Alors même que les Bourses dévissent, que les banques accumulent les déficits, que le capitalisme est plongé dans une crise historique, voilà qu’une certaine presse et qu’une grande partie de la classe politique n’avaient, ces derniers jours, d’yeux et d’oreilles que pour « l’affaire Rouillan ». Qu’importe que tout ceci ne se solde au final que par le retour inique d’un homme en prison ; que personne ou presque ne s’interroge sur les conditions juridiques de ce retour préventif dans l’institution carcérale ; que personne ne s’interroge sur l’univers carcéral lui-même. Qu’importe, car l’essentiel est ailleurs : salir la naissance du nouveau parti anticapitaliste, jouer de cet air mille fois connu de l’amalgame entre violence et révolution.
« Le capitalisme est en crise », nous a dit, à Toulon, Nicolas Sarkozy, mais l’anticapitalisme serait bien pire, c’est le collectivisme et le totalitarisme… Et quelques jours plus tard, la presse sarkozyste d’enchaîner sur les liens consanguins qui uniraient la contestation du système et les actes terroristes. Une campagne menée par une droite réactionnaire, dont la détermination à une application maximale des peines est, on le sait, à géométrie variable. Que l’on se souvienne de l’immense protection dont a bénéficié Papon, condamné, lui, pour « complicité de crime contre l’humanité », et finalement libéré pour raison de santé.
Nous avons toujours combattu l’acharnement judiciaire contre les anciens d’Action directe, comme pour d’autres d’ailleurs, parce qu’il s’agit d’un combat démocratique élémentaire. Nous n’allons pas changer. C’est un emprisonnement honteux que subit Jean-Marc Rouillan, et nous exigeons sa libération immédiate, lui qui a déjà passé plus de vingt ans en prison, dont de nombreux en quartier de haute sécurité. Mais quiconque s’est penché avec sérieux sur la question connaît notre position sur les méthodes et les actions du groupe Action directe. Pour nous, la révolution, la transformation radicale de la société, est fondamentalement un acte démocratique, en ce sens qu’il implique des millions d’hommes et de femmes qui prennent leurs vies en main, sur leurs lieux de travail et d’habitation. C’est l’irruption des opprimés, des exploités dans la gestion de la société, et donc certainement pas des actes minoritaires, où un petit groupe décide, en posant une bombe ou en assassinant, d’agir pour le bien du peuple.
Les actions terroristes ne sont jamais des actes émancipateurs. La violence n’est légitime que contre l’oppression, la dictature et les coups d’État militaires. C’est la contre-révolution, d’ailleurs, qui, dans notre histoire contemporaine, a fait couler le sang : le sang des communards, des antifascistes et républicains espagnols, des insurgés en 1956 à Budapest, des victimes de Pinochet et des autres dictatures du « monde libre » d’Amérique latine. Alors, oui, tout processus de remise en cause de l’ordre social a le droit de se défendre contre la violence des possédants. Ce sont les problèmes que se sont posés les mouvements de résistance : l’autodéfense face à la répression.
Dans les États où les populations ont conquis des droits démocratiques, des possibilités d’expression et d’organisation, comme la liberté de la presse, le suffrage universel, le droit de grève et de manifestation, les opprimés et les exploités disposent des moyens de lutter, de contester. Sans que ceux-ci soient bornés par les limites du « cercle de la raison », cher à Alain Minc, qui consiste à accepter les institutions actuelles et l’économie de marché, c’est-à-dire, un espace « démocratique » où tout est discutable, sauf l’essentiel : les institutions antidémocratiques de la Ve République et la propriété capitaliste ! Un comble, d’ailleurs, puisque la Ve République est née d’un putsch, d’un coup d’État militaire à Alger, qui a permis à de Gaulle de revenir au pouvoir.
C’est ce cadre de respect des institutions capitalistes qu’acceptent des partis de gauche comme le PS, les Verts ou le PCF… Ce n’est pas notre projet, qui vise à une démocratie « poussée jusqu’au bout », qui ne se limite pas au suffrage universel, mais qui franchisse la porte des entreprises, qui permette à la population un véritable contrôle de son destin.
Pierre-François Grond
* Paru dans Rouge n° 2269, 09/10/2008.
Annexe
Les actes que nous rejetons sans hésiter et qui ont conduit à la condamnation de Jean-Marc Rouillan ont des antécédents dans l’histoire, mais de l’autre côté du champ politique. Souvent avec une ampleur sans commune mesure, ils n’ont donné lieu à aucun regret et pourtant ces personnes ont été libérées et parfois rétablies dans tous leurs droits.
Le cas de l’OAS
Selon les historiens l’Organisation de l’Armée Secrète (OAS), groupe armée d’extrême droite luttant contre l’indépendance algérienne et ses partisans a provoqué la mort de 1700 à 12500 personnes, suivant les diverses estimations. D’autres parmi les plus impliqués se sont réfugiés à l’étranger. Dès le mois de décembre 1964, les prisonniers condamnés à des peines inférieures à quinze ans de détention sont amnistiés. En mars 1966, une centaine de condamnés sont graciés et, trois mois plus tard, une seconde loi d’amnistie efface les condamnations des condamnés libérés. Le général Jouhaud, condamné à perpétuité, est libéré en décembre 1967. En 1968, les derniers anciens de l’OAS sont amnistiés par De Gaulle au nom du rassemblement contre « la chienlit ». ». En juillet 1974, une amnistie complémentaire efface d’autres condamnations pénales. En décembre 1982, la gauche au pouvoir les officiers survivants sont réintégrés dans les cadres de l’armée par une nouvelle amnistie. En 1987, une loi sur les rapatriés amnistie les dernières condamnations encore effectives.
L’exemple de Jean-Jacques Susini
En 1959, Jean-Jacques Susini est président de l’Association générale des étudiants d’Algérie. Arrêté en janvier 1960, après la semaine des barricades, il est incarcéré à la prison de la Santé. Il est condamné 2 fois par contumace, à la peine de mort par la Cour de sûreté de l’État, pour son appartenance à l’O.A.S et comme inspirateur de l’attentat manqué contre le Président de la République française Charles de Gaulle, au mémorial du Mont Faron dominant Toulon, en août 1964. Une bombe placée dans une jarre n’explosa pas et fut découverte quelques jours plus tard. Amnistié sur décision du général de Gaulle en 1968, avec les autres dirigeants de l’O.A.S. encore incarcérés, il revient en France, mais, soupçonné d’avoir commandité un hold-up, il est à nouveau arrêté en mars 1970 et placé seize mois en détention Candidat pour le Front national en 1997 dans les Bouches-du-Rhône. Il n’a pas subi 21 ans de taule comme Rouillan et a été amnistié sans n’avoir rien regretté !
L’exemple de Papon
Maurice Papon, responsable de la déportation, entre juillet 1942 et mai 1944, près de 1600 juifs de Bordeaux vers Drancy. Il a été confirmé après-guerre dans ses fonctions par le général de Gaulle et n’a pas été inquiété par la Commission d’épuration. D’abord nommé préfet des Landes, il réintègre le ministère de l’intérieur en octobre 1945. Selon Olivier Guichard, le général de Gaulle « connaissait parfaitement le passé » de ce fonctionnaire qui l’a reçu personnellement après la libération de Bordeaux. Dans le Massacre du 17 octobre 1961, à Paris, les forces de police placées sous l’autorité de Papon répriment très brutalement une « marche de paix » organisée par le FLN algérien : un grand nombre de civils algériens trouvent la mort. Le 8 février 1962, une manifestation contre l’OAS, interdite par le ministère de l’intérieur, est brutalement réprimée. Huit manifestants sont tués suite aux coups reçus ou périssent étouffés en fuyant l’extrême brutalité de la police, dans la bouche de métro Charonne : c’est l’affaire de la station de métro Charonne. Un neuvième meurt peu après des suites de ses blessures. De 1978 à 1981, il est ministre du Budget dans les deuxième et troisième gouvernements de Raymond Barre.
Papon était donc accusé d’avoir fait déporter, entre juillet 1942 et mai 1944, près de 1600 juifs de Bordeaux vers Drancy. Maurice Papon n’était, cependant, renvoyé devant les assises que pour soixante-douze victimes entre 1942 et 1944. La cour d’assises a estimé que Maurice Papon n’avait pas connaissance de l’extermination des juifs. Seules ont été retenues, pour quatre convois sur huit, des complicités d’arrestation et de séquestration.
Il est condamné en 1998 à une peine de dix ans de réclusion criminelle.
Laissé en liberté provisoire au début de son procès par une décision de la cour d’assises de la Gironde présidée par Jean-Louis Castagnède, Maurice Papon s’enfuit en Suisse en octobre 1999 à la veille de l’examen de son pourvoi en cassation ; ne s’étant pas mis en état (c’est-à-dire constitué prisonnier avant l’examen de son pourvoi), il est déchu de son pourvoi. Arrêté au bout de quarante-huit heures dans un hôtel helvétique, et aussitôt extradé, Maurice Papon est finalement emprisonné à la prison de Fresnes, dont il sort le 18 septembre 2002, après trois années de détention, sur la base d’un avis médical concluant à « l’incompatibilité de son état de santé avec la détention en raison de son état de santé ». Il est sorti guilleret, sur ses deux jambes.
Certes, tout ceci ne vaut pas approbation des meurtres d’Action Directe car nous ne confondons pas plus aujourd’hui qu’hier l’action révolutionnaire de masse avec le terrorisme que nous rejetons sans hésiter. Mais les leçons de morale qui viennent des dirigeants de la droite n’ont aucune légitimité et ce qui précède montre bien leur caractère totalement hypocrite et de circonstance. Quant aux dirigeants du PS, ils ne savent plus quoi faire pour empêcher la progression du NPA, l’impact de notre politique sur leur frange militante et sympathisante, et ils ont cru trouver une solution miracle pour desserrer l’étau. Il est tout de même pathétique de voir à quel point les calculs politiciens remplacent vite les principes démocratiques. Comme si Rouillan venait de tuer Besse et Audran, comme s’il n’avait pas déjà purgé 21 ans de réclusion dont plusieurs années de QHS... On aurait aimé plus de pugnacité de la part des socialistes contre la politique de la droite, et du Medef, contre les licenciements, toutes ces politiques antisociales qui sèment le désespoir et parfois même la mort... par le suicide. Et on aurait aimé plus de continuité avec la position de Mitterrand qui accordait le droit d’asile aux italiens des « années de plomb ».
Samy Johsua