Contrairement à l’assurance maladie, l’Unedic n’est pas créée après la guerre. Ce n’est que treize ans plus tard, en 1958, que l’Unedic naît. On est alors en pleine période de reconstruction et le rapport de force n’est pas suffisant pour obliger le patronat à assurer les travailleurs contre le risque du chômage. De fait, entre 1945 et 1958, c’est l’assistance publique qui indemnise (très peu) les chômeurs. Le rôle premier de l’assurance chômage est de contrer le patronat, qui cherche à faire baisser les salaires. Une indemnisation élevée évite aux chômeurs de prendre des emplois au rabais. C’est l’idée développée, dès la fin du xixe siècle, par Fernand Pelloutier, l’un des fondateurs des bourses du travail : « Le secours de chômage est considéré comme le moyen de soustraire le chômeur aux offres de travail dépréciées. »
En 1958, l’Unedic est créée dans le contexte du marché commun européen. À cette période, le patronat a besoin d’une main-d’œuvre qui soit mobile, tant géographiquement que professionnellement. Cette assurance chômage « généreuse » doit servir à favoriser la mobilité et donc le placement des chômeurs.
Chômeurs malmenés
Autre aspect spécifique à l’Unedic : dès le début, il s’agit d’une instance paritaire, qui existe comme branche séparée des autres branches de la Sécurité sociale. À l’époque, le patronat fait ce choix consciemment. L’Unedic va lui permettre de financer les licenciements à moindre coût par une péréquation. Pour autant, certaines branches, comme les banques et les assurances, ne rentrent dans le dispositif qu’en 1967. Et, progressivement, jusqu’en 1999, l’assurance chômage intègre de nouveaux secteurs professionnels.
La situation de l’Unedic et l’indemnisation des chômeurs vont ensuite connaître deux grandes phases, fonction des rapports de force liés à la situation économique. La période 1958-1979 est marquée par une augmentation du taux de couverture, qui passe de 18 % à 78 %. Le taux d’indemnisation est sans précédent puisque, en 1970, les chômeurs en formation sont indemnisés à 110 % de leur salaire brut. En 1974, l’Allocation spécifique d’attente (ASA) est créée et permet un taux d’indemnisation de 90 % du salaire brut. Quand on sait que le taux actuel est de 57,4 % du brut, on mesure mieux la dégradation du rapport de force et celle des conditions de vie des salariés. À l’époque, les confédérations CGT et CFDT revendiquent d’ailleurs un « minimum de ressources égal au Smic pour tous les chômeurs, y compris ceux qui recherchent leur premier emploi », qui sont aujourd’hui les plus pénalisés, puisqu’ils enchaînent intérims et CDD.
En 1979, les deux régimes - assistance publique et assurance privée -, jusque-là séparés, sont unifiés et ont la charge de verser les allocations à tous les chômeurs. Le début des années 1980, alors que la gauche mène une politique d’austérité, voit l’amorce de la dégradation du système d’indemnisation. Au lieu d’intégrer l’assurance chômage au sein de la Sécurité sociale, le Parti socialiste applique la politique du patronat. L’année 1982 constitue en effet une rupture. Jusque-là, l’Unedic indemnisait tous les chômeurs. La cause du chômage (licenciement, démission, fin de CDD...) déterminait l’indemnisation. Le décret de novembre 1982 introduit alors la proportionnalité entre la durée d’affiliation et la durée d’indemnisation (plus on a travaillé, plus on est indemnisé) : c’est la création du système des filières. Le principe de solidarité est directement remis en cause au profit du principe de contribution.
Parallèlement, les cotisations patronales et salariales augmentent. Le patronat en profite pour dénoncer la nouvelle convention. En 1984, la convention est agréée par le gouvernement et donne satisfaction au patronat, en revenant sur l’unification du régime et en séparant de nouveau assistance publique et assurance privée. D’un côté, on trouve un système d’allocations géré par les « partenaires sociaux », pour les chômeurs ayant une durée de travail importante et sans précarité. De l’autre, un système financé par l’impôt existe pour les précaires, les jeunes qui ont du mal à trouver un premier emploi, ceux qui n’ont pas travaillé assez longtemps...
En 1992, Rocard met en place le contrôle des chômeurs et généralise la dégressivité instaurée en 1984 par le biais de l’Allocation unique dégressive (AUD). On assiste donc à une baisse significative du nombre de chômeurs indemnisés depuis 1993, puisqu’en 2000, seul un chômeur sur deux était indemnisé et que, par ailleurs, la moyenne de l’allocation s’élevait à moins de 760 euros brut par mois.
1 500 euros minimum
En 2001, la mise en place du Plan d’aide au retour à l’emploi (Pare), dans le cadre de la « refondation sociale » du Medef, met fin à la dégressivité, mais les durées d’indemnisation sont réduites. La durée maximale, qui était de 60 mois, passe à 45 mois, et il faut avoir travaillé au moins six mois - contre quatre auparavant - pour ouvrir des droits. La réforme se fonde sur des prévisions de croissance de 3 % et la création de 600 000 emplois. Fin 2002, le chômage était à 10 %... Les « partenaires sociaux », prévoyant un excédent de 18 milliards d’euros, ont baissé les cotisations. Ce qui allait inévitablement entraîner un déficit du régime en période de faible croissance. Résultat : le déficit augmente et la « solution » avancée est la baisse des prestations.
En 2005, avec un déficit prévu de treize milliards d’euros, le patronat et ses acolytes mettent la pression pour une nouvelle diminution des durées d’indemnisation, voire des montants. Certains ont proposé de réduire la durée de 23 mois à 20 mois. Mais ces économies, qui pénalisent les chômeurs, favorisent les cabinets privés, auxquels l’Unedic verse entre 4 300 et 6 000 euros par chômeur.
De fait, depuis 20 ans, le patronat s’exonère de ses responsabilités dans la montée du chômage : en transférant l’indemnisation du système de l’assurance chômage vers la collectivité - encore accentuée par la création du RMI et de l’Allocation spécifique de solidarité (ASS), qui sont de fait des allocations chômage. Pour changer la situation, il faut d’urgence avancer quelques propositions. Parmi celles-ci, nous devons mettre en avant le retour à l’unification des deux régimes, l’intégration de l’assurance chômage dans la Sécurité sociale avec élection des représentants (et présence des chômeurs), ainsi que l’indemnisation de toutes les formes de chômage avec un revenu qui ne soit pas inférieur à 1 500 euros.
1. Unedic : Union nationale pour l’emploi dans l’industrie et le commerce. L’Unedic regroupe les Assedics.