Le troisième Forum Social Mondial se réunit à Porto Alegre en janvier 2003 dans un contexte marqué à la fois par l’agressivité belliqueuse du gouvernement des Etats Unis, suivi par plusieurs de ses homologues, et par la croissance et l’élargissement du mouvement de rejet de la mondialisation libérale qui s’exprime à la fois dans des manifestations et des rassemblements toujours plus massifs et dans les victoires électorales de la gauche dans plusieurs pays d’Amérique latine. Cette situation place les mouvements sociaux et militants, dont ATTAC France, devant des choix plus difficiles que pour les deux premières sessions du FSM, puisqu’il s’agira à la fois de préparer les initiatives de masse nécessaires face à la guerre et la poursuite des politiques néo-libérales et de discuter des cadres d’alliances indispensables tant pour réussir ces mobilisations que pour élaborer les alternatives à ces politiques.
1/- La lutte contre la guerre sera au cœur des préoccupations du FSM 2003.
A quelques semaines, voire à quelques jours d’une guerre contre l’Irak voulue par les Etats-Unis et ses alliés, le développement des mobilisations anti-guerre atteint un niveau jamais atteint avant le déclenchement d’un conflit : alors qu’il avait fallu près de 4 ans pour que le mouvement contre la guerre du Vietnam prenne une réelle ampleur et près de 6 ans pour la guerre d’Algérie, près d’un million de manifestants se sont retrouvés à Florence en novembre, plus de 100 000 à Washington D.C. en octobre et près d’un demi-million à Londres en septembre. Même si les menaces de guerre sont chaque jours plus fortes, il est encore possible d’empêcher cette guerre : la pression des mobilisations et l’hostilité de l’opinion publique dans de très nombreux pays ont déjà eu comme premier effet de distancier certains gouvernements de la logique américaine, et, aux Etats-Unis même une majorité se dessine pour refuser une intervention militaire unilatérale contre l’Irak.
Cette menace de guerre n’est pas, pour ATTAC-France, un sujet extérieur à ses préoccupations et axes d’interventions. Aujourd’hui, plus encore qu’hier, le militarisme et la guerre est une des composantes essentielles de la mondialisation libérale : ainsi, le bellicisme américain actuel renvoie tout à la fois à la relance de l’économie par les commandes d’armements, au contrôle des gisements stratégiques de pétroles et à la volonté de réaffirmer le leadership américain dans les affaires du monde. ATTAC-France s’inscrira donc dans les coordinations internationales qui, pendant le FSM, permettront de préparer les mobilisations contre la guerre et la militarisation. En participant à ces structures unitaires, ATTAC-France continuera à défendre ses positions : un refus inconditionnel de la guerre en Irak qui ne signifie en rien un blanc-sein pour le régime dictatorial de Saddam Hussein qui a massacré les kurdes et les opposants irakiens ; un soutien total aux palestiniens qui luttent contre l’occupation israélienne de la Cisjordanie et de la bande de Gaza, et l’affirmation du droit des deux peuples à vivre dans des pays souverains dotés de frontières sures et reconnues...
2/- Cette montée de la militarisation et des risques de guerre s’inscrit dans le cadre plus général d’une lutte pour la domination impériale au niveau international.
L’administration républicaine de George Bush défend les intérêts américains de manière plus directe et brutale que ne le faisait l’équipe précédente. Les mesures protectionnistes sur l’acier, le refus de ratifier les accords de Kyoto ou le refus de tout accord dans le cadre de l’OMC qui aurait donné aux pays du Sud la possibilité de produire ou d’acheter des médicaments génériques en sont les exemples les plus récents.
Cette volonté de domination sans partage fragilise encore un peu plus les institutions internationales qui sont sommées de se soumettre aux desiderata américains, multiplie les sources de tensions avec les autres pays dominants et favorise l’expression des désaccords au sein même des tenants du système, comme le montrent les prises de positions de Joseph Stiglitz.
Ce contexte modifie la donne pour les mouvements militants. S’il est plus difficile aujourd’hui qu’hier de gagner en positif sur une revendication, il sera en revanche probablement plus aisé de bloquer une décision ou une institution, le rapport de force militant se combinant avec les contradictions et divergences entre Etats. S’il n’est pas question de renoncer à la définition d’alternatives, il est clair qu’une telle situation facilite les rassemblements unitaires en « contre » et restreint les espaces de négociations qui auraient pu diviser le mouvement. Ainsi l’ensemble du monde syndical et un nombre croissant d’ONG se joignent aujourd’hui aux rassemblements militants et aux Forum sociaux, qu’ils soient régionaux ou mondiaux ce qui donne à ATTAC, comme à l’ensemble de ces mouvements, une responsabilité collective encore plus grande.
3/- L’Amérique Latine connaît une situation politique tout à fait particulière.
La victoire d’une gauche liée aux mouvements sociaux aux élections présidentielles brésiliennes et équatoriennes, après la percée de la gauche radicale en Bolivie et la probable victoire de la gauche en Uruguay, se conjugue avec la crise sociale en Argentine et, au Venezuela, à la résistance de Hugo Chavez face à ses opposants.
Ceux qui n’acceptent pas cette expression de la volonté populaire, les marchés financiers comme les puissances dominantes, à commencer par les Etats-Unis, vont tout faire pour bloquer toute évolution qui remettrait en cause les intérêts des classes dominantes. Pourtant, l’opportunité existe d’un réel changement, sur le plan social, en s’attaquant à la misère et aux inégalités, comme sur le plan des rapports de force globaux, en remettant en cause des diktats du FMI ou en stoppant la course au libre-échange telle qu’elle est organisée dans le cadre de la ZLEA.
Au-delà des résultats électoraux, la réalisation de tels objectifs demandera l’établissement d’un rapport de force favorable aux démunis, aux paysans et aux salariés. ATTAC-France renforcera ses liens et son appui aux ATTAC d’Amérique Latine ainsi qu’à l’ensemble des mouvements sociaux du sous-continent.
4/- L’année 2003 devra permettre à la fois l’enracinement des mouvements de résistance à la mondialisation libérale, aux niveaux locaux, nationaux et continentaux, et l’expression des rapports de force lors des grands rendez-vous internationaux.
L’enracinement des mouvements se fera d’abord au travers des mouvements sociaux qui s’expriment sur les plans locaux et nationaux, à l’image des grèves générales qui ont été organisées dans de nombreux pays européens ou du mouvement de résistance du peuple argentin. Les forums sociaux continentaux et, pour notre part, le Forum social européen de Paris/St-Denis de 2003, seront des moments privilégies de mise en commun de ces expériences et d’élaboration d’alternatives et de revendications communes au niveau continental.
Les grands rendez-vous internationaux pour 2003 sont déterminés par le calendrier institutionnel, mais aussi par l’expression de la solidarité avec ceux qui seront en première ligne du combat contre le néolibéralisme, et en particulier les militants latino-américains.
– Pour nous, militants en France, la mobilisation face au G-8 d’Evian des 1er au 3 juin 2003 sera un rendez-vous de toute première importance. Ce sera l’occasion de nous exprimer contre la guerre, pour une réelle solidarité entre pays du Nord et pays du Sud et contre la précarisation générale de l’emploi et des conditions de vie. Pour cela, nous proposerons aux ATTAC des différents pays de nous exprimer en commun et nous participerons aux différentes initiatives unitaires organisées face au G-8.
– Avant même les mobilisations pour le G-8, la lutte contre la guerre en Irak s’exprimera lors de manifestations coordonnées au niveau international. Pour l’Europe, ce sera le 15 février. A Porto Alegre, des réunions de coordination devraient permettre d’établir un cadre commun de mobilisations au niveau international.
– Les mobilisations au moment de l’assemblée générale de l’OMC qui se tiendra à Cancun en septembre 2003 seront l’occasion d’exprimer notre refus de la marchandisation du monde. Ce rendez-vous sera précédé d’autres rassemblements, en particulier en mars, à Bruxelles, lors de la négociation de l’AGCS.
– Pendant toute l’année 2003, la solidarité avec les peuples et les mouvements militants sud-américains sera au cœur de nos préoccupations. Le FSM de Porto Alegre sera l’occasion de nous coordonner avec ceux-ci, comme avec des militants d’autres continents, pour trouver les voies les plus efficaces pour l’expression de cette solidarité.
5/- La réalisation de ces objectifs demandera une meilleure coordination entre forces militantes.
Les Forum sociaux, qu’ils soient mondiaux ou continentaux, sont des espaces ouverts, sans autres délimitations ou engagements que ceux qui sont résumés dans la charte de principe du FSM.
Cette ouverture et cette absence d’engagements est la condition de la réussite de rassemblements militants aussi larges : réunir autant de réseaux militants ne pouvaient se faire que dans un cadre non-contraignant aux règles très claires. Mais elle en est également la limite : le conseil international du FSM n’a ainsi jamais voulu prendre position sur des mobilisations internationales aussi indispensables que celles contre la guerre ou pour le moratoire des négociations dans le cadre de l’OMC. Pour cette raison de nombreux mouvements sociaux et militants se sont réunis, depuis le premier Forum social mondial de 2001, pour élaborer les « appels des mouvements sociaux » qui ont permis, en 2001 comme en 2002, de prendre position sur les grands évènements survenus dans l’année écoulée et, surtout, de se doter d’un cadre commun pour les grands rendez-vous internationaux à venir, G-8, assemblée de l’OMC ou du FMI et de la Banque mondiale, etc.
Pour la troisième session du FSM, la CUT et le MST du Brésil, ATTAC-France, la Marche mondiale des femmes dont le secrétariat est au Québec et « Focus on the global South », basé à Bangkok, ont proposé de formaliser un peu plus ce réseau des mouvements sociaux et militants complémentaire au FSM pour permettre une meilleure efficacité dans l’action : ce réseau aurait pour objectif de favoriser les rencontres et rassemblements chaque fois qu’existe la nécessité d’une coordination internationale (lutte contre la guerre, contre-sommets, etc.). Pendant la 3e session du FSM, des réunions larges de ces mouvements sociaux et militants permettront de discuter de cette proposition. ATTAC-France y prendra toute sa place, comme dans toutes les réunions poursuivant des buts similaires (tel que le séminaire pour un réseau mondial des mouvements grâce à Internet, organisé par ATTAC- Rio Grande do Sul) en cherchant à élargir encore la participation des mouvements sociaux et militants ; c’est en effet la condition de la mise en place d’un réseau qui ne pourra prendre effet que si un nombre significatif de ceux-ci la jugent utile.
En guise de conclusion, une interrogation. La multiplication des réunions internationales, et en particulier des Forum sociaux, pose un problème aux équipes d’animation des mouvements sociaux et militants : pour 2003, par exemple, ATTAC-France devra s’impliquer très fortement dans trois initiatives internationales majeures, le FSM, le contre G-8 et le FSE. Un tel rythme rend difficile le travail collectif et l’implication réelle des équipes militantes dans ces mobilisations.
La question à se poser est celle des « publics » de ces initiatives. Il est possible que le sentiment de trop-plein ne se pose que pour les équipes dirigeantes, ceux qui participent au FSM ne sont pas forcément les mêmes que ceux qui étaient à Florence ou qui iront à Evian. Encore faudrait-il le vérifier, ce que cette simili-conclusion invite à faire : discutons entre nous, au C.A., de ce problème, avant de proposer d’éventuelles solutions (comme le passage à un rythme bisannuel pour le FSM ou les Forum continentaux) à nos partenaires.
Paris, le 30 décembre