New Delhi, correspondant
Sonia Gandhi avait d’excellentes raisons d’appeler ses partisans, dimanche 17 mai, à « restaurer le rôle historique du Parti du Congrès comme parti naturel de gouvernement ». Au lendemain de l’annonce de la franche victoire du Parti du Congrès au scrutin législatif, la présidente du mouvement ayant fondé l’Inde indépendante sous l’égide de Gandhi et Nehru prenait toute la mesure de l’événement. En enlevant 206 sièges – sur un total de 543 à l’Assemblée nationale (Lok Sabha)–, le Parti du Congrès réalise son meilleur score depuis 1991 et confirme sa réhabilitation auprès de l’électorat indien, entamée ses dernières années.
En y ajoutant l’appoint de ses alliés, la coalition dirigée par le Parti du Congrès affiche d’ores et déjà 262 sièges, soit dix de moins que la majorité absolue à l’Assemblée, mais il lui sera fort aisé de combler le léger déficit. Les postulants se bousculent déjà. Aussi tous les analystes relèvent-ils cette césure dans le cycle politique indien : l’érosion continue des partis nationaux au profit des formations locales, exprimant une revendication régionale ou une crispation identitaire, a été enrayée. « Le national, idée oubliée, renaît avec le triomphe du Congrès », applaudit le Telegraph, un quotidien de Calcutta.
Le Parti du Congrès « renaît » donc. Il se reconstruit dans sa posture dominante. Il conserve le pouvoir mais un pouvoir libéré. Il ne sera pas étriqué, corseté, ligoté, comme il l’était au sein de la coalition gouvernementale qu’il animait depuis 2004, date de son retour au pouvoir après une longue éclipse. A l’époque, il avait dû compter sur le soutien d’un influent Parti communiste indien (CPI-M) qui n’a cessé ensuite d’exercer une surveillance ombrageuse sur la politique économique du pays.
Le premier ministre, Manmohan Singh (76 ans), qui devrait être reconduit à son poste, n’avait ainsi pas pu déréglementer l’économie comme il l’aurait souhaité. Ce verrou vient de sauter puisque le CPI-M essuie de cinglants échecs, notamment dans son bastion du Bengale-Occidental, un Etat qu’il dirige d’une main de fer depuis une trentaine d’années. Les communistes paient là une politique autoritaire d’expropriations foncières à des fins d’industrialisation qui leur ont aliéné les milieux paysans. Du coup, le Congrès restaure sa position hégémonique dans le camp de la gauche laïque.
LA DROITE NATIONALISTE HINDOUE AFFAIBLIE
L’autre bonne nouvelle pour le parti de Mme Gandhi est que son principal rival, le Bharatiya Janata party (BJP), porte-drapeau de la droite nationaliste hindoue, sort sévèrement affaibli des urnes. Même s’il avait modéré sa rhétorique durant la campagne, le BJP est issu d’une mouvance idéologique agressive exaltant la thématique de l’hindutva (hindouité), source d’antagonismes entre la majorité hindoue (80,5 % de la population) et les minorités musulmanes (13,5 %) et chrétiennes (2,3 %).
Le BJP avait connu son heure de gloire à la fin des années 1990. Il avait même dirigé le pays entre 1998 et 2004. Mais son libéralisme économique sans fard et, surtout, l’instabilité qu’il faisait régner dans les relations interconfessionnelles ont fini par susciter l’inquiétude d’une partie de la population. Il a en particulier perdu le soutien de la classe moyenne qui, si elle a approuvé sa politique économique, s’était lassée des désordres causés par les brigades de l’hindutva.
Le Parti du Congrès a comblé le vide. Le premier ministre, M. Singh, qui s’est âprement battu pour faire adopter un accord nucléaire civil avec les Etats-Unis – quitte à se brouiller avec ses alliés communistes –, a su habilement récupérer cette classe moyenne, plutôt proaméricaine.
Le ralliement de ce groupe était d’autant plus précieux qu’il complétait une offensive de charme en direction des catégories les plus défavorisées. D’audacieux programmes sociaux – garantie d’emplois, effacement des dettes – ont permis de soulager la misère en milieu rural. En consolidant cette synthèse sociale – classes moyennes et milieux paysans –, le Congrès pouvait nourrir tous les espoirs.
Cette renaissance du Parti du Congrès aura trouvé une illustration spectaculaire en Uttar Pradesh (Nord), l’Etat le plus peuplé de la fédération. Le Congrès y a plus que doublé son capital de sièges. Le grand architecte de cette reconquête s’appelle Rahul Gandhi, le fils de Sonia Gandhi.
A l’âge de 38 ans, M. Gandhi incarne le rajeunissement du Congrès. Il figure l’avenir du parti tout en perpétuant la dynastie familiale Nehru-Gandhi. Son nom est déjà cité pour remplacer à moyen terme M. Singh au poste de premier ministre. Rahul Gandhi, ou l’étoile montante de la politique indienne, celui qui devra acquitter la mission « historique » assignée par sa mère.
Frédéric Bobin
* Article paru dans le Monde, édition du 19.05.09.
FIN DES ÉLECTIONS LÉGISLATIVES
Scrutin. 714 millions d’Indiens sont invités à renouveler l’Assemblée nationale (Lok Sabha) selon le mode de scrutin majoritaire à un tour. Entamées le 16 avril, les opérations de vote ont été étalées en cinq phases dans les 35 Etats et territoires de la fédération et s’achèvent mercredi 13 mai. Les résultats seront proclamés samedi 16 mai.
Système parlementaire. Hérité de l’ère coloniale britannique, le système parlementaire de type Westminster est en vigueur en Inde depuis l’indépendance de 1947. Les élections législatives ont lieu tous les cinq ans.
Coalition. Depuis le début des années 1990, l’Inde vit sous le régime des coalitions parlementaires, aucun parti n’étant en mesure d’emporter une majorité absolue à l’Assemblée. Après une longue éclipse, le Parti du Congrès, la matrice de l’Inde indépendante, est revenu au pouvoir en 2004 à la tête d’une coalition de centre-gauche. Le Bharatiya Janata Party (droite nationaliste hindou), son plus sérieux rival, a dirigé le pays de 1998 à 2004, également au sein d’une coalition.