GAUCHES : Poussées multiples
Refusant d’afficher un profil totalement antidroite, en acceptant notamment des alliances avec le Modem, le Parti socialiste ne capte, au premier tour des municipales, qu’une partie du mécontentement.
Le premier tour de l’élection municipale est marqué par l’expression d’un rejet de la droite, qui s’est portée sur les listes de gauche. Le PS, principal parti institutionnel présent et implanté dans les communes urbaines, bénéficie en premier lieu de ce mouvement. Mais, force est de constater l’émergence d’un courant de gauche anticapitaliste, la résistance des villes dirigées par le PCF, les scores des Verts – en baisse globalement mais encore significatifs. En bref, une élection qui, au contraire des élections régionales et européennes de 2004, n’a pas été confisquée par le Parti socialiste. Cette situation s’explique par un contexte social de mobilisation ascendante, en particulier concernant les salaires et le pouvoir d’achat, et par l’absence d’une opposition politique et sociale déterminée à la politique de Sarkozy par les partis traditionnels de la gauche.
Cette poussée devra être confirmée au second tour. Mais, d’ores et déjà, de nombreuses villes ont basculé ou devraient changer de camp, le 16 mars. Laval, Bourg-en-Bresse, Alençon ont basculé dès le premier tour, tandis que des villes comme Rouen, Strasbourg, Périgueux pourraient effectuer le même mouvement dans quelques jours. La situation est moins claire à Marseille et Toulouse, où les résultats pourraient d’ailleurs masquer les tendances de fond. À Paris et à Lyon, le PS confirme son ancrage, mais la situation se contraste dès que l’on s’éloigne des centres-villes. Ce mouvement électoral pourrait être plus fort et sans appel, si la direction du PS jouait totalement la carte antidroite sur fond de contestation sociale.
Mais, en choisissant le Modem comme partenaire privilégié et médiatisé, le Parti socialiste poursuit ses alliances vers la droite, son ancrage social-libéral et, donc, son incapacité sur le fond à contester les choix économiques et sociaux du gouvernement. Exprimée très clairement par Ségolène Royal, cette orientation est, de fait, appliquée dans la plupart des villes tests du rapport de force national. Cette alliance avec Bayrou, nouée par exemple à Marseille, a une conséquence politique : le refus d’accepter des fusions techniques permettant aux listes de la gauche radicale ayant franchi 5 % de pouvoir siéger dans les conseils municipaux, et donc de représenter leurs électeurs et électrices. Le PS a choisi les grandes villes, pour leur sociologie particulière, et une alliance Modem-Verts dont on verra dès le 16 mars l’efficacité politique nationale en dehors de Paris. Nous vivons donc une situation paradoxale, où le PS marque des points électoraux et institutionnels, un peu malgré lui et en déphasage avec sa stratégie.
Ce qui laisse beaucoup d’espace à gauche du PS, et ce qui a permis en particulier au PCF de reculer moins que prévu. Un gain de deux villes (Dieppe et Vierzon), une perte de quatre de plus de 15 000 habitants, le passage de la gestion de la Seine-Saint-Denis au PS, mais aussi le maintien de l’essentiel des communes où le PS avait décidé des primaires dressent un tableau contrasté de la situation. Pour la direction du PCF, il va être clair que la stratégie d’Union de la gauche avec le PS est payante électoralement, ou plus exactement vitale du point des intérêts de l’appareil du PCF. Mais cette préservation de l’essentiel du « communisme municipal » ne règle en rien l’avenir d’un parti satellisé par la social-démocratie. Ce qui amène le PCF à protester contre l’alliance avec le Modem, sans avoir les moyens de la bloquer et en participant à des listes où sont présents des représentants du parti de François Bayrou.
L’acceptation des « réalités » de la gestion municipale et des contraintes capitalistes, avec le cortège de privatisations de services publics et d’insatisfaction des besoins sociaux, explique l’espace conquis par les listes de la gauche anticapitaliste.
Pierre-François Grond
DROITE : Elle dit qu’elle résiste…
Entre poussée à gauche et divisions à droite, Sarkozy et son gouvernement sortent affaiblis du premier tour des municipales. Le Modem confirme son opportunisme et le FN son déclin électoral.
Malgré le défilé de membres du gouvernement décrivant des « résultats plus équilibrés que ce qui était annoncé » (François Fillon), « une grande diversité des situations locales » (Rama Yade) ou tentant de dépolitiser les résultats des élections en minimisant les enjeux nationaux, force est de constater que le premier tour des municipales, s’il n’est pas une déroute, constitue un revers sérieux pour l’équipe en place. Malgré Alain Juppé, qui doit se féliciter de ne pas être au gouvernement et qui a tenu à préciser que sa victoire n’était pas une victoire de l’UMP, et malgré les succès de Laurent Wauquiez au Puy-en-Velay et de Luc Chatel à Chaumont, « l’avertissement », comme le caractérise la presse, est substantiel. Dès le premier tour, la droite perd Rouen, Rodez, Alençon, Chalon-sur-Saône, Laval, et elle se trouve en position difficile dans plusieurs grandes villes, comme Marseille, Toulouse, Caen ou Strasbourg. De plus, elle ne parvient pas à reprendre pied à Lyon et à Paris, victoires majeures du PS en 2001, deux villes dans lesquelles les socialistes sortent confortés du premier tour.
Il y a du rififi à droite, avec de nombreuses listes dissidentes. Dans le 20e arrondissement de Paris, par exemple, le dissident devance le candidat officiel de l’UMP, et aucun des deux candidats n’atteint les 10 %, donc la droite est éliminée dès le premier tour. La bataille à Neuilly incarne ces divisions jusqu’à la caricature, puisque les soutiens des candidats Fromentin (soutenu par l’UMP) et Teullé (dissident et ex-patron de l’UMP locale) en sont venus aux mains hier soir. Il est vrai que, si le candidat officiel devance largement son concurrent, il est contraint à un second tour inédit depuis la Libération… Il semble bien, au regard de ce premier tour, que l’UMP, créée avec la prétention d’unifier toute la droite en un seul parti, n’ait pas tout à fait atteint ses objectifs. Et les difficultés qui s’accumulent à l’horizon risquent fort d’entraîner de nouvelles divisions, surtout si, comme Fillon l’affirme, « le cap des réformes est tenu », avec le degré d’affrontement que cela implique et auquel l’unité de la droite, déjà mise à mal, n’est pas sûre de résister.
En ce qui concerne le Modem, les municipales ont confirmé sa nature profondément opportuniste. Avec des alliances à géométrie variable et une orientation illisible entre les deux tours, il ne constitue essentiellement qu’une somme de baronnies locales qui jouent leur survie, allant un coup à gauche, un coup à droite (sans compter celles qui ont déjà rejoint l’UMP ou le Nouveau centre avec armes et bagages). À Paris, Marielle de Sarnez (Modem), courtisée par Françoise de Panafieu (UMP), semblait plutôt pencher pour un partenariat avec la gauche – vu les scores des listes de Delanoë, on comprend pourquoi ! – mais, à Pau, Bayrou tente de ravir une ville au PS ! Il faut avouer qu’en fait de rejet de la politique politicienne, en fait de volonté de « faire de la politique autrement », le Modem se pose là !
Reste un aspect important de ce premier tour : les résultats du Front national, au-delà du pari perdu de Marine Le Pen à Hénin-Beaumont (Pas-de-Calais), confirment celui de la présidentielle et des législatives. Alors même que la cote de popularité de Sarkozy s’est effritée, notamment dans les secteurs anciennement d’extrême droite, ce qui laissait augurer une remontée des scores du FN, l’UMP parvient de nouveau à les canaliser, ce qui indique la profondeur du déclin du parti de Jean-Marie Le Pen. À Tourcoing, l’un de ses bastions municipaux, le FN recule de plus de dix points, à Lille de plus de 5. C’est une bonne nouvelle : ce n’est pas de ce côté de l’échiquier politique qu’on trouve, cette fois, l’expression électorale d’un mécontentement pourtant bien réel.
Ingrid Hayes
Poussée du mécontentement
La soirée électorale à la télévision, au soir du premier tour des élections municipales, le 9 mars, était symptomatique du climat social et politique dans le pays. Jusqu’au dernier moment, France 2 ne savait pas s’il lui serait possible de réaliser ses programmes, du fait de la grève des techniciens qui défendent le respect de leur convention collective. Les grévistes s’invitaient dans le débat politique comme, dans tout le pays, le mécontentement populaire a su utiliser les élections pour s’exprimer dans les urnes.
Et c’est bien un camouflet que Sarkozy et ses amis ont reçu. Certes, le discrédit des grands partis institutionnels, la méfiance vis-à-vis de la gauche gouvernementale, le sentiment d’impuissance face à la politique du patronat et de la droite ont entraîné une forte abstention dans bien des quartiers populaires. Si l’abstention recule, par rapport à 2001, sur l’ensemble du pays de 32,6 % à 29,5 %, elle atteint souvent plus de 50 % dans les quartiers populaires et les cités. Les revers de la droite ont ainsi été atténués, d’autant qu’une large fraction de l’électorat d’un FN en déroute financière et politique s’est reportée sur les candidats UMP.
Cela ne peut masquer la sanction, la condamnation de la politique réactionnaire et antiouvrière du gouvernement, sa politique de régression sociale, qui se sont exprimées dans les urnes. Les Fillon, Dati et autres ministres se bousculent maintenant pour expliquer que tout cela relève d’élections locales, que le gouvernement n’a pas été désavoué, qu’il faut poursuivre les réformes... Ils ferment les yeux et se bouchent les oreilles pour s’engager dans la fuite en avant. Sarkozy l’a annoncé, dès avant le premier tour, après avoir dit l’inverse quelques semaines auparavant, on ne change rien, on continue...
Cette attitude bornée et arrogante, provocatrice à l’égard de la population parce que se vantant d’oser continuer les agressions sociales, pourrait bien contribuer, dès dimanche 16 mars, à aggraver leurs échecs. Ils ne peuvent que renforcer le sentiment d’exaspération qui a permis à la gauche, malgré son inconsistance, de remporter une victoire. À peine celle-ci obtenue, les dirigeants du PS, en particulier Ségolène Royal, ont appelé à faire des accords pour le deuxième tour avec le Modem de Bayrou. Au lieu de se tourner vers les travailleurs et les classes populaires, ils se tournent vers la droite, parce qu’ils craignent le mécontentement et les mobilisations. Partout où cela était possible, comme par exemple à Toulouse ou à Marseille, le PS a rejeté les propositions de fusion technique que nous lui avions faites. Et le Parti communiste de suivre, servilement.
Les dirigeants du PS agissent comme s’ils voulaient éviter à tout prix que leur succès ne soit trop perçu comme un encouragement aux mobilisations. Si nous souhaitons, sans illusion sur cette gauche libérale, que, dimanche 16 mars, le camouflet qu’a reçu la droite soit amplifié, c’est parce que sa défaite sur le terrain électoral encouragera les luttes, contribuera à un mouvement de l’ensemble des travailleurs. Cette défaite électorale pourrait être le prélude de sa défaite sociale.
Le mécontentement, qui s’est partiellement exprimé dans les urnes, sourd de partout, s’approfondit, s’exprime dans de multiples conflits locaux dans les entreprises. Les contradictions à l’œuvre isolent de plus en plus Sarkozy et son gouvernement, alors qu’à l’opposé, les forces du monde du travail se libèrent de plus en plus de l’influence de la gauche gouvernementale. Cette évolution s’est manifestée par la percée électorale des listes présentées ou soutenues par la LCR, une percée modeste, mais bien réelle, profonde.
Les candidats qui se sont rassemblés dans plus de 200 listes présentées ou soutenues par la LCR se sont fait les porte-parole des exigences des travailleurs, de la population. Ils ont, le plus souvent, recueilli plus de 5 % des voix, parfois plus de 10 %. À travers eux, comme à travers le porte-parole de la LCR, Olivier Besancenot, se sont exprimées la détermination et les aspirations d’une large fraction du monde du travail et de la jeunesse. Ils entendent continuer à agir en ce sens sur les lieux de travail, dans les quartiers, dans la rue pour que le large courant politique qui s’est exprimé en votant pour eux se rassemble, s’organise, donne naissance à un nouveau parti des travailleurs.
Quel que soit le résultat du deuxième tour des municipales, là est le fait essentiel de ces élections. Un nouvel axe politique de regroupement de toutes celles et de tous ceux qui refusent de se plier à la logique du système émerge, posant la question d’une autre répartition des richesses, c’est-à-dire de qui dirige l’économie et la société, au nom de quels intérêts. L’autisme de la droite, prise entre la pression de la crise du capitalisme mondialisé et les exigences des classes populaires, annonce un affrontement social et politique. Nous y préparer, c’est regrouper les forces des révolutionnaires, des anticapitalistes et des antilibéraux dans un même parti, capable d’œuvrer à l’unité démocratique des travailleurs pour les luttes.
Yvan Lemaitre
Premier plan