Travailler tue… Parmi les 1,4 millions d’accidentés du travail en France en 2006, près de 50
000 salariés ont subi une incapacité permanente suite à un accident du travail, 537 salariés ont
perdu la vie à cause de leur travail. A ce chiffre s’ajoutent les décès liés aux maladies
professionnelles, reconnues et non reconnues, les décès provoqués par les choix de rentabilité
des entreprises en dehors de leurs murs, la dégradation permanente de la santé des travailleurs
et des populations.
Et pourtant, combien d’employeurs sanctionnés pénalement ?
La soif de dividendes, à l’origine de la phase actuelle de la crise économique, s’exprime par
une pression constante sur les salariés. Non contente de soumettre les salaires à une cure
permanente d’amaigrissement, elle s’est aussi traduite par une dégradation des conditions de
travail des salariés. Toujours plus de profits, voilà le mot d’ordre. Cette recherche continue de
productivité accentue la domination autoritaire sur les salariés. L’autonomie, tant encensée
comme nouvelle source de productivité, se referme alors comme un piège sur des salariés qui
n’ont pas les moyens de répondre aux attentes managériales. Ils deviennent comptables de
chaque erreur, de chaque contournement de normes de travail toujours plus contraignantes…
La voie est alors ouverte à des manquements à la sécurité, dont ils deviendraient seuls
responsables.
Des voix s’élèvent contre cet état de fait qui exonère les employeurs, et à travers eux le
système économique, de leurs choix. De multiples initiatives syndicales, associatives, mettent
en évidence ces responsabilités, à commencer dans le dossier emblématique de l’amiante. La
Fondation Copernic, en s’élevant contre l’impunité patronale, vise à relayer ces voix éparses.
On ne peut réduire la sécurité à une obligation dont se dédouanerait l’employeur en payant de
simples « dommages et intérêts ».
« Ceux qui peuplent les usines (...) ne sont pas des hommes libres ; l’étau de la subordination
leur est rendu sensible à travers les sens, le corps, les mille petits détails qui remplissent les
minutes dont est constituée une vie » [2]. L’usage, et donc l’usure de la force de travail
constituent le fondement de l’exploitation capitaliste.
Le travail déborde de l’entreprise. La perception sociale de cette situation s’est transformée.
L’entreprise, qui devait sauver la société dans les années 1980, se retrouve au banc des
accusés. La pénibilité est devenue un enjeu social, et ce mouvement interroge le travail dans
son fondement, le pouvoir patronal. La résistance peut-elle rester du seul ressort des salariés ?
Il s’opère une prise de conscience de la contradiction consubstantielle au travail : il est
difficile de s’opposer à l’entreprise en restant dans son seul cadre. Certes le contre-pouvoir
des salariés, à travers de nouveaux droits dans l’entreprise, est une voie nécessaire pour ouvrir
de nouveaux espaces. Le syndicalisme exprime cette nécessité de la coopération dans le
travail, cette dimension humaine du travail sans lequel il n’y aurait pas de travail. Mais quelle
latitude pour imposer ce droit quand l’entreprise soumet les salariés au chantage de l’emploi ?
Quelle liberté de résistance quand il y a sanction ou licenciement des élus des salariés (32%
des élus considèrent que leur fonction freine leur évolution professionnelle [3]) ? Quelle liberté
pour l’élu du CHS-CT quand la suspension d’une production dangereuse (ce que la loi
autorise en cas de « danger grave et imminent ») menace la fermeture d’une activité ? Cet élu
du CHS-CT ne devient-il pas lui-même responsable s’il ne dit rien, par un retournement de
situation ?
Les salariés doivent trouver l’appui d’un rapport de force externe pour imposer le respect de
droits fondamentaux. Ils ne pourront lever seuls la chape de l’acceptation des stigmates liés à
de la « condition ouvrière ». Tel est le sens de cet appel lancé par la Fondation Copernic.
Les obstacles sont nombreux, à commencer par ces Etats dans l’Etat que veulent constituer les
entreprises. Les lois de la République ne s’y appliqueraient pas. Laurence Parisot l’a rappelé [4],
à ses yeux le droit de propriété octroie au patronat le pouvoir, et nul ne saurait le restreindre.
La loi, c’est d’abord la visibilité des atteintes à la santé, des maladies professionnelles.
La loi, c’est, à travers l’application du Code pénal, l’obligation pour l’employeur d’utiliser
son pouvoir personnel pour au minimum ne pas attenter à la santé d’autrui par le travail qu’il
impose.
La loi, c’est le respect de la vie d’autrui. Les profits ne peuvent relever d’une logique
supérieure à la vie du salarié.