Le lendemain même du match France-Tunisie où La Marseillaise avait été sifflée, Nicolas Sarkozy et son gouvernement lançaient une offensive mettant à l’index et livrant à la vindicte publique les jeunes des quartiers populaires. La secrétaire d’État à la Politique de la ville, Fadela Amara entonnait un cri de guerre : « Pas de pitié pour ces gens-là. » Bernard Laporte affirmait : « Plus de match contre l’Algérie, le Maroc, la Tunisie au Stade de France. » Roselyne Bachelot menaçait d’interrompre à l’avenir les matchs où La Marseillaise serait sifflée. La gauche, elle aussi, s’est offusquée : « C’est inadmissible de tolérer ça dans les stades » (Ségolène Royal) ; « Le Premier ministre a eu raison. Oui, il faut arrêter le match. Il faut dire non à des comportements qui mettent à mal l’union nationale, l’identité, la République » (Manuel Valls) ; « Un sentiment de colère et une volonté de condamnation » (Marie-George Buffet).
Nous ne joignons pas nos voix à ce concert indécent, car ces sifflets sont légitimes. Ce que les jeunes ont sifflé, ce sont la politique de discrimination dont ils sont l’objet, l’abandon des quartiers populaires où les promesses ne sont jamais tenues, le harcèlement et les violences des forces de l’ordre à leur égard, les expulsions des sans-papiers.
Le fait qu’aujourd’hui, grâce à Sarkozy, siffler l’hymne national soit passible d’une condamnation est une atteinte à la liberté d’expression la plus élémentaire. Cela s’inscrit dans le cadre d’une logique sécuritaire sans fin. Le jour du match, l’état-major de la direction centrale de la sécurité publique française présentait ses nouvelles techniques pour faire face à de possibles révoltes dans les quartiers populaires : mobilisations de plusieurs centaines de policiers sur un même lieu, dont une partie en civil, répartition en petits groupes, flash-balls, hélicoptères et drones (petits avions sans pilote), utilisation systématique de la garde à vue de 96 heures.
C’est un véritable dispositif d’exception dans les banlieues et les quartiers populaires que le ministère de l’Intérieur est en train de mettre en place. Et c’est bien contre cette politique-là, et avec les siffleurs, qu’il faut aujourd’hui se mobiliser.
Léonce Aguirre (Editorial)
Fantasmes coloniaux
« S’il est des « affaires d’État », pour paraphraser le titre du Parisien du 16 octobre, qui explosent au nez des gouvernants, il en est d’autres qu’ils construisent savamment. L’exploitation des sifflets qui, deux jours auparavant, avaient accueilli l’hymne national en prélude à la rencontre footbalistique France-Tunisie entre dans cette seconde catégorie. L’occasion n’était-elle pas trop belle, en pleine débâcle des marchés financiers, de jouer sur les émotions contradictoires du pays, d’opposer une fraction de ses habitants à l’autre ? La démarche n’avait-elle pas si bien réussi à notre monarque élyséen à l’occasion de la dernière présidentielle ? Sauf que, en l’occurrence, on aura fait remonter à la surface des discours et comportements si nauséeux qu’ils pourraient, demain, allumer des incendies immaîtrisables.
Passe encore que Le Figaro du lendemain de la rencontre titre sur « L’indignation générale ». Mais que son éditorialiste, Yves Thréard, s’en prenne à la tenue même d’un tel match – pensez donc, une rencontre avec la Tunisie en plein « 9-3 »… – et qu’il se croit obligé, dans la foulée, de stigmatiser avec la plus extrême violence « un public composé en grande partie de jeunes Français issus de l’immigration maghrébine », voilà qui fait brutalement resurgir les vieux fantasmes coloniaux de la droite hexagonale. Qu’un autre de ses confrères, Michel Lepinay, dans Paris-Normandie, y aille, lui, de sa dénonciation globalisante de ces « banlieues où le respect des symboles de la République n’est pas la première préoccupation », cela confortera les siffleurs dans le sentiment qu’ils sont l’objet d’un véritable apartheid. Que le porte-plume de La Montagne pense enfin l’heure venue de plagier Déroulède pour évoquer une Marseillaise « qui vous mouille les yeux quand le drapeau monte au ciel olympique », et vous aurez réuni les ingrédients d’un climat idéologique des plus préoccupants, au moment où la crise risque d’attiser les peurs et les replis dans l’opinion.
Certes, quelques éditorialistes échappent à cette ambiance poisseuse. Tel Jean-Marcel Bouguereau qui, dans La République des Pyrénées, rappelle opportunément que l’on est « en train de réduire drastiquement les dotations publiques aux collectivités territoriales » et de « vider de son sens la loi SRU ». Mais ils sont bien peu nombreux…
Christian Picquet (La gazette des gazettes)