Deux ans fermes de suspension pour deux syndicalistes du centre de tri de Bordeaux-Bègles, deux ans de suspension dont un an avec sursis pour trois autres et trois mois de suspension pour le dernier, qu’il sera possible de mettre à la retraite à l’issue de sa sanction : voilà les propositions de peines du conseil central de discipline tenu les 7 et 8 juillet, qui doivent être entérinées par le président de La Poste.
Éviter les révocations représentait une première étape indispensable. Il est maintenant tout aussi important de poursuivre la mobilisation pour l’abandon de toutes les sanctions. Cette exigence n’est pas uniquement une question de solidarité. Elle est vitale pour un syndicalisme qui ne se contente pas d’accompagner les projets de la direction, mais qui s’oppose aux orientations de cette dernière.
L’affaire de Bordeaux-Bègles n’est pas arrivée par hasard. Elle a éclaté quinze jours après l’adoption au Parlement de la loi dite de régulation postale - une loi de privatisation à terme de l’entreprise publique. Elle prévoit la libéralisation complète du marché du courrier avant 2009, la réorganisation du réseau des bureaux de poste avec la disparition de 6 000 bureaux de plein exercice et la création de la banque postale dès le 1er janvier 2006, qui sera une filiale de La Poste dont le capital pourra être ouvert à tout moment.
La direction de La Poste sait pertinemment que ses orientations ne sont soutenues ni par la population, ni par les postiers. En optant pour la manière forte envers les agents du centre de tri de Bordeaux-Bègles, elle envoie comme message à l’ensemble des postiers qu’elle est prête à utiliser tous les moyens pour parvenir à ses fins.
Que la direction décide de taper dans un centre de tri n’est pas non plus le fait du hasard. D’une part, son plan « cap qualité courrier » prévoit la fermeture de dizaines de centres de tri, la suppression de 10 000 emplois sur 30 000 et la généralisation « d’horaires atypiques », régimes de travail particulièrement difficiles physiquement et désocialisant. Par exemple, elle prévoit le remplacement des « deux nuits sur quatre » par des d’horaires débutant à 0 heure et se finissant à 6 heures. Cela tous les jours de la semaine. Augmentation de la charge de travail induite par les suppressions d’emplois, régimes de travail plus pénibles, mobilité géographique forcée : tout est réuni pour que le personnel se révolte. Au-delà de la dégradation des conditions de travail, ces réorganisations remettent en cause le mode de vie des agents.
D’autre part, il existe une tradition de luttes dans les centres de tri, le taux de syndicalisation est plus élevé que dans les autres secteurs de l’entreprise. La direction ne peut donc pas ignorer que ces projets ne passeront pas « comme des lettres à la poste ». Elle a donc tout intérêt à faire des exemples en sanctionnant les syndicalistes revendicatifs et par là même, tenter de fragiliser considérablement les syndicats. Le modèle thatchérien, en quelque sorte !
La personnalité du président de La Poste n’est pas non plus étrangère à cette affaire. Bailly, ex-président de la RATP, est surtout connu pour être à l’initiative de l’alarme sociale, service minimum avant l’heure, qui remet en cause le droit de grève. Plus globalement, il conçoit les rapports dans l’entreprise dans le cadre unique de négociations entre gens de bonne compagnie discutant seulement de l’accompagnement social de ses décisions. C’est la conception même de l’accord qu’il a proposé le 21 juin 2004 à La Poste. Comme les syndicats majoritaires, CGT et SUD, ont refusé de le signer, il tente de l’imposer par la force !
Bailly, un proche de Chirac, est écouté par ses pairs. Ainsi, il siégeait dans la commission créée par le gouvernement, chargée de réfléchir sur la mise en place d’un service minimum en cas de grève. L’abandon des sanctions contre les quatorze de Bordeaux ne concerne pas seulement les postiers, mais aussi tous les agents des entreprises aujourd’hui dans la tourmente, comme la SNCF, EDF, GDF, etc.