Après Florence en 2002 et Paris en 2003, le Forum social européen de Londres constitue une nouvelle échéance pour organiser la résistance à l’offensive libérale et militaire en cours. Unis par leur rejet de cette offensive, syndicats, ONG, associations, organisations politiques se retrouvent dans un cadre large de confrontation et de débat qui n’a pas d’équivalent à cette échelle dans l’histoire. Un premier enjeu est d’en démontrer l’utilité et pour cela de favoriser la mise en place de mobilisations massives à l’échelle européenne, contre la Constitution en particulier. Par ailleurs, depuis l’émergence du mouvement altermondialiste, en 1999 à Seattle, les choses ont beaucoup évolué : le mouvement s’est considérablement élargi, et a intégré les mouvements de résistance sociale qui se sont multipliés à l’échelle nationale. Aujourd’hui, une autre question est posée, celle de l’alternative à un système dont les caractéristiques ont été dégagées et constituent le socle autour duquel les débats s’articulent.
La première caractéristique, c’est la marchandisation qui n’épargne aujourd’hui aucune activité humaine, imposant par le biais de la libre concurrence la ruine des économies des pays du Sud, la mise en concurrence des travailleurs à l’échelle planétaire notamment par le biais des délocalisations.
Elle est orchestrée par des institutions comme le Fonds monétaire international (FMI), l’Organisation mondiale du commerce (OMC), mais aussi l’Union européenne, qui jouent un rôle de plus en plus important, édictant des règles intangibles derrière lesquelles les gouvernements des grandes puissances peuvent s’abriter en arguant de leur impuissance et face auxquelles les autres gouvernements doivent s’incliner sous peine de sanctions financières. Un des acquis majeurs du mouvement altermondialiste, notamment depuis Seattle, est d’avoir organisé des mobilisations à chacune de leurs réunions pour démontrer leur illégitimité.
La logique marchande s’en prend aujourd’hui frontalement aux services publics qui échappaient jusqu’ici à la stricte loi du profit. Il suffit de prendre pour exemple les télécommunications, les chemins de fer, la production et la distribution de l’électricité, la culture, et demain la santé et l’éducation, mais aussi les attaques contre les systèmes de sécurité sociale ou de retraites pour prendre la mesure des remises en cause des acquis sociaux produits de la mobilisation du mouvement ouvrier.
Cette remise en cause s’accompagne inévitablement d’une politique répressive : mise en place de législations sécuritaires à l’échelle internationale ou nationale sous prétexte de lutte contre le terrorisme, stigmatisation de couches entières de la population (jeunes, immigrés, musulmans...), souvent marginalisées socialement, sans emploi, sans logement, vivant dans la misère, comme les classes dangereuses de ce début de XXIe siècle.
D’autre part, ce redéploiement de l’offensive libérale ne peut se passer de sa dimension guerrière, revenue au premier plan depuis la première guerre du Golfe. Jamais il n’y a eu dans le monde autant de guerres, d’occupations dont les principales puissances européennes sont partie prenante, en Afghanistan, en Irak ou en Afrique, sans parler du soutien apporté à des régimes dictatoriaux qui profitent du pillage de leur propre pays. Le peuple palestinien se voit spolier de ses droits élémentaires et toutes les puissances impérialistes s’inclinent devant la politique menée par les gouvernements israéliens.
Enfin, comme jamais, la planète est le théâtre de désastres écologiques majeurs auxquels les pays du Sud, là encore, paient un large tribut. Ce qu’on appelle des catastrophes naturelles sont souvent le produit direct du développement anarchique de la production capitaliste qui entraîne déforestation ou réchauffement du climat.
L’ensemble de ces caractéristiques ne sont pas conjoncturelles mais partie intégrante du nouveau mode de domination et de développement du capitalisme. Dès lors, il faut convaincre qu’il ne suffira pas d’apporter des améliorations limitées ou de réformer des institutions internationales antidémocratiques comme le FMI et l’OMC, et qu’il faut penser en termes d’alternative globale au capitalisme. En effet, on ne pourra résoudre les famines, les épidémies, prendre en charge la préservation des équilibres écologiques, assurer à chacun et chacune la satisfaction des besoins élémentaires en terme de nourriture, de logement, de santé, d’instruction, de culture sans remettre en cause la propriété privée des moyens de production, sans contester radicalement le pouvoir des multinationales.
En 1864, 17 ans après la publication du Manifeste du Parti communiste qui se concluait par le fameux appel « Prolétaires de tous les pays, unissez-vous », naissait la Ire Internationale à l’initiative d’organisations syndicales, de mutuelles, de courants politiques communistes ou anarchistes, et avec elle prenait corps une perspective d’émancipation sociale. C’est à un défi semblable que nous sommes confrontés aujourd’hui : il nous faut écrire l’histoire de la construction d’une force anticapitaliste à l’échelle internationale, et les forums sociaux mondiaux et continentaux en sont un creuset irremplaçable.
Ingrid Hayes, Léonce Aguirre