Le Forum social européen suivi de
la coordination internationale des mouvements sociaux
et du Conseil international du FSM
Rappel du calendrier de Florence : Plusieurs initiatives et réunions se sont succédées à Florence. A savoir :
- Du 6 au 9 novembre, le Forum propement dit (conférences, etc.).
- Le samedi 9 dans l’après-midi et en soirée : la manifestation et le concert de solidarité.
- Le dimanche 10 en matinée : l’assemblée des mouvements, qui a tracé des perspectives pour l’année à venir.
- Le dimanche 10 dans l’après-midi : une coordination internationale des mouvements sociaux.
- Du lundi 11 au mercredi 13, le Conseil international du Forum social mondial.
Note : L’atelier du comité Attac-IE a dû être annulé. Il devait se tenir dans une commune de la périphérie, à quelque 7 kilomètre du FSE, et il nous était impossible de l’organiser dans ces conditions. Dommage.
Un succès
Le succès du Forum social européen et de la manifestation du samedi a dépassé toutes les attentes. Le rapport qui suit à pour premier objet de fournir une information très synthétique et d’offrir des éléments d’analyse (évidemment discutables) sur ces événements. Il traite aussi de l’ensemble du calendrier de Florence, avec la coordination des mouvements sociaux et le Conseil international du FSM.
I / Le Forum social européen
A. Les diverses facettes d’un succès
Florence a été un très grand succès, sous plusieurs aspects. Il serait intéressant d’y revenir ultérieurement, avec du recul. Pour l’heure et « à chaud », en voici quelques facettes.
1. Ampleur de la participation. Le succès de Florence est d’abord numérique. La participation tant au forum qu’à la manifestation a pulvérisé toutes les prévisions. A l’origine, le comité d’organisation italien prévoyait 5.000 participants au FSE, puis 10.000 et enfin 20.000 peu avant l’échéance. Les chiffres n’ont cessé d’augmenter au fil des jours, et il y aura eu au final presque 60.000 participants. De même, 150.000 manifestants étaient attendus samedi : il y en eu prêt d’un million (la police italienne elle-même à dû admettre le chiffre plancher de 500.000).
2. Victoire politique face à Berlusconi. L’ampleur de la participation constitue par elle-même un important succès politique. Mais le régime Berlusconi avait engagé une véritable épreuve de force contre le FSE. Le gouvernement italien avait menacé de fermer les frontières (levant Schengen et réclamant, qui plus est, des passeports à des Européens, ce qui doit être illégal) et d’interdire la manifestation. Le FSE a été précédé d’une campagne de diabolisation qui a dépassé toutes les bornes, sur le mode (je n’exagère pas) : « Commerçants baissez les rideaux de fer, parents n’envoyez pas vos enfants à l’école, les Barbares arrivent. Florence, ce joyaux historique et artistique, risque d’être dévastée ».
Au final, les rapports de forces ont joué en faveur du Forum. Il y n’y a eu que peu de problèmes aux frontières. La mairie de Florence et la province (de gauche) n’ont pas cédé aux pressions. Une bonne partie de la population de la ville a exprimé son soutien au Forum et à la manifestation. Des dizaines de milliers, puis des centaines de milliers de personnes se sont réunies sans le moindre incident, faisant preuve d’une autodiscipline impressionante. Les commerçant qui ont fermé boutique ont simplement perdu des clients. Et les médias ont dû changer de ton. Berlusconi avait décidé de farie de Florence un test. L’enjeu politique (italien, mais aussi européen) du FSE en était devenu d’autant plus important. Le mouvement a su y répondre, emportant haut la main cette victoire.
3. Affirmation d’une nouvelle génération. La jeunesse était massivement à Florence. La jeunesse, pas seulement des jeunes très jeunes et très nombreux. Ont sentait en effet la présence d’une génération qui, plus qu’aux rendez-vous précédents, s’affirmait collectivement. Avec une forte présence féminine (beaucoup plus forte que sur les tribunes...). Par ailleurs, par-delà le « creux » militant des années 1980-début 1990 (toujours sensible), les 25-35 ans prennent des responsabilités croissantes. De bonnes nouvelles pour ce qui reste de la génération déclinante (celle des années 60-70), qui va pouvoir commencer à décliner plus tranquillement.
4. Elargissement et radicalité. L’ensemble des mouvements et réseaux qui ont préparé Florence, tant sur le plan italien qu’européen, est très large, très diversifié. Au cours d’un long processus de préparation, des centaines d’organisations ont été associé à sa réalisation. Le nombre de participants a été sans précédent pour une initiative de ce type, en Europe (le FSE a été numériquement comparable au second Forum social mondial de Porto Alegre, et la manifestation bien plus ample).
Florence a marqué un degrès de plus dans l’élargissement de ce mouvement d’ensemble, sans que cela porte pour autant atteinte à sa radicalité. La critique « systémique » de l’ordre dominant s’élargit en effet elle aussi : Florence a fait explicitement le lien entre la mondialisation capitaliste et les autres thèmes centraux de mobilisation : le racisme et la guerre. Une nouvelle conscience anticapitaliste (ce qui ne veut pas nécessairement dire une conscience révolutionnaire, du moins au sens où on l’entendait il y a trente ans) s’exprime.
Florence prolonge donc une dynamique engagée dans la seconde moitié des années 1990 qui combine élargissement (en particulier élargissement social) et radicalisation (au sens d’une critique toujours plus « systémique »). C’est cette combinaison rare que certains commentateurs ne peuvent ou ne veulent comprendre (voir plus loin).
5. Convergences européennes. En tant que forum régional, l’un des principaux enjeux de Florence était de favoriser des convergences militantes multiples à l’échelon spécifiquement européen, alors que les résistances à la mondialisation libérales s’exprimaient traditionnellement surtout au niveau national ou directement mondial (même si certaines coordinations se sont déjà affirmées les années passées au niveau européen, comme le pan européen de la Marche mondiale des femmes ou, en précurseurs, les Marches européennes contre le chômage). Il semble que cela se soit bel et bien réalisé, notamment à l’occasion des séminaires. Des réseaux qui s’ignoraient, bien qu’ils agissaient sur le même terrain, se sont rencontrés, des coopérations se sont nouées, des débats se sont engagés. Cela concerne de nombreux terrains de mobilisation : contre la guerre évidemment, mais aussi sur les services publics, l’éducation, la santé, le Rail, etc. C’est d’autant plus notable que le succès n’était ici pas garanti d’avance, car des divergences s’avèrent souvent plus fortes, entre mouvements et courants, à l’échelon européen (politique de l’UE) que mondial.
Cette dynamique de convergences à l’échelon européen s’exprime dans les perspectives d’action définies lors de l’assemblée des mouvements du dimanche matin. Un mouvement anti-guerre européen est né à cette occasion, se dotant d’échéances de mobilisations face à la menace de guerre en Irak. Plusieurs autres initiatives et campagnes communes ont été choisies (G8,...), et de nombreuses autres, portées par divers réseaux, sont mieux collectivisées.
Une question qui reste pour moi.. Participation de l’Est et du Sud-Est européen au FSE et à ces dynamiques ???.
6. Dynamiques cumulatives. Au dire d’Italiens, Florence marque un progrès politique par rapport à Gênes. A témoin, notamment, la façon dont l’ensemble des participants ont compris les données de la conjoncture (dominée par les provocations de Berlusconi) et en ont collectivement tiré les conséquences : éviter toute « casse ».
Florence a aussi donné consistance à quelque chose qui mûrissait ces dernières années, au fil des mobilisations rythmées par les sommets de l’UE : un sentiment d’appartenance commune, entre Européens. C’est l’intérêt de la forme “forum social”, ce rendez-vous “entre nous”. Elle crée effectivement un “espace” à la fonction particulière (dans la mesure, évidemment, où cet “espace” est effectivement empli d’une dynamique militante, sociale, radicale, sans laquelle il ne serait qu’une coquille vide). Potentiellement au moins, Florence constitue un point tournant dans la création d’un mouvement proprement européen. L’avenir dira si cette potentialité est devenue réalité.
La progression du mouvement est sensible sur le plan international. On touche ici à l’un des aspects les plus importants des processus de mobilisations en cours depuis quelques années (en tout cas depuis 1998). Le succès d’une initiative n’est pas simplement ponctuel. Beaucoup plus effectivement que durant la période précédente, les initiatives ne se succèdent pas seulement : elles se répondent et s’articulent les unes aux autres. Ici encore, le cadre commun de référence “forum social”, tel qu’initié à Porto Alegre, a considérablement contribué à cette dynamique, depuis 2001.
Une dynamique cumulative est ainsi à l’œuvre à l’échelle internationale et maintenant européenne, comme dans bien des pays. A chaque nouvelle échéance majeure, ou après chaque épreuve (Göteborg et ampleur de la répression à Gênes, 11 septembre et pression de l’idéologie sécuritaire...), on se demande si le mouvement va entrer en crise. Et on s’étonne presque de la vigueur avec laquelle il poursuit sa progression. Une vigueur qui exprime son enracinement, sa représentativité, sa force d’attraction. So far, so good.
Rythmes et continuité
Dans l’immédiat, il faut réussir le passage de témoin entre l’Italie et la France, où sera organisé le second FSE en novembre 2003, en assurant, par delà le changement de pays, une continuité du processus à l’échelon européen et la poursuite de sa dynamique cumulative. Ce n’est pas donné d’avance. Des réunions préparatoires au FSE de l’automne prochain ont déjà eu lieu en France. La première réunion européenne est convoquée à Paris les 7 et 8 décembre prochains.
A terme, le rythme des initiatives peut poser problème. L’an prochain, en France, les mouvements doivent assurer le contre-G8 en juin et le second FSE en novembre (tout en participant activement aux autres rendez-vous : Porto Alegre, Thessalonique, Rome, etc.) ; c’est beaucoup pour une année. Actuellement, un Forum social mondial et plusieurs forums sociaux thématiques ou régionaux sont organisés chaque année. C’est nouveau et ce n’était pas l’idée initiale (on prévoyait plutôt une alternance FSM / FSR tous les deux ans), mais tel est le compromis qui a été adopté à Porto Alegre en janvier dernier. Les forums spécifiques vont se multiplier. Par exemple, en novembre 2003, il y aura le Forum social Méditerranée en plus du second Forum social européen.
La multiplication des initiatives ne fait pas nécessairement problème pour les participants. Ce ne sont souvent pas les mêmes qui vont à Florence ou à Porto Alegre. Mais le rythme risque de devenir trop intense pour le réseau des organisations qui doivent préparer et coordonner les initiatives, tisser des liens entre elles pour que ces initiatives s’articulent les unes aux autres, digérer et collectiviser chacune de ces expériences, réfléchir aux enseignements, percevoir le neuf, diffuser largement cette connaissance.
Le dynamisme du mouvement tient beaucoup à la multiplicité des acteurs. La spontanéité joue une rôle décisif et il n’y a pas de commandement général. Mais le “mouvement des mouvements” n’existerait pas sans l’association des organisations, des réseaux, ce qui ne se fait pas sans un effort conscient. Sans, aussi, la définition de priorités, la préparation d’un calendrier commun d’échéances, d’objectifs et de campagnes. Un plan de vol collectif.
Tout cela se réalise dans la durée, demande du temps et des militants disponibles, de l’argent aussi (les voyages...). D’où la question des rythmes.
B. L’assemblée des mouvements et les perspectives d’action
Comme prévu, l’assemblée des mouvements, le dimanche matin, a fait une synthèse des propositions de campagnes présentées durant le FSE (qui s’était formellement clos le samedi en mi-journée pour laisser place à la manifestation).
Deux projets d’appels avaient été collectivement préparés durant les semaines précédent les rencontres de Florence : l’un contre la guerre, l’autre dit “des mouvements sociaux européens”. Ils ont été complétés à la suite des discussions menées dans le cadre du FSE. Ils seront diffusés (à nouveau) séparément. En résumé :
1. Contre la guerre en Irak. Cette brève déclaration se conclut par un appel à coordonner l’action au niveau européen et à définir sans attendre des plans de mobilisation dans chaque pays. Trois décisions concrètes ont été prises : manifester partout le samedi suivant le commencement de la guerre ; préparer des démonstrations de masse dans chaque capitale pour le 15 février ; organiser une réunion le 15 décembre à Copenhague pour construire un réseau européen à même de coordonner toutes les campagnes contre la guerre.
2. L’Appel des mouvements sociaux. Cet appel est introduit par une sorte de “déclaration d’intention” “des mouvements sociaux et citoyens de toutes les régions d’Europe, est et ouest, nord et sud” en lutte pour “une autre Europe, un autre monde” : “Nous sommes à Florence pour discuter des alternatives à construire, mais aussi pour continuer à élargir nos réseaux et pour organiser des campagnes et des mobilisations qui, ensemble, pourront rendre possible le futur pour lequel nous nos battons”.
Cet appel mentionne alors une longue liste de campagnes qui ont été présentées durant les travaux du FSE (cette liste manque dans beaucoup de versions de ce document qui ont circulé après Florence). Ces campagnes peuvent être animées par des réseaux spécifiques (nommés) ou repris en charge collectivement. Elles concernent la guerre, le racisme, les droits sociaux, les services publics et biens communs, l’agriculture, les droits des femmes, la démocratie. Il se conclut par un appel concernant quatre échéances majeures :
“Tous ensemble nous appuierons les mobilisations contre le G8 à Evian (juin 2003), contre la marchandisation du monde à l’occasion du sommet de l’OMC à Cancun, et pour une autre Europe à l’occasion des sommets européens de Copenhague (décembre 2002), Thessalonique (juin 2003) et Rome (décembre 2003).”
Il faudra du recul pour mesurer le succès de Florence et son impact politique dans la durée. La mise en œuvre des deux appels lancés par l’assemblée des mouvements constituera un élément important de cette évaluation à posteriori.
C. Controverses : Faut-il opposer Florence-l’Impure à Porto Alegre-la-pure ?
Le succès de Florence a fait taire bien des Cassandre. Mais il suscite aussi des polémiques, qui se manifestent souvent de façon indirectes. Prenons comme exemple un curieux article de Laurence Caramel, publié dans la page “Horizon Analyse” du quotidien français Le Monde (16 novembre 2002) sous le titre “Forum de Florence : offensive de la gauche radicale”. Ce n’est pas un éditorial, mais un article “de ligne” qui dit au FSE ce qu’il devrait faire et ne pas faire. Que les non Français ne s’étonne pas : certains journalistes du Monde aiment à signifier la “ligne juste” tant aux gouvernants qu’aux mouvements.
L’intérêt de cet article ne réside pas dans l’information, particulièrement déficiente. Mais, publié dans un quotidien dit “de référence”, il véhicule des “clichés” sur le mouvement qui méritent d’être relevés. C’est une occasion de préciser ce qu’est le Forum social en Italie ; même si je ne suis pas, pour ma part, spécialiste de ce pays (je m’inspire de notes d’information produites par d’autres). Si des Italiens pouvaient compléter et corriger les remarques qui suivent...
Résumons d’abord l’argument de Laurence Caramel. Elle note le succès de la mobilisation mais voit dans Florence “les germes de divisions dommageables”. Elle porte directement l’attaque contre “les organisateurs italiens” (et singulièrement contre Vittorio Agnoletto) qui “portent une lourde responsabilité”, ayant marginalisé “les ONG au profit des syndicats et des mouvements sociaux” et ayant invité “les partis politiques à s’exprimer du haut des tribunes officielles”, donnant “signal d’un repli sur soi du mouvement”. La “gauche de rupture” s’est imposée contre la “gauche institutionnelle”, les syndicats radicaux contre la CES. La journaliste juge que l’avenir du mouvement dépend de sa “capacité de contre-expertise” plutôt que d’une “doctrine aux accents usés”. Elle conclut péremptoirement : pour le second FSE, les Français “devront vite rectifier le tir”.
Problème : cette description est tellement éloignée de ce qui s’est passé en Italie que l’argumentaire politique de Laurence Caramel se retrouve comme suspendu dans le vide.
1. Les “ONG”. On ne sait pas trop ce que l’auteure de l’article entend ici par “ONG”, un terme qui recouvre des réalités si disparates que bien des organisations concernées préfèrent être appelées “associations”. Certaines ONG parmi les plus institutionnelles ont vu d’un mauvais œil l’envol du mouvement contre la mondialisation libérale. Prétendant représenter auprès des institutions la société civile, elles n’aiment pas que cette dernière se représente elle-même, directement. Elles perdent leur fonds de commerce.
Mais Laurence Caramel semble parler des ONG dites “modérées” activement investies dans les forum sociaux. Or, ces dernières n’ont pas pris leurs distances par rapport à Florence, loin s’en faut. ARCI par exemple était pleinement partie prenante du noyau central de coordination, tant en Italie même qu’au niveau européen. Avec un million d’adhérents, cette association fait vivre des Maisons du peuple dans tout le pays. Difficile de prétendre qu’elle n’est pas représentative. Toute aussi représentative, la Lega Ambiante, principale organisation environnementale italienne.
Plusieurs mouvements qui avaient pris des distances après Gênes se sont réinvestis à l’occasion de Florence : la Rete de Liliput (animé par un prêtre), Mani Tese (d’origine catholique), les pacifistes de Tavola per la Pace (une coalition où l’on retrouve catholiques et gauche des DS).
2. Les syndicats. Côté syndical, les divers COBAS (comités de bases) n’étaient pas seuls représentés dans le noyau animateur central. C’était aussi le cas de la FIOM, la grande fédération CGIL de la métallurgie ; un détail ! Surtout, Florence a été l’occasion d’un élargissement majeur comparé à Gênes.
La CGIL (et singulièrement son dirigeant d’alors, Cofferati) s’était opposée aux manifestants de Gênes. Or, en 2002, cette confédération, en lutte contre les projets gouvernementaux (sur l’article 18), s’est mise à travailler avec le Forum social italien et a aussi mobilisé pour la manifestation du samedi.
3. La jeunesse, les coalitions, les mouvements sociaux et citoyens. Sans détailler, rappelons ici que se sont retrouvé à Florence un arc particulièrement large de réseaux et associations agissant sur des terrains très divers : droits des femmes, syndicats paysans, mouvements des “sans”, centres sociaux, antiguerre et antiraciste, étudiants, etc. Difficile de prétendre que Florence a exprimé une réalité sociale plus étroite que Porto Alegre... Florence était encore plus jeune (et plus jeunes femmes). Et ça, c’est un “plus”, pas un “moins”.
4. Les partis politiques. Pour Laurence Caramel, le rôle joué par des réseaux associatifs forts de centaines de milliers de membres (des “ONG de masse” !), par la principale confédération syndicale du pays, par un large éventail de mouvements et par les jeunes ne semble pas important quand il lui faut comprendre Florence. Bien qu’il s’agisse d’un forum social, elle cible l’analyse sur les partis politiques.
Deux grands débats ont été organisés à Florence par des mouvements sociaux avec, comme invités, des représentants de partis, sur les rapports entre partis et mouvement. Ils ont été massivement suivis (plusieurs milliers de participants à chaque fois), ce qui montre que le sujet intéresse et mérite d’être abordé. Un clivage gauche radicale / gauche gouvernementale s’est effectivement exprimé à cette occasion, ce qui est sommes toutes normal si débat il doit y avoir.
Mais si l’on veut comprendre la situation italienne et l’impact sur les partis du forum social, on ne peut s’en tenir à la popularité du PRC (Refondation), pour le regretter dans le cas du Monde. Il faut analyser les divisions au sein des DS (les Démocrates de gauche, la social-démocratie d’origine PCI). L’aile droite du parti, très “Blairiste” avec d’Alema, condamne le FSE qu’elle juge... conservateur (puisque opposé à la “modernisation” libérale). Le centre et la gauche des DS, avec Cofferati, étaient investis dans le processus et, en particulier, la manifestation.
5. Opposer Porto Alegre à Florence ? L’argumentaire de Laurence Caramel procède par oppositions simples. Le terrain sur lequel doit opérer le mouvement est celui de la contre-expertise, et non pas celui propre aux doctrines passéistes. Elle fait silence sur l’action, les campagnes, les luttes sociales. Elle présente Florence-l’Impure comme une trahison de Porto Alegre-la-Pure.
Ces oppositions relèvent carrément du mythe. Le FSM de Porto Alegre comme le FSE de Florence a créé un espace où les mouvements ont pu débattre de leurs convergences militantes, de leur calendrier d’action, ce qui est heureux. La contre-expertise est portée par les acteurs du mouvement, mise au service des luttes ; elle n’a pas de valeur en elle-même. Dans les faits si ce n’est dans les principes, partis politiques et gouvernants ont brouillé la visibilité du Forum social bien plus au Brésil qu’en Italie, ce qui est malheureux.
Il y a évidemment des différences entre Florence et Porto Alegre, comme d’ailleurs il y a des différences entre le premier et le second Forum social mondial. Il y en aura d’autres à Hyderabad, quand se réunira le Forum social asiatique. Mais le FSE et le FSM participent bien du même processus d’ensemble.
L’expérience de Florence suscite bien entendu des débats, par exemple sur les modes d’organisation (voir plus loin). Pourtant, personne n’a remis en cause la communauté FSE / FSM quand un premier bilan en a été tiré lors du Conseil international du FSM qui a suivi. Personne n’a décrit Florence comme une trahison de Porto Alegre ! Lors de la discussion de ce point, Chico Whitaker, l’un des membres du secrétariat brésilien du FSM les plus sourcilleux quant à la présence des partis politiques a jugé correcte la façon dont ils avaient été intégrés aux débats, à Florence (tout en jugeant que cette question mérite d’être approfondie et en s’interrogeant sur ce que peut être la meilleure articulation “forum” et “mouvements” sociaux). Gustavo Codas, de la CUT et lui aussi membre du secrétariat brésilien du FSM, a tiré des leçons très positives de ce premier FSE, notant que sur plusieurs points, Florence avait progressé par rapport à Porto Alegre : héritage plus directe de Seattle, intégration plus étroite entre les thèmes, capacité à débattre ouvertement des divergences au sein même du mouvement, dialogue entre syndicats majoritaires et minoritaires assis (ce qui est rare) autour d’une même table...
Conclusion
En conclusion, il est difficile de reprocher aux “organisateurs italiens” d’avoir exclus les “ONG” quand ces associations (et parmi les plus puissantes) font elles-mêmes partie desdits “organisateurs”. Comme il est difficile de les accuser de minoriser le mouvement alors que Florence a réussi la plus ample mobilisation du genre. Et alors que tous les principales composantes dudit mouvement étaient impliquées dans les débats. De toutes les coalitions nationales qui, en Europe, animent le processus du forum social, l’italienne est probablement la plus large.
On ne peut pas plus reprocher aux “organisateurs italiens” la radicalité qui s’est exprimée à Florence et qui a placé en porte-à-faux un certain nombre d’intervenants. Elle ne fait que refléter la situation politique.
II / La coordination internationale des mouvements sociaux
Une réunion internationale (et non pas seulement européenne) des mouvements sociaux s’est tenue entre le FSE et le conseil international du FSM. Elle devait se poursuivre du dimanche après-midi au lundi après-midi. L’ordre du jour a été remanié pour qu’elle puisse se terminer le dimanche soir : tout le monde (à commencer par les Italiens) étant épuisé. Malheureusement, lundi, jour inattendu de liberté, il pleuvait sur Florence.
Cette réunion a discuté d’une proposition présentée initialement par cinq mouvements : la centrale syndicale brésilienne CUT, le MST (Mouvement des sans-terre du Brésil), la Marche mondiale des femmes (dont le secrétariat est au Québec), Attac-France et le réseau Focus on the Global South (basé à Bangkok). Ces mouvements se sont donné pour seul mandat de faciliter la discussion sur la constitution d’un réseau mondial de mouvements sociaux.
Le document de quatre pages visant à introduire la discussion explique les origines, l’historique et l’objectif de cette proposition : “Un Réseau mondial des mouvements sociaux nous aiderait à développer les conditions permettant à divers mouvements sociaux dans le monde d’échanger des analyses, opinions et information sur la conjoncture présente et de définir des prioritées partagées et des tâches nécessaires, avant et après les rencontres du FSM. Le débat, l’interrelation et la coordination entre nous deviendrait en conséquence un processus plus permanent. L’objectif est d’aller au-delà de rencontres épisodiques entre mouvements de divers pays et continents, de construire un débat politique plus profond, d’établir des structures horizontales pour faciliter les échanges et les actions communes, et d’étendre les contacts du mouvement à tous les continents”.
Comme moyens techniques pour assurer cette coordination, il est proposé de créer au moins un site web et une liste e-mail grâce à un secrétariat. Des discussions initiales sur cette proposition ont commencé en Europe et en Amérique latine, notamment. Elle doivent se conclure lors de l’assemblée des mouvements sociaux, à Porto Alegre fin janvier.
III / Le Conseil international du FSM
Avant de débattre de l’organisation du prochain Forum social mondial, le VIe Conseil international du FSM s’est d’abord consacré à plusieurs points d’actualité :
– La situation internationale (introduite par le Grecque Antonis Davanellos). Ce point a notamment été l’occasion d’un échange général d’opinions sur les attaques libérales en cours dans le monde, sur les premières leçons de Florence, sur la dynamique des résistances internationales à la mondialisation capitaliste et sur la politique de guerre post-11 septembre. La guerre n’est pas perçue comme un événement ponctuelle, mais comme un élément qui tend à restructurer l’ordre mondial. D’où la portée majeure des enjeux irakien et palestinien.
– La situation brésilienne (introduite par Gustavo Codas). Il s’agissait avant tout pour les Brésiliens d’offrir des éléments d’analyse sur le contexte dans lequel se tiendra le prochain Forum social mondial. La victoire électorale de Lula est perçue comme le résultat d’une longue période de luttes (les 25 ans du PT) et comme le couronnement d’un processus de résistance au libéralisme, avec un tournant politique en 1997. Mais cette victoire intervient dans un contexte très difficile tant sur le plan international (marche à la guerre, offensive répressive “post-terroriste”) que national (situation économique très détériorée, vulnérabilité externe, faiblesse de l’Etat, rapports des forces politiques) ou régionale (l’arrière-cours des Etats-Unis, guerre, ALCA...). La présidence Lula deviendra effective début janvier. Ce sera le début d’un nouveau processus visant à créer des meilleurs conditions pour mettre en œuvre des alternatives. La grande majorité des organisations sociales ont soutenu la campagne de Lula, tout en restant autonomes par rapport aux coalitions politiques qu’il doit négocier. Il y aura un gouvernement populaire affichant une volonté de transformer la société et des forces sociales organisées de façon autonome, à même de faire pression pour cette transformation. L’importance de ce qui va se passer dans d’autres pays d’Amérique latine est aussi grande. Porto Alegre-3 sera une occasion d’une prise de contact avec cette réalité.
– Florence et d’autres forums régionaux ou thématiques. Je ne reviens pas sur Florence. La discussion a notamment permis de situer dans un contexte d’ensemble les autres forums récemment organisés (comme celui, thématique, d’Argentine) ou prévus prochainement (tels le Forum social asiatique d’Hyderabad ou celui des Amériques à Quito).
Le reste du VIe Conseil international du FSM a été pour l’essentiel consacré à la préparation du prochain Forum social mondial de Porto Alegre. La présentation générale du FSM sera faite par ailleurs. Quelque 80 à 100.000 personnes sont attendues, ce qui exige une organisation différente des activités, autour de quatre pôles. Soulignons seulement ici quelques points politiques particuliers.
1. Rio Grande do Sul. Le PT a perdu le gouvernement du Rio Grande do Sul, dont la capitale est Porto Alegre. Mais le gouvernement fédéral devrait cette fois aider financièrement à la réunion du FSM.
2. Lula. Lula (ancien délégué aux deux premiers FSM et nouveau président) a été invité à venir au prochain FSM. Une discussion est engagée avec son équipe pour discuter des modalités de sa participation, pour qu’elle respecte le cadre du FSM.
3. Kofi Annan. Il avait été proposé d’inviter au FSM le secrétaire général de l’ONU. La majorité du secrétariat brésilien était contre, mais la question a été posée au Conseil international. Ce dernier a été d’accord avec le secrétariat brésilien pour juger qu’une telle invitation pose trop de problèmes et diviserait le mouvement. De plus, fin janvier la guerre en Irak sera peut être imminente... avec l’aval possible du Conseil de sécurité. Notons, par ailleurs, que des fonctionnaires d’institutions de l’ONU participent déjà à des débats (BIT, PNUD...).
4. L’articulation générale des thèmes. Un gros effort a été consenti pour assurer une préparation plus collective des débats par les réseaux militants, prolongeant ce qui avait été commencé lors du deuxième FSM. Mais ce travail de préparation a commencé voilà un an, et la période électorale au Brésil n’a pas facilité les choses. Du coup, le schéma d’ensemble apparaît doublement décalé par rapport à l’évolution de la situation internationale : la question de la guerre et de sa portée générale, l’Irak et la Palestine n’occupent pas la place qu’il faudrait ; les acteurs exprimant l’expérience des forums régionaux comme les régions du monde autre que l’Europe et l’Amérique latine sont faiblement représentés parmi les intervenants. Vu la “force d’inertie” d’une préparation internationale, il n’est pas évident que les mises à jour souhaitables pourront être toutes effectuées.
5. La question des partis politiques. Cette question n’a pas donné lieu aux mêmes débats qu’à Barcelone et Bangkok, lors des précédentes réunions du Conseil international (voir mes rapports). Il reste entendu que, dans le cadre de la Charte des principes, les partis ne co-organisent pas les forums et ne doivent pas brouiller la visibilité d’une initiative “société civile-mouvements sociaux”. Les représentants de partis et les parlementaires pourront participer au prochain FSM en tant qu’observateurs. Un débat “mouvements-partis” est prévu, mais il semble clair que la question de la participation des partis aux forums sociaux reste à approfondir.
7. Europe. Certains débats parmi ceux qui nous concernent le plus directement sont encore peu préparés, à en croire les propositions distribuées au CI. Par exemple :
Pour le débat “mouvements, institutions politiques et partis”, côté partis, les seuls indiqués sont le PT brésilien, le PC chilien et... Oskar Lafontaine (qui aujourd’hui ne représente pas un parti). C’est pour le moins maigre.
Pour un débat sur les alternatives à la crise capitaliste, Prodi (ou Delors) est proposé (par qui ?), alors que la conception initiale de ces débats semblait être de faire discuter des divergences qui s’expriment au sein du mouvement et qu’aucun autre “politique” ne représente, face à Prodi, notre alternative européenne.
Une organisation italienne (l’Assemblée des Nations unies des peuples) a proposé une “consultation” populaire à Porto Alegre sur le thème de la Convention et “Quelle Europe voulons-nous”. Mais rien de précis n’a été dit à ce sujet. Nous avons demandé aux Italiens concernés de nous contacter à ce sujet. Sur ces questions, le comité Attac des Institutions européennes a envoyé quelques commentaires au secrétariat du FSM.
8. Fonctionnement. Une discussion a commencé sur le rôle, la composition et le fonctionnement du Conseil international du FSM, avec la rédaction d’un projet de règlement intérieur. Une question d’autant plus importante que le mouvement évolue rapidement (avec son internationalisation via les forums régionaux) et que des conceptions assez différentes existent à ce sujet.`
Des formes nouvelles d’organisation sont aujourd’hui expérimentées, notamment à l’occasion de la préparation du FSE de Florence : en réseau “ouvert”, plus horizontal, qui tranchent avec des formes plus classiques, plus “verticales”. Le tout suscitant de réels débats de fond (intéressants) sur les notions d’association, d’efficacité, de contrôle, de représentativité, de démocratie.
Le CI de Florence devait poursuivre la discussion du projet de réglement. Cela n’a pas été possible, et ce projet n’a pas été distribué sur place. Il sera disponible sur le site web du FSM et tous les commentaires, toutes les propositions pourront être présentées via la Toile du 2 décembre au 2 janvier. Le prochain Conseil international (à Porto Alegre, juste avant le FSM) devrait reprendre cette question.
IV / Le calendrier de la période à venir
Un calendrier plus précis d’initiatives et de mobilisations va être préparé. Rappelons pour l’instant, en guise de conclusion à ce rapport, ces quelques échéances majeures :
Copenhague (sommet européen, mi-décembre 2002).
Addis Abbeba (Forum social africain, 15-19 décembre 2002).
Ramallah, Palestine (Forum social palestinien, 27-30 décembre 2002).
Hyderabad, Inde (Forum social asiatique, 2-7 janvier 2003).
Forum amazonien (16-19 janvier 2003).
Porto Alegre (FSM, 23-28 janvier 2003. Forum parlementaire mondial : les 22-24 janvier).
Manifestations contre la guerre (15 février 2003 et le samedi après son éventuelle déclenchement).
Thessalonique (sommet européen, juin 2003).
Evian (G8, juin 2003).
Cancun (OMC, septembre 2003).
Quito, Equateur (Forum social des Amériques, octobre 2003).
Paris-Saint Denis, Forum social européen (France, 12-16 novembre 2003).
Forum social Méditerranée (28-30 novembre 2003).
Rome (sommet européen, décembre 2003).