EmmanuelEmmanuel Macron a fini par lâcher – à moitié – Amélie Oudéa-Castéra. Le président de la République a profité de la deuxième vague de nominations gouvernementales, jeudi 8 février, pour débarquer sa ministre de ses fonctions à l’Éducation nationale et à la jeunesse. C’est Nicole Belloubet, ancienne garde des Sceaux (2017-2020), qui récupère le ministère de la rue de Grenelle.
La pression était forte sur les deux têtes de l’exécutif pour remplacer Amélie Oudéa-Castéra, accablée par les critiques et les polémiques. Depuis la révélation par Mediapart de la scolarisation de ses enfants au collège privé Stanislas, mi-janvier, l’avalanche des affaires n’a jamais cessé : mensonge sur l’absentéisme présumé de l’ancienne institutrice de son fils, choix de la non-mixité pour ses enfants, contournement de Parcoursup, rapport parlementaire critiquant ses émoluments passés et son action au ministère des sports, démission du recteur de Paris…
Face à l’évidence, Emmanuel Macron a tenté de trouver une ligne de crête. Amélie Oudéa-Castéra quitte le ministère de l’éducation nationale, où les syndicats enseignants ne cessaient de souligner son impéritie, mais elle retrouve son bureau du ministère des sports. À moins de six mois des Jeux olympiques et paralympiques de Paris, l’exécutif a choisi la stabilité à ce poste exposé. Mais le risque politique, lui, est grand : en froid avec Gabriel Attal, en rupture avec une partie de la majorité et en grande difficulté à la moindre apparition publique, « AOC » saura-t-elle incarner l’événement majeur de l’année ?
Gabriel Attal et Emmanuel Macron au mémorial des Invalides à Paris le 7 février 2024. © Photo Ludovic Marin / AFP
La nomination de Nicole Belloubet, elle, apparaît comme un signal d’apaisement à l’égard de la communauté éducative. Issue du Parti socialiste (PS) dont elle s’est vite tenue à distance, l’ancienne ministre de la justice a été rectrice à Limoges (Haute-Vienne) puis à Toulouse (Haute-Garonne), entre 1997 et 2005. Sa compatibilité avec la ligne politique de Gabriel Attal est moins certaine. En 2016, comme relevé par Marianne, elle dénonçait dans un article « les fariboles sur la restauration de l’autorité ou le port de la blouse » à l’école, deux concepts au cœur de sa nouvelle feuille de route.
Sa nomination Rue de Grenelle est la principale attraction d’un remaniement aussi long que laborieux. Le gouvernement Attal est donc au complet, avec ses 35 membres, un mois après la nomination du nouveau premier ministre. N’y figure pas François Bayrou, président du MoDem, relaxé lundi dans l’affaire des assistants parlementaires – en attendant un deuxième procès devant la cour d’appel. « Je n’entrerai pas au gouvernement […] faute d’accord profond sur la politique à suivre », avait-il déclaré mardi soir à l’AFP.
L’ancien ministre de l’éducation nationale (1993-1997) avait fait savoir, sitôt la décision de justice prononcée, qu’il était disponible pour retrouver le bureau quitté vingt-cinq ans plus tôt. Lundi puis mardi, il a négocié pied à pied avec les deux têtes de l’exécutif. Parmi ses revendications, figurait la volonté d’être ministre d’État, numéro 2 du gouvernement, chargé de l’Éducation nationale, et d’être accompagné d’au moins quatre membres du MoDem.
Le psychodrame Bayrou
Sur la ligne politique aussi, des divergences ont fait échouer le retour de François Bayrou au gouvernement. À la tête de l’Éducation nationale, le maire de Pau (Pyrénées-Atlantiques) souhaitait pouvoir revenir sur les décisions prises par Gabriel Attal Rue de Grenelle, à commencer par les groupes de niveau au collège, très critiqués. « On peut redresser l’Éducation nationale [mais cela] demande un choix politique qui est de faire ça avec les enseignants », a-t-il confirmé sur France Info jeudi, critiquant la « musique de fond » selon laquelle « les enseignants ne travaillent pas assez ».
Par-delà les questions éducatives, François Bayrou a dénoncé un « déséquilibre politique » au sein du gouvernement, jugé trop à droite, et évoqué une « crise et une incompréhension croissantes entre le pouvoir et la base ». Des charges violentes, venant du principal allié d’Emmanuel Macron. L’épisode pourrait laisser des traces dans les mois à venir, et particulièrement à l’Assemblée nationale, où la situation de majorité relative rend les 51 voix du MoDem indispensables. « Attal va payer cher, glissait jeudi matin un député du groupe. À chaque fois qu’il y aura un texte à l’Assemblée, il devra nous baiser les babouches pour qu’on vote. »
Au sein même du parti centriste, le coup de pression de François Bayrou n’a pas fait que des heureux. Figure du mouvement et président de la commission des affaires étrangères à l’Assemblée nationale, Jean-Louis Bourlanges a dénoncé un MoDem en « pleine incohérence » par la faute de son fondateur. « François Bayrou a décidé sans aucune concertation avec personne d’afficher un désaccord de fond avec la majorité présidentielle, a-t-il souligné. [Ce que l’on fait] revient à affaiblir dangereusement notre camp tout en nous discréditant nous-mêmes. C’est politiquement inepte et moralement dégradant. »
S’il a contribué à l’étirer dans les derniers jours, le coup de pression de François Bayrou ne suffit pas à expliquer le temps pris par Emmanuel Macron pour composer son gouvernement. Depuis qu’il a changé de premier ministre, début janvier, le chef de l’État a donné l’impression de procrastiner pour s’entourer. À quelques heures du communiqué envoyé par l’Élysée, plusieurs membres du gouvernement ne savaient pas quel serait leur sort.
Pendant près d’un mois, des sujets aussi centraux que le logement, les transports, la santé ou l’enfance sont restés sans titulaire dédié, donc sans interlocuteur direct pour les administrations et les corps intermédiaires. Les ministres et leurs collaborateurs de cabinet ont dû, quant à eux, rester chez eux et attendre – certains conseillers faisant part des difficultés financières et logistiques suscitées par la longueur du temps d’attente.
Dans les derniers jours, le suspense a viré au supplice dans la majorité, où les ambitions de « monter » au gouvernement se faisaient de plus en plus bruyantes. « L’ambiance est délétère, confiait une cadre macroniste. Ça mélange l’humiliation, la honte, la dévaluation… La façon dont ça a été géré relève de l’amateurisme au mieux, du mépris au pire. » Même parmi les député·es Renaissance les plus fidèles au chef de l’État, les retours résonnaient en écho : « Personne n’y comprend rien », « C’est incroyable », « Mais qu’est-ce qu’ils font ? »...
Le grand jeu de bonneteau
Du point de vue des ministres sortant·es, dont une grande partie a finalement été renouvelée, l’anticipation n’a pas été plus grande. Agnès Firmin-Le Bodo, éphémère ministre de la santé, n’a appris que le 7 février qu’elle ne serait pas renommée au gouvernement. Après avoir eu la garantie qu’elle serait rappelée au même poste – c’est en tout cas ce qu’elle avait fait savoir à la presse –, Agnès Pannier-Runacher a appris au dernier moment qu’elle assisterait Marc Fesneau au ministère de l’agriculture… sans avoir d’affectation particulière.
Le casting final donne l’impression d’être le résultat d’un immense jeu de bonneteau. Pour le président de la République, l’enjeu était surtout de recaser les ministres jugé·es méritant·es. Qu’importe le flacon… Après Aurore Bergé passée des solidarités à l’égalité hommes-femmes, et en plus d’Agnès Pannier-Runacher passée de l’énergie à l’agriculture, le remaniement voit Franck Riester retourner au commerce extérieur, qu’il avait quitté en 2022, Jean-Noël Barrot hériter des affaires européennes, Patrice Vergriete lâcher le logement pour les transports et Sarah El Haïry nommée à l’enfance, à la jeunesse et aux familles – après s’être occupée de la jeunesse puis de la biodiversité.
D’autres membres du gouvernement restent à la leur place. C’est le cas des ministres délégué·es Thomas Cazenave (comptes publics), Dominique Faure (collectivités et ruralité), Olivia Grégoire (entreprises, tourisme et consommation), Fadila Khattabi (handicap) ou Roland Lescure (qui ajoute l’énergie à son portefeuille de l’industrie).
Les secrétaires d’État Sabrina Agresti-Roubache (ville et citoyenneté), Patricia Mirallès (anciens combattants et mémoire) et Chrysoula Zacharopoulou (développement international) sont logées à la même enseigne. À l’inverse, plusieurs ex-ministres ont vu leurs derniers espoirs de nomination douchés, au premier rang desquels Olivier Dussopt, Clément Beaune et Olivier Véran.
Parmi les rares entrant·es figurent le député Horizons Frédéric Valletoux, nommé à la santé, une députée MoDem peu connue, Marina Ferrari, chargée du numérique. Deux députés Renaissance font figure d’heureux élus, au sein d’un groupe où les ambitions se comptaient par dizaines. Tous deux marqués à droite, comme le centre de gravité de cette équipe gouvernementale, Marie Guévenoux et Guillaume Kasbarian héritent respectivement des outre-mer et du logement. La première n’a jamais manifesté un quelconque intérêt pour les sujets ultramarins, pourtant sensibles et nombreux.
Le second, lui, est un expert des questions de logement. Au sein du secteur, il s’est fait une ribambelle de contempteurs lorsqu’il a porté la loi anti-squats, adoptée avec les voix de la droite et de l’extrême droite. Un texte dont Olivier Klein, alors ministre du logement, disait le plus grand mal, à l’unisson des rapporteurs spéciaux des Nations unies. La Défenseure des droits et la Commission nationale consultative des droits de l’homme (CNCDH) avaient également exprimé leur vive réprobation de la « loi Kasbarian ».
Tout ce beau monde se réunira mercredi 14 février, a annoncé l’Élysée, pour le premier conseil des ministres du gouvernement Attal au complet. Une équipe paritaire au global, masculine là où cela compte : les deux têtes de l’exécutif sont des hommes, tous les ministères régaliens sont occupés par des hommes, huit ministres de plein exercice sur treize sont des hommes, alors que quatre des cinq secrétaires d’État sont des femmes. La stabilité jusqu’aux tares.
Ilyes Ramdani