Le gouvernement s’obstine à mettre en œuvre la réforme de l’assurance-chômage, deux fois suspendue par le Conseil d’Etat, qui vise à fortement diminuer les droits des chômeurs. Le régime d’assurance-chômage a pourtant pleinement joué son rôle de stabilisateur automatique durant la crise en maintenant un revenu aux personnes privées d’emploi grâce à l’indemnisation chômage et à l’activité partielle, que l’Unédic [l’association paritaire qui pilote le système d’indemnisation des demandeurs d’emploi] a financée pour un tiers. En tant qu’économistes, nous nous opposons fermement à la mise en œuvre de cette réforme que nous jugeons inefficace, injuste et punitive.
Cette réforme va toucher de très nombreux allocataires de l’assurance-chômage, en diminuant drastiquement le montant des allocations dans un contexte de crise sans précédent. Tous ceux ayant eu deux périodes d’emploi non contiguës verront leur indemnité réduite. Plus de 1 million d’indemnisés seront ainsi touchés par la réforme du salaire journalier de référence (SJR), soit 40 % des allocataires.
Un parti pris idéologique
Le nouveau mode de calcul se base sur la moyenne des salaires perçus au cours de la période comprise entre le premier et le dernier jour d’emploi dans les vingt-quatre derniers mois. En plus des jours travaillés, les jours non travaillés sont pris en compte. Cela induit une baisse du montant de l’allocation pouvant aller jusqu’à 43 %. Pire, selon la répartition des périodes travaillées et non travaillées, le montant des allocations pourrait varier fortement, à rémunération et nombre d’heures travaillées identiques.
L’argument selon lequel les chômeurs « gagnent plus quand ils sont au chômage qu’en travaillant » est mensonger. L’allocation d’assurance-chômage représente entre 57 % et 75 % du salaire journalier de référence, elle ne peut donc être supérieure au salaire antérieur. En cas de reprise d’une activité (réduite), le cumul de l’allocation-chômage avec le salaire issu de cette activité ne peut être supérieur au salaire antérieur. Si ce seuil est dépassé, l’indemnisation est suspendue.
Rappelons que l’indemnisation moyenne s’élève à 910 euros par mois et que seuls 40 % des demandeurs d’emploi perçoivent une allocation-chômage. Loin de la caricature du « chômeur optimisateur », la réalité des chômeurs est la méconnaissance des droits et la difficulté à calculer leur indemnité, ainsi que cela a été démontré par plusieurs équipes de chercheurs.
Selon ces travaux, ce que recherchent avant tout les chômeurs, c’est un emploi pérenne. La thèse que la dégradation des règles de l’assurance-chômage aurait des effets favorables sur l’emploi est un parti pris idéologique. L’effet d’une telle dégradation serait de contraindre les chômeurs à accepter n’importe quel emploi au plus vite, à bas salaire et aux mauvaises conditions de travail, au mépris de l’efficacité économique et sociale (« Emploi discontinu et indemnisation du chômage. Quels usages des contrats courts ? », par Mathieu Grégoire [coord.], Olivier Baguelin, Julie Dulac, Ji Young Kim, Delphine Remillon et Claire Vivès, « Rapport d’études » n° 4, Dares, mai 2021 [1] ; « Le recours à l’activité réduite : déterminants et trajectoires des demandeurs d’emploi », par Sabina Issehnane [coord.], Fabrice Gilles, Léonard Moulin, Leïla Oumeddour et Florent Sari, rapport de recherche, Etudes et recherches, n° 8, Pôle emploi, août 2016) [2].
Le mythe des emplois vacants non pourvus
Selon Elisabeth Borne, ministre du travail, le système de cumul permis par l’assurance-chômage inciterait les chômeurs à accepter des contrats courts, ce qui pousserait les employeurs à les utiliser massivement. Cet argument est surprenant. C’est oublier que la flexibilité accrue de l’emploi provient des réformes du marché du travail menées par ce gouvernement et les précédents, et que la relation salariale est une relation de subordination.
Le rapport de force est particulièrement défavorable aux travailleurs lorsque le chômage est élevé. Le chômeur n’a donc guère le choix d’accepter ou non un emploi qu’on lui propose. Si le gouvernement désire réellement réduire l’utilisation des contrats courts, il doit supprimer les possibilités de proposer des contrats courts offertes par les lois successives. La modulation de la cotisation d’assurance-chômage en fonction de l’utilisation des contrats courts, quant à elle, est renvoyée à septembre 2022…
Le troisième argument invoqué par ce gouvernement est celui de la reprise économique et des difficultés de recrutement dans certains secteurs d’activité. Le mythe des emplois vacants non pourvus est une antienne bien connue. Il ne suffit malheureusement pas de traverser la rue pour trouver un travail. L’enquête « Activité et conditions d’emploi de la main-d’œuvre » (Acemo) du ministère du travail comptabilise 265 000 emplois vacants.
De son côté, Pôle emploi comptabilise 300 000 offres d’emploi non pourvues, ce qui est très peu face aux 6,7 millions de demandeurs d’emploi. Dans un tiers des cas, l’employeur retire son annonce car le besoin a évolué ou disparu. Dans d’autres, l’offre demande des compétences inexistantes sur le marché, ou les conditions de travail et de rémunération ne sont pas acceptables.
Un chômage qui perdure
Le gouvernement a introduit dans son décret du 30 mars deux dispositions dites « clauses de retour à meilleure fortune » : si l’on enregistre 130 000 chômeurs en moins sur six mois consécutifs et 2,7 millions d’embauches de plus d’un mois sur quatre mois consécutifs, il faudra avoir travaillé au moins six mois sur les vingt-quatre derniers mois pour bénéficier de l’assurance-chômage au lieu des quatre mois auparavant nécessaires. Près de 500 000 chômeurs pourraient ainsi ne pas ouvrir de droits ou n’être indemnisés que bien plus tard en raison du durcissement de ces règles. La dégressivité pour les hauts salaires sera alors effective à partir du septième mois, et non plus à partir du neuvième.
Il reste que le chômage perdure à un niveau particulièrement élevé avec plus de 3,8 millions de chômeurs au deuxième trimestre 2021. Les demandeurs d’emploi de catégorie A ont certes légèrement diminué, mais le nombre de demandeurs d’emploi toutes catégories confondues reste stable.
Les demandeurs d’emploi en formation (catégorie D) et en emploi aidé (catégorie E) sont plus nombreux, en raison du plan de formation des chômeurs. Quant aux premiers concernés par la réforme, les demandeurs d’emploi en activités réduites (catégories B et C), leur nombre s’est fortement accru pour atteindre plus de 2 millions.
Rien ne justifie la mise en œuvre de cette réforme. Elle a pour seul objectif de faire des économies – plus de 2 milliards d’euros – au prix d’une augmentation de la pauvreté des chômeurs et de leurs familles.
Collectif
Tristan Auvray Université Sorbonne Paris Nord
Franck Bailly Université de Rouen
Jérémie Bastien Université de Reims Champagne-Ardenne
Nicolas Bédu Université d’Artois
Samia Benallah Université de Reims Champagne-Ardenne
Emmanuelle Benicourt Université de Picardie
Mathieu Béraud Université de Lorraine
Eric Berr Université de Bordeaux
Jean-Philippe Berrou Sciences Po Bordeaux
Nathalie Berta Université de Reims
Frédéric Boccara Cepn et membre honoraire du Cese
Laurie Bréban Université Paris 1
Anne Briand Université Rouen Normandie
Carole Brunet Université Paris 8
Mireille Bruyère Université de Toulouse Jean Jaurès
Emmanuel Carré Université Bretagne Sud
David Cayla Université d’Angers
Jean-Pierre Chanteau Université Grenoble Alpes
Léo Charles Université Rennes 2
Mickaël Clevenot Université Bourgogne Franche Comté
Maxime Combes
Benjamin Coriat Université Sorbonne Paris Nord
Nathalie Coutinet Université Sorbonne Paris Nord
Thomas Coutrot Membre d’Attac
Thomas Dallery Université du Littoral Côte d’Opale
Thibaud Deguilhem Université de Paris
Jean Dellemotte Université Paris 1
François-Xavier Devetter Université de Lille
Yves Dimicoli Economiste
Jean-Paul Domin Université de Reims Champagne-Ardenne
Evelyne Dourille-Feer Attac
Evelyne Dourille-Feer Attac
Benjamin Dubrion Sciences Po Lyon
Cédric Durand Université de Genève
Denis Durand Directeur de La Revue Economie & Politique
Anne Eydoux CNAM et Centre d’Etudes de l’Emploi et du Travail (CEET)
Cyrille Ferraton Université Paul-Valéry Montpellier 3
David Flacher Université de Technologie de Compiègne
Vincent Frigant Université de Bordeaux
Elvire Guillaud Université Paris 1
Ozgur Gun Université de Reims
Yann Guy Université Rennes 2
Hugo Harari-Kermadec Université d’Orléans
Jean-Marie Harribey Université de Bordeaux
Anaïs Henneguelle Université Rennes 2
Sabina Issehnane Université de Paris
Sophie Jallais Université Paris 1
Arthur Jatteau Université de Lille
Esther Jeffers Université de Picardie
Pierre Khalfa Fondation Copernic
Agnès Labrousse Sciences Po Lyon
Elsa Lafaye de Micheaux Université Rennes 2 Journal of Contemporary Asia
Stéphanie Laguérodie Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne
André Lapidus Université Paris 1
Thibault Laurentjoye Université d’Aalborg
Anne Le Roy Université Grenoble Alpes
Philippe Légé Université de Picardie
Sandrine Leloup Université Bretagne Sud
Laurence Lizé Université de Paris 1
Nathalie Magne Université Paul Valéry Montpellier 3
Eric Magnin Université de Paris
Léo Malherbe Université Picardie Jules Verne
Nasser Mansouri Guilani Economist et syndicaliste
Jonathan Marie Université Sorbonne Paris Nord
Christiane Marty
Antoine Math Institut de Recherches Economiques Et Sociales (Ires)
Catherine Mathieu Economiste
Fabien Maury Consultant pour les Cse
Renaud Metereau Université de Paris
Anne Musson ESSCA
Fabienne Orsi IRD
Coralie Perez Université de Paris 1
Muriel Périsse Université d’Artois
Corinne Perraudin Université Paris 1
Héloïse Petit Ceet-Cnam
Pascal Petit CNRS
Claire Pignol Université Paris I
Thomas Piketty Ecole Des Hautes Etudes En Sciences Sociales Et Ecole D’économie de Paris
Alain Piveteau Ird
Dominique Plihon Université Sorbonne Paris Nord
Thomas Porcher Paris School Of Business
Nicolas Prokovas Université de Paris 3
Muriel Pucci Université Paris 1
Emmanuelle Puissant Université Grenoble Alpes
Nadeera Rajapakse Université Paris 1
Christophe Ramaux Université de Paris I
Amandine Rauly Université de Reims Champagne Ardenne
Esther Regnier Université de Bretagne Occidentale
Jacques Rigaudiat Conseiller Maître Honoraire A La Cour Des Comptes
Yorgos Rizopoulos Université de Paris
Goulven Rubin Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne
Damien Sauze Université Lumière Lyon 2
Camille Signoretto Université de Paris
Henri Sterdyniak Les Economistes Atterrés
Fabien Tarrit Université de Reims Champagne-Ardenne
Nadine Thevenot Université de Paris 1
Aurélie Trouvé Porte-Parole d’Attac
Pascale Turquet Université Rennes 2
Julie Valentin Université Paris 1
Sébastien Villemot Cepremap
Michaël Zemmour Université Paris 1
Voir la liste complète des signataires :
https://hebdo.framapad.org/p/r.db5b12bec26e1716af0a4bdf4d918457