites à deux au maximum)
• en introduisant un niveau de rémunération qui place les éluEs au niveau du salaire médian de la population.
c) introduire des mécanismes de démocratie participative à tous les niveaux dans les institutions de l’État et généralisation du principe d’éligibilité
• en introduisant les principes d’éligibilité et de révocabilité des chefs administratifs ;
• en instaurant des budgets participatifs laissant à des assemblées locales de citoyenNEs de larges pouvoirs de participation et de décision sur la détermination des priorités budgétaires dans les villes et les régions
• en introduisant un processus d’autogestion démocratique dans les entreprises et les services publics
• en mettant en place des référendums d’initiatives populaires.
3.3. Lier la lutte pour l’indépendance du Québec à une démarche de souveraineté populaire
L’ensemble de ces revendications démocratiques, de ces batailles peuvent déboucher sur la mise en place d’une assemblée constituante pour en finir avec notre statut de minorité politique, assurer l’indépendance du Québec et définir des institutions qui élargissent le pouvoir citoyen dans toutes les sphères de la société.
3.4 Construire Québec solidaire comme un parti qui entretient des liens démocratiques avec les mouvements sociaux et qui sait s’enraciner dans les secteurs ouvriers et populaires.
Les mouvements sociaux produisent du politique. Le mouvement étudiant lors du printemps érable a remis en question l’école néolibérale et la subordination de l’éducation aux intérêts de la minorité économique dominante. Le mouvement des femmes qui conteste la division du travail et les rôles sociaux, remet en question la domination patriarcale qui structure la société capitaliste. Les partis politiques de gauche se nourrissent de ces expériences s’ils ne sont pas de simples machines électorales. Et ils irriguent en retour les luttes sociales de tentatives de synthèses programmatiques en posant la nécessité de la redéfinition du pouvoir et de sa diffusion dans la société civile.
Dans les luttes, le parti de gauche favorise autant que possible l’émergence de formes unitaires et démocratiques d’autoorganisation et d’autogestion dans les mouvements. Certaines organisations sociales (prenons la CLASSE) ont un rapport démocratique aux mouvements qu’ils animent. Ils produisent leurs intellectuels organiques et développent des formes démocratiques adéquates. Mais cela n’est pas toujours le cas. Dans le mouvement syndical, une bureaucratie s’est développée qui dirige le mouvement, mais elle a développé des intérêts qui s’opposent au mouvement sur laquelle elle repose. Ces bureaucraties syndicales cherchent une reconnaissance de leur pouvoir auprès de la classe dominante. Ceci amène fréquemment la bureaucratie à reprendre à son compte les objectifs de la bourgeoisie et à favoriser la division du mouvement. Les militantes et militants syndicaux de QS doivent favoriser l’indépendance de classe de leurs organisations de masse dans lesquelles ils et elles militent et favoriser l’unité dans l’action, y compris avec les autres mouvements sociaux. Le caractère inorganisé des militantEs d’un parti politique présents dans d’un mouvement dirigé par des bureaucraties laisse ces dernières sans opposition véritable.
3.5. Esquisser les principes d’une politique d’alliance de Québec solidaire avec les autres partis politiques
Favoriser l’entrée de Québec solidaire dans un front uni des souverainistes dirigé par le plus important des partis, le PQ, dans une une lutte électorale, c’est se mettre à la remorque d’un parti qui se définit par un programme précis, plus ou moins social-libéral (procapitaliste), et un rapport particulier aux classes dominantes. C’est donc mettre Québec solidaire à la remorque du parti encore hégémonique dans les secteurs souverainistes de la population alors que la formation de notre parti a été justement de s’opposer à cette hégémonie..
Cela ne signifie pas qu’il ne peut y avoir des alliances tactiques autour de revendications précises. À ce niveau, on peut s’allier avec quiconque être prêt à se battre pour une revendication qui nous semble juste, le droit à l’avortement par exemple.
Nous rejetons cependant toute alliance stratégique avec le PQ dans le cadre de la lutte pour le pouvoir ou dans un cadre gouvernemental. Car de telles alliances affaiblissent l’autonomie de classe pour laquelle lutte le parti, créent des attentes vis-à-vis ces faux alliés et démobilisent. Nous visons à former un gouvernement des travailleurs et des travailleuses, pas à construire un gouvernement de concertation nationale dans le rapport de force existant entre les classes aujourd’hui.
Nous proposons que Québec solidaire oppose à la perspective d’un front des partis souverainistes, le développement d’un bloc des organisations des organisations syndicales, féministes, populaires et jeunes de résistance à toute politique d’austérité et favorise la mise en place d’un gouvernement défendant les intérêts des travailleuses et des travailleurs et des couches populaires pour combattre pour un programme démocratique d’indépendance nationale et de rupture d’avec le capitalisme. Notre orientation peut se résumer à une politique de front unique visant la mobilisation la plus large des classes ouvrières et populaires (particulièrement de leurs secteurs racialisés), des femmes, des jeunes, des populations immigrantes pour leurs revendications égalitaristes.
Pour s’enraciner, on ne peut se contenter de demeurer dans une logique qui bascule des urnes aux aux luttes (à se limiter à n’être qu’un parti des urnes et de la rue) mais s’il est essentiel d’agir sur ces deux terrains. Il faut également, si on veut assurer un enracinement durable, être un parti utile socialement, pour les couches les plus démunies dans leur quotidien. Dans la mesure où le parti construit son organisation, il doit être capable de le mettre au service de la population (défense des immigrants, des sans-emploi, aux jeunes qui veulent raccrocher dans leurs études, guide vers les défenses individuelles et collectives face à la bureaucratie étatique ou aux patrons peu scrupuleux...) Pour un parti encore naissant comme QS, cela peut sembler des tâches lointaines, mais des expériences doivent être faites à cet égard.
3.6. La nécessité de développer la démocratie à l’intérieur de Québec solidaire
Un parti politique de gauche comme Québec solidaire comme les mouvements sociaux d’ailleurs fait face à certains écueils : captation du pouvoir dans les mains de porte-parole ou du chef, inégalités dans l’accès à l’information et à la prise de parole, compromis sans rivage avec des partis ou des mouvements représentants des forces adverses.
La « forme » du parti, centralisée, tient profondément à l’existence de l’État. Et, inévitablement, ce parti aura tendance à hériter des défauts de cet État (et de la société bourgeoise en général) : hiérarchisation, bureaucratie, domination des hommes de la nationalité majoritaire, oppression des femmes, marginalisation des minorités ethniques ou sexuelles. On ne peut pas prendre l’un (le parti) sans l’autre (les dangers antidémocratiques). La seule issue à ce dilemme est dans la conscience de cette situation, et donc dans la lutte opiniâtre pour limiter la portée des dérives inévitables.
Comme collectif démocratique agissant, Québec solidaire doit éviter de laisser installer en son sein une division entre des fonctions de direction et des fonctions d’exécution. Il doit veiller à éviter l’accaparement de la direction de l’organisation par des sommets qui échappent au contrôle démocratique de la base, sommet dont les dirigeants deviennent inamovibles et dont les activités demeurent opaques à l’ensemble de l’organisation.
Pour s’assurer d’un fonctionnement démocratique, Québec solidaire doit favoriser un mode de fonctionnement basé sur l’autogestion collective du pouvoir en son sein avec tout ce qu’elle implique : rotation des tâches, permanence pour des durées limitées, circulation de l’information, très large, démocratie interne fondée sur la décentralisation de la décision et de l’action, garanties accordées aux minorités éventuelles opposées aux décisions majoritaires, et représentation proportionnelle des courants politiques dans les instances de direction. La proportionnelle demandée à l’État doit aussi être exigée d’un parti de gauche.
3.7 Place des femmes dans un courant écosocialiste
Bien au fait du lien entre patriarcat et capitalisme, le courant écosocialiste doit aussi promouvoir la place des femmes dans l’organisation. En terme de représentativité des femmes, Québec solidaire a des postes définis : représentante des femmes élue au congrès, la commission des femmes, les AG femmes et les comités des femmes. Ces structures existent sur papier. Mais comment les rendre vivantes ? Pour que les femmes s’investissent dans le travail militant, il faut débattre et mettre de l’avant des mesures de conciliation famille-travail-militance (heures de réunion, rencontre par skype etc..). Il faut revaloriser aussi tout le travail de l’ombre que font les femmes : organisation, permanence, téléphone, etc..). La question des garderies devra aussi avoir une attention spéciale. Il faudra développer des propositions tout en souplesse : garde sur le lieu de réunion, paiement de frais de garde, garderie mobile.
Nos personnes représentant le courant devront aussi porter la marque de porte-parole féminin et masculin. Le droit de parole par alternance devra être aussi une règle de fait dans les rencontres. Mais surtout comme notre courant se veut d’abord idéologique, il faudra développer des mesures pour permettre aux femmes de produire des analyses et des textes et pas seulement sur la question des femmes. Peut-être en développant soit du parrainage soit du marrainage.
Conclusion
Nous sommes rendus à un point où la désidéologisation au nom de l’unité nous a menés à une dépolitisation certaine. On ne peut construire une alternative politique œuvrant à la transformation sociale dans un sens de l’égalité et de la démocratie en faisant abstraction de la description des contours de cette société que l’on veut construire, qui la reste dans l’ombre et qui explicite pas ces principes. Nous ne pouvons lutter pour construire un parti dévoué à la transformation sociale sans définir les stratégies qu’il faudra mobiliser, des alliances qu’il faudra nouer, des forces sociales sur lesquelles il faudra compter, des formes d’action qu’il faudra utiliser. Ce sont ces dimensions de la lutte politique à laquelle on veut maintenant préciser... sans vouloir en faire un credo incontournable, mais pour éviter d’oublier les débats qu’il faut mener.
IV. Pour la tenue d’une conférence de fondation d’un front écosocialiste dans Québec solidaire
Ce texte n’est qu’un premier brouillon pour faire le point sur l’évaluation de la situation politique générale, sur l’évaluation Québec solidaire et sur les tâches que les anticapitalistes doivent se fixer. Des premiers échanges, nous permettraient sans doute d’écrire, dans une deuxième phase, une plate-forme synthétique qui résumait les points d’accord qui seraient la base de l’adhésion et les tâches que l’on se donne.
Nous parlons de la mise sur pied d’un Front écosocialiste de Québec solidaire. Front parce que nous croyons qu’il pourrait regrouper tant des collectifs de Québec solidaire que des militantEs individuels. Écosocialiste, car nous croyons, qu’on ne peut se contenter d’une définition uniquement négative de notre projet de société...
Un Front écosocialiste ne se veut pas d’abord un regroupement idéologique, mais un front politique qui prend position sur les enjeux, les stratégies, les tactiques, les initiatives et les modalités de construction et de fonctionnement du parti. Mais aussi un Front organisationnel qui a ses modes de recrutement, ses structures et son programme de formation, ses instruments de communication, ses cotisations, ses modalités démocratiques de fonctionnement et sa coordination.
Cette version inclut les amendements soumis par le comité femmes (-la rédaction, 15 novembre 2012).