La rupture fallacieuse des négociations avec les fédérations étudiantes démontre on ne peut plus clairement que le gouvernement Libéral ne veut rien concéder d’essentiel. Le prétexte de la dite violence se retourne contre le gouvernement suite à la claire mise au point de la CLASSE, la principale et plus combative fédération étudiante, distinguant l’atteinte à la personne de l’atteinte à la propriété et de la légitime défense et tout en préservant son mode de décision démocratique.
Tant la résilience gréviste que la capacité de riposte dans la rue — des milliers de manifestantes chaque soir dans les rues de Montréal — maintiennent l’unité des fédérations tout en redonnant à la CLASSE son rôle central. Quelques écoles secondaires ont déclenché une grève de quelques jours. Reste que plus de deux mois de grève proactive par plus du tiers du milieu étudiant post-secondaire n’a pas suffi pour tout simplement préserver le statu quo, car le gel des frais de scolarité, ce n’est que ça.
Comme le démontre le soutien de la CAQ — nouveau parti de la droite nationaliste mais fédéraliste se présentant comme relève des Libéraux et comme alternative au PQ — au gouvernement Libéral, les hauteurs bourgeoises, toutes tendances confondues, favorisent la ligne dure masquée par des concessions de pacotille. Ce qui est en jeu pour eux c’est la préservation de l’intégrité de l’œuvre néolibérale tel que proclamée par les budgets Conservateur et Libéral. Remettre en cause un de ses blocs, ce serait le faire pour l’ensemble, estiment-elles. Pire, se disent-elles, le gel serait la porte d’entrée de la gratuité scolaire qui ne fait pas problème pour son coût, une bagatelle de quelques centaines de millions $, mais pour cause d’une menace à la rupture de l’idéologie individualiste.
Payer pour son diplôme fabrique des propriétaires de savoir ; se le faire payer par la société des travailleuses solidaires susceptibles d’accepter leur part accrue de contribution fiscale. (À remarquer que l’économie moderne réseautée appelle le partage des savoirs, comme quoi l’individualisme néolibéral va à l’encontre de l’efficacité économique.) Quant à la perte d’un semestre d’étude, ce n’est pas si grave que ça, pensent-elles au plus profond de leur mauvaise conscience, tant que la majorité de la gens étudiante, particulièrement anglophone et surtout en administration, en génie et en science, et suffisamment de cégeps pour les alimenter, ne participe pas au mouvement.
Le Parti québécois (PQ), même en accord avec cette conception néolibérale de l’éducation, d’où son refus d’opposer une alternative à la politique Libéral-CAQ, doit quand même l’a dénoncée à tour de bras étant donné que la gens étudiante constitue un bloc significatif de sa base électorale qu’il dispute de plus en plus à un Québec solidaire prônant la gratuité scolaire. La proximité électorale fait le reste. Le PQ se voulant le parti de cette portion de la classe moyenne aspirant à intégrer ou à servir la bourgeoisie doit prendre en compte que l’accès à l’éducation supérieure doit demeurer largement accessible afin d’élargir sa base de classe.
Le PQ, et ses intellectuels organiques, en appellent donc à une trêve d’un semestre ou deux afin de se donner le temps d’un autre de ces sommets interclassistes. Cette solution, dans l’immédiat, casserait la mobilisation étudiante qu’il serait difficile de reprendre à court ou moyen terme. L’épuisement et probablement la démoralisation des troupes seraient au rendez-vous étant donné un effort et un coût considérables pour aboutir à un non lieu. À terme, elle risquerait, ce qui est consciemment souhaité par le PQ, de diviser le mouvement étudiant au profit des fédérations modérées qui lui sont politiquement proches.
La gens étudiante, consciente du piège de l’enlisement favorable à une casse certes non condamnable, sauf à blâmer l’intransigeance Libérale comme cause principale, mais non souhaitable car répugnant à la majorité populaire, réussit jusqu’ici à contrôler les black block par la réprobation bruyante de la grande majorité des manifestantes. Reste qu’il sera difficile de tenir plus longtemps sans l’amélioration qualitative du rapport de forces s’impose dans les plus brefs délais. L’élargissement de la grève, y compris au secondaire, pourrait y contribuer même si rien ne le laisse présager.
On peut douter, cependant, étant donné l’intransigeance de la bourgeoisie traumatisée par le coût de services publics québécois, sans doute les meilleurs de de la zone ALÉNA, qu’il suffise à renverser la vapeur sauf à produire une trêve suicidaire. L’urgence d’un saut qualitatif ne peut venir que de l’entrée en scène du mouvement syndical à l’occasion de la Fête du travail ou peu après, ce qui est bien autre chose que de modestes manifestations régionales. Cette grève sociale de 24 heures votée par la CSN, deuxième plus importante fédération syndicale, est devenue un impératif social. Mais, en l’absence, du moins visible, d’une opposition syndicale contestant l’inertie de la bureaucratie syndicale, sur quelle force sociale crédible compter pour pousser à la roue ?
Les porte-parole de Québec solidaire ont cette crédibilité. Malheureusement, la direction du parti, lors du congrès préélectoral de la dernière fin de semaine d’avril, s’est contenté de récupérer la lutte étudiante pour des fins purement électoralistes. On ne peut que se réjouir si la lutte étudiante profite électoralement à Québec solidaire mais on ne peut que déplorer que le parti ne mette pas à contribution la notoriété de ses porte-parole pour lancer un débat sur l’urgence d’une grève sociale. Ce refus de se démarquer de la bureaucratie syndicale donne finalement raison à la critique anarchiste dominante dans la CLASSE.
Il est en effet fort possible que les Libéraux déclenchent rapidement une élection sur l’enjeu étudiant. Ce serait pour eux l’occasion de faire d’une pierre deux coups : se sortir de l’actuel guêpier tout en créant une polarisation de classe rompant, potentiellement, leur actuelle et durable abyssale impopularité, d’autant plus que la récente remontée du PQ semble s’être épuisée. Ce serait une erreur pour Québec solidaire, tant sur le fond des rapports de classe qu’en termes de rentabilité électorale, de prôner la solution péquiste de la trêve ou même de ne pas s’en démarquer. Le seul moyen de s’en sortir est d’inviter le mouvement syndical à organiser dans les plus brefs délais cette grève sociale dont on parle tant depuis 2004, revotée en 2010, et qui n’a jamais eu lieu.
Le résultat de cet abandon fut la capitulation sans combat des syndicats du secteur public en 2005 et en 2010. Une troisième prise, alors que la grève étudiante offre l’occasion d’une jonction avec les lock-outés de Rio-Tinto-Alcan et avec les congédiés d’Aveos, sous-traitant d’Air Canada, soutenue par ce peuple québécois de gauche dont un quart de million était dans la rue le Jour de la terre, pourrait avoir des conséquences profondément démobilisatrices. Oser faire une grève politique de masse pourrait, au contraire, retourner la situation comme un gant.
Marc Bonhomme, 29 avril 2012